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La gestion du front social : une équation complexe, mais pas impossible pour le gouvernement de mission au Mali.

A l’orée de l’année 2019, parmi les engagements du gouvernement dans la gestion de la crise multidimensionnelle à laquelle est confronté notre pays, figurait la stabilisation du front social. Pour rappel, on retiendra que de 2014 à 2019, l’exercice des missions de service public a été émaillé de grèves intempestives qui ont perturbé le fonctionnement normal de l’Etat. Pour ce faire, l’organisation d’un « dialogue social » est retenue comme une opportunité de redéfinir les statuts des fonctions publiques, après la signature de l’ « Accord politique de gouvernance » entre le Gouvernement et une partie de la classe politique.

Pour l’heure, il convient de donner quelques pistes de réflexion aux acteurs du « dialogue politique inclusif », dans la dynamique d’engager des réformes majeures des différents statuts des fonctions publiques, dont la lourde tâche revient au « Gouvernement de mission ».

Le renouveau démocratique de 1992, l’avènement de la prolifération et de la diversité anarchiques de statuts et de syndicats des travailleurs

Suite à la gestion centralisée des Etats noirs francophones de 1960 à 1990, l’ère de la démocratie est intervenue au cours des années 1991 à 1992 pour réclamer la démocratie et l’exercice des droits et libertés fondamentaux. La restauration de la démocratie intervenue dans des Etats, comme le Mali, est due en grande partie à la mobilisation des syndicats des travailleurs sociaux qui réclamaient plus de droits et de libertés. C’est fort de ce combat, que la 3ème République du Mali en a fait une priorité par respect aux engagements internationaux et régionaux. A la faveur de ces droits et libertés chèrement acquis, l’exercice de ces droits et libertés fondamentaux ont engendré une certaine paralysie dans l’encadrement juridique du statut général de fonction publique. De 1993 à 2011, le statut général de la fonction publique a subi des séries de modifications tendant à l’adoption des statuts particuliers et autonomes des fonctionnaires de l’Etat. L’adoption de ces statuts s’explique en grande partie par des revendications syndicalistes liées soit à l’augmentation des salaires, soit à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, soit à l’adoption des statuts portant sur le traitement spécifique d’un corps de la fonction publique. En traitant les revendications syndicales cas par cas, le gouvernement a créé d’autres situations plus complexes par la diversité des syndicats qui seront les interlocuteurs des différents corps du statut général de la fonction publique de l’Etat et des collectivités territoriales. A la suite de la crise politico-institutionnelle de mars 2012, la paralysie du fonctionnement des services publics s’installe par des grèves intempestives de tous les corps de l’administration publique, due à la croissance du train de vie de l’Etat en cette période de crise et les pratiques de mauvaise gouvernance à outrance. En prélude du dialogue politique inclusif, la stabilisation du front social constitue un axe thématique majeur dans la résolution des crises syndicales. Dans cette perspective, les impératifs d’inégalité en termes de recrutement dans les fonctions publiques (Etat et collectivités territoriales) à la suite des négociations syndicales, ne doivent pas prendre le dessus sur le principe d’égalité constitutionnelle, communautaire, législative et réglementaire, dans les recrutements des agents publics.

Par exemple, suite à l’application d’un protocole d’accord entre le gouvernement et le Syndicat National des Enseignants du Supérieur (SNESUP) du 18 mai 2017, le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a procédé par Communiqué n°2019-00000004 du 30 août 2019 portant organisation d’un test d’aptitude d’intégration des contractuels dans l’enseignement supérieur. L’application de ce protocole d’accord repose sur l’arrêté n°2010-MTFPRE-SG du 25 décembre 2017 fixant les conditions pratiques d’organisation des tests d’intégration des contractuels de l’Administration dans la fonction publique de l’Etat. Si l’interprétation dudit arrêté ne semble pas poser de problème, il reste que dans son contenu, le Ministre concerné cautionnera une violation flagrante et délibérée du principe de l’égal accès à l’emploi public. Le présent arrêté conditionne le test d’aptitude des contractuels payés sur le budget propre des universités ou des facultés, mais également la loi n°09-035 du 10 août 2009 portant sur les conditions d’intégration des contractuels dans les fonctions publiques de l’Etat et des collectivités territoriales qui exige pour la circonstance, un critère d’ancienneté. L’application d’un protocole d’accord ne peut en aucune manière faire une dérogation au principe constitutionnel de l’égal accès à l’emploi public, défini également par des textes législatif, règlementaire et communautaire. Sur les listes d’aptitude, le Ministre, tout en étant conscient qu’aucun des candidats retenus pour le test d’aptitude (notamment de l’USJPB) ne relève ni du budget propre des facultés, ni du budget du Rectorat (USJPB). En procédant à ce test d’intégration, le Ministère de l’enseignement supérieur pose les prémices d’un échec annoncé du Dialogue politique inclusif, mais également d’une jurisprudence fâcheuse qui fera désormais une dérogation au principe de l’égal accès à l’emploi public. Dans l’hypothèse d’un entêtement du Ministre concerné à cautionner de telles injustices et illégalités dans la procédure d’intégration des contractuels dans la fonction publique en vue d’une rupture délibérée aux exigences d’égalité et de transparence dans ledit recrutement exigée par la réglementation en vigueur, le Chef du Gouvernement ou le Président de la République doivent pouvoir prendre des mesures et des responsabilités pour mettre fin à cette entreprise illégale d’intégration dans la fonction publique de l’enseignement supérieur.  Celles-ci permettront de prévenir un risque d’instabilité dans l’enseignement supérieur et de crispation du front social.

Pour une refondation des statuts des fonctions publiques

Dans une situation de crise multidimensionnelle que traverse le Mali, les revendications syndicales semblent être plus faciles à résoudre que les autres. Les crises syndicales trouveront leurs solutions par une restructuration d’ordre statutaire.

Quoiqu’on puisse reprocher à la 2ème République, l’encadrement juridique du statut général de la fonction publique de l’époque peut faire l’objet d’adaptation dans le contexte actuel du pays. Il s’agit en l’occurrence de l’ordonnance n°77-71/CMLN du 26 décembre 1977 portant statut général des fonctionnaires de la République du Mali. La présente ordonnance faisait restriction à l’exercice du droit de grève pour certains corps particuliers soumis à des régimes juridiques particuliers.  Il s’agit notamment du personnel engagé sous le régime conventionnaire, du personnel temporaire, des magistrats de l’ordre judiciaire, des personnels de l’armée, de la police, de la sécurité, de la gendarmerie et de la garde républicaine. Dans le contexte actuel, le réaménagement du statut général de fonction publique s’impose. Il s’agit d’abord de l’adoption du statut général de la fonction publique qui consacre l’ensemble des fonctionnaires civils de l’Etat et des collectivités territoriales. Selon la particularité des corps dans les fonctions publiques, le statut général peut engendrer des « statuts particuliers ordinaires » ou des « statuts particuliers dérogatoires » (cf. René CHAPUS, Droit administratif, Tome 2, 15ème édition Montchrestien 2001, p. 98). S’agissant des « statuts particuliers ordinaires », ils ont pour objet de combler ou de compléter certaines insuffisances du statut général par des décrets d’application sur les modalités de recrutement, les grades, les échelons. Quant aux « statuts particuliers dérogatoires », ils concernent certains corps dont l’exercice de leurs fonctions fait allusion à une spécificité à la soumission au statut général de la fonction publique. Par exemple, le statut des enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur peut déroger au statut général, par application à une directive communautaire. (cf. V. SILVERA, Les dérogations au statut général des fonctionnaires, Rev. adm. 1965, p. 488). A l’intérieur de ce statut général, il est possible d’adopter des statuts ordinaires ou des statuts dérogatoires au statut général. Il s’agit ensuite de l’adoption des « statuts autonomes » qui font référence à d’autres statuts dont le contenu est différent du statut général. Il convient également d’adopter le statut des médecins des hôpitaux dans le cadre de leurs missions de garantie du droit à la vie, le statut des militaires dans le cadre de l’exercice de leurs missions de défense et de sécurisation du territoire, le statut des magistrats de l’ordre judiciaire dans le sens de la préservation des droits et des libertés des détenus. Il s’agit enfin de l’adoption des « statuts spéciaux », qui consacrent des contraintes renforcées sur certains fonctionnaires, notamment par le retrait du droit de grève, pour des raisons de maintien de l’ordre public et de la continuité de l’Etat (cf. V. SILVERA, La notion de statut spécial dans la fonction publique, AJ 1961, p. 119), comme par exemple : la Police.

Pérenniser le dialogue entre partenaires sociaux et Gouvernement

Au-delà de la redéfinition des différents statuts des fonctions publiques, l’institutionnalisation d’un cadre de dialogue permanent s’impose dans la prévention et la résolution des grèves entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, à la suite de laquelle un consensus se dégagera entre l’ensemble des protagonistes pour la décrispation du front social dans notre pays.

Dr. Ibrahim Boubacar SOW

Enseignant-chercheur, USJPB.

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