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La situation politico-sécuritaire, un an après le coup d’état du 22 mars 2013

Cette communication de  DRAME Tiébilé, a été livrée le 20 mars 2013, à l’hôtel Laïco El Farouk, devant des responsables de la Banque Mondiale au Mali.

tiebile drame parena Monsieur le Directeur des opérations pour le Mali,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de votre invitation à vous donner ma lecture de la situation qui prévaut au Mali au plan politique et sécuritaire, exactement un an après un coup d’État militaire qui restera gravé dans l’Histoire du pays tant ses conséquences ont été dėvastatrices.

Je note que vous avez le sens du symbole, votre réunion se tenant à la veille du 1er anniversaire de la mutinerie de Kati qui s’est rapidement muée en coup d’Etat renversant le régime du Président Amadou Toumani Touré.

 

Le coup d’Etat a accéléré la décomposition de l’armée (le Colonel-major Dider Dacko a parlé de « putréfaction » dans le quotidien « L’Indépendant »), entraîné l’effondrement de l’Etat, précipité la partition du pays et l’occupation des 3/4 du territoire national par des groupes armés étrangers et maliens. C’est ainsi que des centaines de milliers de Maliennes et de Maliens ont été contraints de fuir leurs foyers et de vivre dans la précarité comme déplacés internes ou comme réfugiés.

1- Rappel:

Permettez-moi de faire un bref rappel  de la situation, notamment des forces en présence à la veille du coup d’État:

– les hostilités qui allaient déstabiliser le Mali ont commencé le 17 janvier par l’attaque de Ménaka, revendiquée par le MNLA, mouvement constitué de groupes identitaires touaregs et d’anciens militaires libyens d’origine malienne revenus au pays avec d’importants moyens militaires puisés dans les arsenaux du Guide suite à l’effondrement du régime libyen.

Quelques jours plus tard, entre le 20 et le 22 janvier 2012, la garnison militaire d’Aguel-hoc a été attaquée. Face à des assaillants nombreux et bien équipés, la petite compagnie de l’armée malienne opposa une farouche résistance jusqu’à épuisement de toutes les munitions et provisions. Les tentatives de leur porter secours ayant échouées, plusieurs dizaines de militaires maliens ont été faits prisonniers, puis exécutés dans d’effroyables conditions d’une barbarie inouie.

Outre le MNLA et Ansar Eddine ( groupe d’obédience salafiste dirigé par l’ancien chef rebelle, Iyad Ag Ghaly),  des combattants d’AQMI ont pris part aux combats d’Aguel-hoc.

Alqaeda au Maghreb islamique avait au moment des faits quatre groupes sur le sol malien:

– la Katibat Tariq Ibn Ziyad dont le chef reconnu était l’Algérien Abdelhamid Abu Zeid,

– la Katibat Al Moulathamine, dirigée par Moctar Belmoktar, un autre émir algérien,

– la Sariat Al Fourqane dont le principal dirigeant était l’Algérien Yayia Abou Hammam,

– la Sariat Al Ansar dont la particularité est d’être la seule phalange d’Aqmi dirigée par un Malien, Hamada Ag Mama connu sous le nom de « Abdelkrim le Targui », originaire d’Abeibara et appartenant à la même tribu qu’Iyad Ag Ghaly.

Aux unités combattantes d’Aqmi proprement dit, il faut ajouter le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) composé de Saharouis, d’Arabes Mauritaniens et Maliens et qui a recruté au sein des populations locales maliennes. Son principal dirigeant était Hamada Ould Mohamed Khairou, originaire de Mauritanie.

C’est l’alliance opérationnelle entre tous ces groupes qui a conduit au repli progressif et au retrait de l’armée et de l’administration maliennes des régions du Nord et leur occupation par lesdits groupes qui y ont instauré une dictature répressive de type moyenâgeux.

Le coup d’Etat militaire, conséquence du conflit au nord a été condamné par la communauté internationale et les forces démocratiques maliennes, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui ont exigé le retour à l’ordre constitutionnel.

Après une période de flottement consacrée à la recherche d’un « Président de Transition consensuel »,  la formule constitutionnelle d’un intérim assuré par le Président de l’Assemblée Nationale a fini par s’imposer 48 heures avant la signature de l’Accord-Cadre du 6 avril 2012.

L’Accord-Cadre conclu entre le Médiateur de la CEDEAO et la junte militaire qui a servi de cadre à la sortie de crise, a, en même temps, maintenu sur la scène publique les auteurs du coup d’Etat, leur permettant d’exercer une influence continue sur la vie politique et institutionnelle du Mali.

2- La situation politique:

 – Survenu à cinq semaines du 1er tour de l’élection présidentielle, le putsch a mis un coup d’arrêt au processus électoral. Les partis et candidats qui étaient entrés en campagne  ont dû faire face à la nouvelle réalité. C’est ainsi que se sont constitués des regroupements politiques pro ou anti-putsch ayant en leur sein les centrales syndicales et les nombreuses associations de la société civile. Cinq à six regroupements se partagent l’échiquier. Sauront-ils se maintenir et préserver leur unité à l’approche des élections annoncées? Les prochains mois nous édifieront.

 – Conséquence de l’Accord-cadre du 6 avril 2012,  l’actuelle Transition malienne se caractérise par la cohabitation entre la Constitution et le coup d’Etat. Les événements des dernières semaines prouvent à l’évidence que dans cette cohabitation, le coup d’État a pris progressivement le dessus sur la Constitution.

Les interpellations de parlementaires, de femmes et d’hommes politiques en février,  la détention illégale pendant 11 jours du journaliste Boukari Daou, les traitements cruels, inhumains ou dégradants qui lui ont été infligés dans les locaux de la Sécurité d’État, les poursuites judiciaires engagées contre lui montrent à suffisance que les libertés démocratiques et l’État de droit sont menacés.

Le retour effectif de l’armée dans les casernes et la stricte observation du principe républicain de soumission du militaire au pouvoir politique civil restent des objectifs à atteindre.

3- la situation sécuitaire:

L’année 2013 avait commencé avec de sombres perspectives. L’intervention militaire française suivie de l’arrivée des troupes de la coalition africaine a radicalement changé la donne avec la libération des grandes villes du Nord. Toutefois, outre la résistance des groupes terroristes retranchés dans les montagnes de l’ Adagh, il faudra se préparer à faire  face à une période d’instabilité dont la durée est difficilement prévisible. Les actions de ratissage menées sur le terrain, la recherche de caches d’armes et la traque des terroristes ont donné lieu en plusieurs endroits à des exactions dont ont été victimes des populations civiles d’origine touarègue ou arabe. Plusieurs cas de violences, d’exécutions et/ou d’arrestations et de détentions ont été documentés. Des mesures urgentes doivent être prises pour mettre fin à ces actes intolérables.

 4- Les perspectives: les élections et le processus de paix.

 4.1- les élections:

 A moins de quatre mois de la date annoncée du 1er tour de la présidentielle, il existe plus d’inconnues que de certitudes sur la tenue du scrutin. Il est urgent d’instaurer un dialogue avec la classe politique sur le fichier qui peut être raisonnablement utilisé pour les prochaines élections, sur le vote des réfugiés, celui des déplacés internes, sur le ré-déploiement ou le non rédeploiement de l’Administration dans les régions libérées.

Devant l’urgence de sortir de la Transition et au regard du niveau de préparation des élections, une solution pourrait résider dans le soutien de l’ONU dans l’organisation du scrutin présidentiel. La résolution du Conseil de Sécurité qui permettra la mise en place de la future mission de stabilisation au Mali devra également  prévoir le soutien au processus politique y compris l’organisation de l’élection présidentielle.

Au vu du tremblement de terre que nous avons connu en 2012 (rébellion, effondrement de l’armée, coup d’Etat, effondrement de l’État, occupation des 3/4 du territoire national), le prochain président de la République, quel qu’il soit, doit être un Président de Transition qui doit inaugurer un quinquennat de réformes.

Fort de la légitimité conférée par le suffrage populaire, le futur Président organisera des États Généraux de la Nation au cours desquels les forces vives du pays débattront des causes profondes de l’effondrement du Mali : pourquoi sommes-nous tombés ainsi ? Où étaient l’Assemblée Nationale et les autres Institutions ? Qu’ont-elles fait pour éviter qu’on en arrive là? Où étaient les partis politiques et la société civile ? Les institutions, les partis politiques, la société civile ont-ils joué leur rôle quand AQMI s’installait au Teghar-ghar, dans le Timetrine, se promenait sur les rives du Faguibine ou bivouaquait dans la forêt du Wagadu ? Qui a dit quoi quand le narco-trafic prenait l’Etat en otage ?  Qui a demandé des explications au Président et au Gouvernement quand, un matin de novembre 2009, un Boeing calciné à été découvert  dans le désert à Tarkint ? Qu’avons-nous fait quand  la morale publique était en danger et que la corruption se répandait ? Pourquoi les partenaires ont-ils continué à encenser notre processus démocratique alors que nous nous trouvions au bord du précipice? etc. Nous nous devons d’apporter des réponses appropriées à ces graves questions si nous voulons poser les fondations du renouveau démocratique.

Le prochain Président devra re-fonder une nouvelle armée nationale, professionnelle, républicaine, bien formée, bien équipée et dont les membres observeront scrupuleusement le principe républicain de soumission du militaire au pouvoir politique civil. Il devra professionnaliser la Police, la Gendarmerie et les Services et les adapter aux exigences des temps modernes.

Il devra s’atteler à mettre en place une Constituante pour re-fonder la république malienne en rédigeant la Constitution de la 4ème République, plus démocratique, plus solidaire, plus sociale et plus juste.

En tirant les leçons des  dysfonctionnements des institutions, des dérives autocratiques constatées depuis l’avènement de la démocratie et en particulier la personnalisation du pouvoir qui a causé tant de ravages, le projet de constitution de la IVème  République veillera à réduire le nombre d’institutions, à les rationaliser  à les renforcer.

Une IVè République rationnelle et moderne verra la suppression de l’élection présidentielle,  l’ élection du président de la République par un parlement mono-caméral, la suppression de la fonction de Premier minstre, l’ élection de l’Assemblée Nationale sur la base du scrutin proportionnel avec listes régionales et l’ élection des gouverneurs de régions.

Le futur président de la République engagera la rėforme de l’Administration, afin de la moderniser et de la motiver en  réhabilitant et en revalorisant le mérite.

La réforme, la modernisation de la justice et le renforcement de  son indépendance afin qu’elle protège les droits du citoyen et lutte efficacement contre la corruption et le narco-trafic seront des tâches prioritaires.

Le futur Président devra également entreprendre l’audit des principaux projets/chantiers/services engagés  aussi bien pendant la Transition que durant les deux derniers quinquennats.

Les cessions de terres agricoles, notamment à l’Office du Niger, les permis de recherche et les titres miniers feront l’objet d’audit   et, le cas échéant, de révision.

4-2 le procesus de paix:

Maintenant que l’horizon s’éclaircit, il devient nécessaire de complèter l’action militaire par un processus politique qui, seul,  confortera la dynamique de restauration de la paix et de la cohésion nationale.

Car, encore une fois, ni l’opération Serval, ni la MISMA ni la future mission de stabilisation de l’ONU ne suffiront pour restaurer la paix de manière durable.

Il faut un vigoureux dialogue inter-malien qui pourrait s’articuler comme suit :

–       des rencontres intra et intercommunautaires, à la base, pour crever les abcès et panser les blessures,

–       une conférence ou un congrès des communautés du Nord pour la paix et la réconciliation qui verra la participation des représentants de toutes les communautés du Nord et des groupes armés qui déposeront les armes,

 

–       une conférence des forces vives de la Nation pour sceller un nouveau Pacte national de paix et de réconciliation, dessiner et adopter les réformes de la nouvelle République post-crises.

Cette dernière étape devrait, à mon avis, intervenir après l’élection du nouveau président de la République.

Ce nouvel accord de paix devra être soutenu par un ambitieux programme de reconstruction et de développement.

5- En conclusion, les partenaires du Mali en général,  la Banque Mondiale en particulier devraient soutenir un ambitieux programme de reconstruction pour appuyer le processus de paix et les réformes institutionnelles et politiques envisagées. Les projets susceptibles de promouvoir l’état de droit et la bonne gouvernance ainsi que ceux favorisant l’intégration nationale devraient recevoir une attention particulière (routes  Niono-Tombouctou, Gao-Kidal-frontière Algérie, Ansongo-Ménaka-Andéranboukane-frontière Niger, aérodrome de Kidal, aéroports régionaux, lycées et écoles supérieures dans les grands centres urbains au Nord, au Sahel occidental, au centre et au Sud du pays).

Je vous remercie.

 Tiébilé Dramé,

Bko, le 20 mars 2013

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