La multiplication des putschs militaires sur le continent ces derniers mois remet-elle en cause la démocratie en Afrique francophone ? Si tel est le cas, pourquoi la démocratie a échoué à combler les attentes en Afrique ? Existe-t-il une alternative crédible à la démocratie pour instaurer une gouvernance vertueuse dans nos Etats qui tentent désespérément d’amorcer leur émergence économique ?
«La démocratie est un luxe pour les Africains», avait alerté Jacques Chirac, alors que le «Vent de l’Est» déboulonnait progressivement les dictatures en Afrique francophone notamment. Ces propos de «Jacques l’Africain» (ancien maire de Paris, ancien Premier ministre et ancien président de la République Française) ont fait mal sur le continent parce qu’ils ont été avant tout sortis de leur contexte. Il s’agit plus d’une pique d’un leader de la Droite française contre un président socialiste (Gauche), notamment François Mitterrand, qui a imposé ce système politique au pré-carré français sans prendre soin à l’adapter au contexte sociopolitique et les valeurs culturelles de chaque pays.
Cette démocratie importée et imposée comme un modèle unique (à l’image du concept des droits de l’Homme), l’Afrique n’en avait pas réellement besoin. Ce qu’il lui fallait à l’époque, c’était des relations commerciales équilibrées avec le reste du monde ; de vrais projets de développement et non des éléphants blancs alourdissant sa dette extérieure… Cette démocratie à l’occidentale était effectivement un luxe pour des Etats qui avaient besoin de tracer et d’emprunter leurs propres voies dans tous les domaines, notamment économique, politique et culturel.
L’histoire semble donc donner raison au défunt Jacques Chirac avec les coups d’Etat qui reviennent à la mode. Après le Mali (18 août 2020 contre feu Ibrahim Boubacar Kéita, puis le 24 mai 2021 contre président de transition Bah N’Daw) et la République de Guinée le 5 septembre dernier, le Burkina Faso est le 3e pays d’Afrique de l’ouest à basculer entre les mains des militaires depuis le 24 janvier 2022. Sans oublier qu’une tentative de coup d’Etat a été déjouée le 31 mars dernier au Niger, deux jours avant l’investiture de Mohamed Bazoum. Après le «Vent de l’Est» (mouvement de démocratisation) qui a soufflé sur l’Afrique francophone dans les années 1990, on avait pensé que les putschs militaires allaient rapidement devenir un lointain souvenir.
Mais, les peuples semblent avoir compris qu’ils ont été bernés quand on faisait passer la démocratie comme le pouvoir du peuple pour le peuple. On leur a fait croire que ce système politique est une panacée, une baguette magique pour transformer instantanément leur misère en bonheur. Alors qu’en réalité, la formule appliquée en Afrique fait des citoyens les dindons de la farce politique. La réalité du pouvoir est ailleurs. Si on prend par exemple le cas du Mali, depuis 30 ans, le pouvoir est concentré entre les mains d’une élite gloutonne qui se partage son exercice comme des parts d’un délicieux gâteau.
Et ils se combattent juste pour occuper la meilleure place donnant droit à la part du lion. Et l’Occident a juste déplacé les pions pour continuer à tirer les ficelles en fonction de ses intérêts. Tant que le pouvoir en place lui obéit à l’œil, il n’y a pas de problème. Ils sont prêts à fermer les yeux sur tout le reste, y compris la mauvaise gouvernance, la violation des supposés droits humains, le tripatouillage des constitutions… Aujourd’hui, les peuples ont compris et commencent à se réveiller.
Les tares et les failles d’une démocratie imposée
Pourtant, il serait prématuré de mettre la démocratie en cause. Ce qui est réellement en cause, c’est la manière dont celle-ci a été imposée à l’Afrique. «Lorsque la démocratie fonctionne et que le peuple est serein et rassuré, l’armée n’a ni de raison, ni l’opportunité, ni le soutien du peuple pour faire un coup d’État», défendait récemment Rokia Traoré, artiste. Et d’ajouter, «le succès des militaires au pouvoir au Mali, en Guinée et aujourd’hui au Burkina et le soutien que leur apportent les peuples viennent du fait qu’ils permettent aujourd’hui d’envisager une alternative dans ces pays ; ils redonnent de l’espoir au peuple».
Pour Moussa Sey Diallo, un élu communal de l’Union pour la République et la Démocratie (URD), «le retour des coups d’État en Afrique révèle l’échec des politiques et l’oisiveté des intellectuels. La démocratie n’est pas du prêt-à-porter, elle doit être sur mesure». Quant au Dr Fousseynou Ouattara, membre du Conseil national de transition (CNT) au Mali et président du Collectif pour la refondation du Mali (COREMA), il pense que «la démocratie telle que conçue par les Occidentaux n’est pas l’option recommandée pour les Africains parce que nos sociétés, notre éducation, nos us et coutume diffèrent».
On ne peut avoir risqué sa vie pour son avènement dans son pays et se réjouir d’un coup d’Etat contre la démocratie. Mais, finalement, on se demande quelle différence il y a aujourd’hui en Afrique (surtout en Afrique francophone) entre les régimes militaires et les présidents «démocratiquement élus» ? De plus en plus, des peuples se sentent trahis par cette démocratie soit parce que les résultats des votes ne reflètent pas la réalité des urnes, soit celui ou ceux à qui ils ont fait confiance piétinent leurs préoccupations pour adouber des puissances étrangères supposées leur garantir le maintien au pouvoir. Dans ces circonstances, le putsch devient inexorablement une délivrance pour le peuple.
Les coups d’Etat ne peuvent pas être non plus une norme politique de gouvernance
N’empêche que les militaires n’ont pas pour vocation de prendre et garder le pouvoir. Et chaque coup d’Etat est un retour à la case-départ, un recul. Les putsches ne sont pas une panacée. «Les coups d’État peuvent réguler, jamais ils ne sauraient être la norme. La France s’est fourvoyée dans son pré-carré en collaborant avec les faux démocrates. La nouvelle génération libérée et mondialisée refuse. Mais l’Afrique doit inventer une solution pérenne», analyse Moussa Sey Diallo. Comment alors sortir de ce cercle vicieux ?
Cette camisole de force, pardon cette démocratie, qui nous est imposée depuis trois décennies a donc besoin d’être revue à l’aune de nos valeurs. Et contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire, après le lavage de cerveaux de la colonisation, nous avons un vécu et nous ne manquons pas de références en matière de gouvernance politique. Pourquoi ne pas revisiter le système d’organisation de nos grands empires par exemple ? L’empire du Ghana était gouverné par un Tounka (roi en sarakholé) également appelé «Kaya Maghan» (le maître de l’or), représenté dans les provinces par des gouverneurs qui jouaient le même rôle que les intendants de l’ancien régime en France : ils prélevaient les impôts, rendaient la justice au nom du roi qui était le commandant en chef de l’armée et était responsable de la sécurité des provinces contre les attaques d’autres forces.
Il garantissait également le rétablissement de la paix dans les moments de chaos et de désordres internes. Il était aussi responsable de l’attribution des moyens nécessaires au peuple dans leurs transactions commerciales avec les étrangers. L’empire du Mali était une confédération constituée des États tributaires et des provinces. Les provinces étaient dirigées par des gouverneurs appelés «Farins» ou «Farba» et il y avait un vizir qui assumait les fonctions de Premier ministre. L’empereur était secondé par un conseil des anciens (chefs militaires, civils et marabouts). Toutes les décisions politiques et administratives étaient prises en conseil qui correspond aujourd’hui à la configuration de nos Assemblées nationales…
Quant à l’empire Songhaï, il avait une organisation politique et administrative originale sous les Askia. L’armée sous les ordres du dyna koy était composée de la garde impériale et des gouvernements provinciaux. L’empire était dirigé par une équipe de hauts fonctionnaires nommés Fari ou ministre. Il y avait plusieurs personnalités décentralisées.
Il ne s’agit pas bien naturellement de dupliquer ces modes d’organisation, mais surtout de voir comment les adapter à nos besoins, à notre quête d’une gouvernance vertueuse pouvant briser les chaînes de la dépendance des puissances coloniales. Pour de nombreux experts, il est indispensable pour nos pays de modéliser la démocratie pour l’adapter à nos réalités. «Nous sommes des pays très jeunes…Pour atteindre un certain niveau de maturité, de développement et d’épanouissement, à mon humble avis, il faut de la rigueur et de la discipline dans nos quotidiens. Et pour ça, il nous faut une directive qui va dans ce sens», explique Moussa Sey Diallo.
Pour sortir de ce cycle des putsches militaires, a expliqué Dr Ouattara, «il n’y a pas mille solutions». Selon lui, il faut laisser les peuples «choisir en toute liberté» leur système politique, leurs dirigeants et surtout leur option du développement. «Chaque pays a ses réalités», a-t-il rappelé. Au Ghana, a-t-il conclu, «il a fallu que le pays soit dirigé de mains de fer pendant des années par feu John Jerry Rawlings pour que les choses se mettent dans l’ordre. Si le Rwanda est aujourd’hui une référence d’émergence économique, c’est parce que le président Paul Kagamé a fait un choix politique responsable pour relever son pays après le Génocide de 1994».
Il faut trouver un système atypique qui serait par exemple un mélange d’ouverture démocratique et de rigueur dans la gouvernance. Un système qui permet par exemple aux populations de s’exprimer librement sans craindre de perdre leur liberté ; de demander des comptes sans représailles… Mais, aussi un système contraignant pour que chacun assume ses devoirs ; un pouvoir qui va réellement sévir contre l’incivisme, la corruption et la délinquance financière et dont les tenants se sentent obligés d’être des références pour les citoyens. Ce système doit permettre de délier les langues pour exiger des comptes aux dirigeants fautifs tout en obligeant chaque citoyen à assumer pleinement ses devoirs à l’égard de la nation… C’est ainsi que le pouvoir servira le peuple et l’armée restera républicaine entièrement engagée dans ses missions régaliennes. Comme le dit la star du reggae africain, Tiken Jah Fakoly dans son nouvel single «Gouvernement, 20 ans», «la folie, c’est toujours faire la même chose et s’attendre à des résultats différents» !
Moussa Bolly
Source: Le Matin