Dans la capitale Khartoum, baignée dans une odeur de poudre, privée en partie d’eau et d’électricité, les habitants sont barricadés chez eux alors qu’une épaisse fumée noire monte du centre-ville où siègent les institutions politiques et militaires.
Les rares épiceries qui ouvrent ont prévenu qu’elles ne tiendraient que quelques jours faute d’approvisionnement et des hôpitaux qui accueillent les blessés manquent de sang et d’équipements.
Après la Ligue arabe et l’Union africaine, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont appelé lundi à la “cessation immédiate” des violences.
“Il y a une forte inquiétude partagée au sujet des combats (…) de la menace que cela représente pour les civils, pour la nation soudanaise et même potentiellement pour la région”, a déclaré le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken après un entretien avec son homologue britannique James Cleverly au Japon.
Depuis des semaines, le conflit était latent entre les deux généraux qui ont évincé ensemble les civils du pouvoir lors du putsch d’octobre 2021, avant de retourner leurs armes l’un contre l’autre samedi matin.
Depuis, les combats à l’arme lourde n’ont pas cessé et l’armée de l’air vise régulièrement, même en plein Khartoum, les QG des Forces de soutien rapide (FSR).
Ces ex-miliciens de la guerre dans la région du Darfour, devenus les supplétifs officiels de l’armée, sont déployés dans la capitale, en treillis et en armes, luttant pour prendre le contrôle des infrastructures du pays.
Au moins 97 civils ont été tués, selon le syndicat officiel des médecins, dont 56 samedi et 41 dimanche, pour moitié environ à Khartoum et les combattants tués se comptent par “dizaines”.
L’armée a assuré dimanche soir que la situation était “extrêmement stable” tandis que les FSR se disaient “sur la voie de l’emporter définitivement”.
– Hôpitaux en détresse –
Dans les faits, il est impossible lundi de savoir quelle force contrôle quoi. Les FSR ont annoncé avoir pris l’aéroport et être entrés dans le palais présidentiel, ce que l’armée a nié.
L’armée assure surtout tenir le QG de son état-major, l’un des principaux complexes du pouvoir à Khartoum.
Quant à la télévision d’Etat, les deux parties assurent aussi l’avoir prise. Mais les habitants des alentours font état de combats continus tandis qu’à l’antenne, seuls des chants patriotiques sont diffusés, comme lors du putsch.
Alors qu’aucune trêve ne se dessine, médecins et humanitaires tirent la sonnette d’alarme: en temps normal déjà, au Soudan, les foyers ne sont alimentés en électricité que quelques heures par jour. Dans certains quartiers de Khartoum, elle est totalement coupée depuis samedi, comme l’eau courante.
Des médecins ont annoncé des coupures d’électricité dans des salles d’opération et selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), “plusieurs des neuf hôpitaux de Khartoum qui reçoivent des civils blessés n’ont plus de sang, d’équipement de transfusion, de fluides intraveineux et d’autres matériels vitaux”.
Les patients, parfois des enfants, et leurs proches “n’ont plus ni à boire ni à manger”, a affirmé un réseau de médecins pro-démocratie, disant ne plus pouvoir laisser partir en sécurité les patients soignés, ce qui crée “un engorgement qui empêche de s’occuper de tous”.
Les “couloirs humanitaires” de trois heures annoncés dimanche après-midi par les deux belligérants n’ont pas changé la donne: durant tout ce temps, explosions et tirs n’ont pas cessé à Khartoum.
– “Première fois à Khartoum” –
Alors que plus du tiers des 45 millions de Soudanais avaient besoin d’aide humanitaire avant la récente flambée de violence, le Programme alimentaire mondial (PAM) a suspendu dimanche son aide après la mort de trois de ses employés au Darfour (ouest).
“C’est la première fois de l’histoire du Soudan depuis l’indépendance (en 1956) qu’il y a un tel niveau de violence dans le centre, à Khartoum”, assure à l’AFP Kholood Khair, qui a fondé le centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum.
Khartoum “a toujours été l’endroit le plus sûr du Soudan, pendant les guerres meurtrières contre des rebelles” lancées au Darfour et ailleurs dans les années 2000, poursuit-t-elle.
“Aujourd’hui, les combats se déroulent partout dans la ville, les FSR sont implantées partout et notamment dans des zones densément peuplées car les belligérants ont cru que la possibilité d’un bilan civil élevé allait dissuader l’autre camp: maintenant on sait que leur lutte de pouvoir à tout prix l’a emporté”, ajoute Kholood Khair.
SOURCE : AFP