La réforme annoncée du franc CFA, devise commune pour huit pays de l’Afrique de l’Ouest, est apprécié diversement par les économistes sénégalais, selon la presse locale.
Certains spécialistes estiment qu’il s’agit d’une « étape importante vers la souveraineté monétaire », tandis que d’autres y voient des « changements plutôt symboliques ».
Le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a annoncé samedi soir à Abidjan, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président français Emmanuel Macron, en visite officielle, que le franc CFA serait remplacé par l’Eco dans les pays membres de l’UEMOA, dont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
« Par un accord avec les autres chefs d’Etat de l’UEMOA, nous avons décidé de faire une réforme du Franc CFA avec les trois changements majeurs suivants : tout d’abord, le changement du nom de la monnaie du franc CFA à l’Eco. Deuxièmement l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor français et la fermeture du compte d’opération. Troisièmement le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’UEMOA », a déclaré le président Ouattara.
Toutefois, l’Eco gardera une parité fixe avec l’euro et la France jouera un rôle de garant en cas de défaut de l’un des Etats membres.
Le Pr Moustapha Kassé, ancien doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a estimé que cette réforme du franc CFA est un « symbolisme accepté par tous » les pays membres.
« La réforme importante, c’est la fermeture du compte d’opération. Il y avait un énorme symbolisme qu’il fallait briser parce que c’est une partie des réserves des Etats qui est déposée au trésor public français avec rémunération », a indiqué Pr Kassé.
L’économiste Felwine Sarr, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, a estimé de son côté qu’ »une étape importante vers la souveraineté monétaire a été franchie avec la fin du mécanisme du compte d’opérations et le passage prévu à l’Eco pour les huit pays de l’UEMOA ».
« Les pays de l’UEMOA doivent poursuivre les réformes et le démantèlement de l’ancien système », a préconisé M. Sarr, soulignant que la garantie en dernier ressort qui demeure permettra à la France de revenir dans les instances de gestion du franc CFA/Eco en cas de crise de devises.
Pour sa part, Abdourahmane Sarr, économiste sénégalais et président du Centre de financement du développement économique local (Cefdel), a indiqué que « c’est une étape dans la bonne direction, parce que cela clarifie le débat. Les Français ne sont plus dans les organes de gouvernance ».
Pour lui, la fin du franc CFA est d’abord un moyen de dépassionner le débat autour de la monnaie unique arrimée à l’euro. L’économiste sénégalais affirme toutefois que la fin du franc CFA ne va rien changer au quotidien « à part le fait que la perception d’ingérence de représentants de la France dans les organes de gouvernance ne sera plus là. Mais dans le fond, rien n’a changé ».
Pour le directeur général du Bureau de Prospective économique du Sénégal, Moubarack Lo, « l’important, c’est d’aller de l’avant et d’atteindre progressivement le but final ». Cette réforme, qui met fin au compte d’opération au Trésor français, marque « une avancée réelle, tout en favorisant une transition en douceur », a ajouté le spécialiste.
L’économiste Demba Moussa Dembélé n’est pas de cet avis, en soulignant que cette réforme du franc CFA « va peut-être changer le nom du franc CFA, mais la servitude monétaire va continuer ».
Pour lui, la France est en train de manœuvrer avec M. Ouattara pour « torpiller » le projet monnaie commune de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, regroupant quinze pays dont les huit de la zone CFA).
En gardant un taux de change fixe avec l’euro, les banques centrales africaines vont mener les mêmes politiques monétaires en ayant comme objectif prioritaire de lutter contre l’inflation, comme la Banque centrale européenne, a-t-il dénoncé.
Donc, selon M. Dembélé, le fait que « les réserves de change quittent Paris pour aller ailleurs ne change rien pour les pays africains. En fait, l’accord signé entre MM. Ouattara et Macron va perpétuer le même système sous une forme rénovée ».
« C’est un très mauvais coup porté contre le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. La lutte continue contre la servitude monétaire et la tutelle de la France! » a affirmé Ndongo Samba Sylla, économiste à la Fondation Rosa Luxembourg. F