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LA RÉCONCILIATION : L’autre pilier du Mali-Kura

Il serait judicieux de réconcilier les cœurs et les esprits pour bâtir un peuple. Nous avons besoin de paix et de cohésion sociale. Autrement, nous devrions opter pour l’édification d’une nation forte, unie, harmonieuse et travailleuse. Projet impossible sans inclure la dimension entente et cordialité, lesquelles sont irréalisables dans le chaos et le déchirement. Il faut donc réconcilier. Réconcilier militaires et civils pour que les manquements des uns soient pardonnés par les autres ; réconcilier politiciens et société civile pour que les uns portent sur les autres, enfin, un regard empreint de sincérité, de considération ; réconcilier les communautés ethniques voisines afin que le vivre-ensemble se fasse dans la communion ; réconcilier les groupes armés et les groupes non-armés pour, non pas oublier les exactions des uns ni enlever aux autres leur statut de victimes, mais accepter de se fondre dans un destin commun au nom d’un seul idéal ; réconcilier enfin les serviteurs de la foi djihadiste agissant en bourreaux et les autres, musulmans et non-musulmans, pour que triomphent définitivement les idéaux qui ont porté la Révolution de Mars 91.

Selon le révérend Desmond Tutu, « La réconciliation doit combiner vérité et pardon ». C’est d’autant plus vrai que l’homme, à l’élection de Nelson Mandela en 1994, a été désigné par celui-ci, à la tête de la fameuse Commission Vérité et Réconciliation. Un an plus tard, la réconciliation était devenue une réalité pour le peuple sud-africain, notamment lorsque Desmond Tutu avait clamé le besoin de pardon, essentiel à la réconciliation. Politiquement, sa demande fut entendue et acceptée. Ce qui a facilité la suite. Il est vrai que sa personnalité, son passé de combattant de la liberté, de la justice sociale et de l’égalité et sa promptitude à dire la vérité sans concession, ont été déterminants dans l’apaisement des cœurs et des esprits. Cette demande de Tutu n’a pas empêché la tenue des procès contre les auteurs des entorses à la loi et autres abus perpétrés contre les uns et les autres.

Au Mali, nous avons plus que besoin de paix pour amorcer, enfin, l’amorce d’un vrai développement, culturel, social et économique. Il est vrai que nous avons un lourd passif de plusieurs années qu’il faut éponger par la politique du pardon. Obliger les djihadistes à s’inscrire dans le seul projet qui vaille pour le pays : la République. Beaucoup penseraient que je suis atteint de démence en prônant une telle démarche, mais peut-on faire autrement ? L’histoire de l’humanité est émaillée d’exemples où des Etats plus forts militairement et économiquement, ont échoué à vouloir évincer par la seule force militaire les chevaliers de la foi et du chauvinisme religieux ou idéologique. Les Russes et les USA ont platement échoué en Afghanistan, malgré leur statut incontesté de puissances militaires. Pourquoi donc ? Parce que l’Afghanistan a inventé un autre mode de guerre qui va bien au-delà du contexte militaire. Parce que, là-bas, le concept de guerre a été sorti de son cadre traditionnel et habituel, pour devenir multidimensionnel et multiforme. Cela n’a certes pas anéanti la force de frappe des armées soviétique et américaine, mais leur efficacité a été fortement réduite.

 Parce que, aussi, l’adversaire afghan n’était pas une force compacte repérable en un endroit précis. Sa grande mobilité, couplée avec sa maîtrise parfaite du terrain, n’était pas de nature à faciliter la tâche aux ogres venus, chacun à son tour, pour broyer l’ennemi et lui imposer sa loi. Certes, le Mali n’est pas l’Afghanistan, mais la même guerre asymétrique qui a permis aux Talibans de résister des décennies durant, permet aux initiateurs du terrorisme de survivre militairement au Mali. Peut-être l’armée malienne pourra-t-elle, un jour, venir à bout de ces groupes difficilement contrôlables et mesurables, pour la simple raison qu’ils sont, à l’instar des Talibans, sur des terrains qu’ils maîtrisent plus que tout autre combattant, qu’ils sont aussi adeptes de l’extrême mobilité qui les fait sévir à l’Est pour aller se planquer à l’Ouest en quelques heures. Aurons-nous, jamais, assez de soldats et de moyens pour empêcher cette mobilité ?

Quant aux mouvements armés du Nord, avons-nous vraiment d’autres choix que d’en intégrer les composants dans toutes les couches de notre société ? Tous ces gens, terroristes comme acteurs des mouvements armés, organisations d’autodéfense à caractère essentiellement ethnique, tous ont besoin d’un pays apaisé où chacun pourrait vivre, travailler et circuler en toute sérénité. La réconciliation est donc de mise voire incontournable. Le tout est de savoir sur quelles bases va-t-on l’entreprendre. Faut-il, comme en Afrique du Sud et au Rwanda, lancer une vaste campagne de confrontation entre les victimes et les bourreaux, tout en laissant la Justice faire et continuer son œuvre ? Dans tous les cas, il ne sera pas de bon aloi d’imposer la paix au détriment de la Justice. Les dégâts doivent être réparés, et cela n’est possible que dans un cadre normé et arrimé à une Justice forte, juste et indépendante. La réconciliation oui, mais en aucun cas le laxisme judiciaire qui permettrait, comme par le passé, le retour du démon de la rébellion et du diable djihadiste.

Tiécoro Sangaré

Source: Les Échos- Mali

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