Alors que les candidats à la présidentielle du 29 juillet supposés avoir réalisé des scores médiocres face à un IBK triomphant se mettent en ordre de bataille judiciaire, allant pour six d’entre eux jusqu’à récuser les 2/3 des neuf membres de la Cour constitutionnelle, Paris interpelle le gouvernement malien. Il doit suivre les recommandations formulées par les observateurs électoraux. En publiant notamment ” les résultats bureau de vote par bureau de vote “. Ce que Bamako s’est jusqu’ici refusé de faire. Au motif que la loi du Mali ne l’impose pas. Un entêtement qui pourrait conduire à une crise de grande ampleur.
Plus tard, il apparaitra que cette information ne reflète que très imparfaitement la réalité. Le ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, en charge de l’organisation du scrutin, confirmera que le vote n’a pu se faire dans 703 bureaux de vote, dont 644 dans le centre du pays, à cause d’incursions d’éléments terroristes qui ont saccagé et brûlé le matériel et les documents électoraux, obligeant les électeurs à regagner leurs domiciles.
Pour minimiser l’impact de cette intrusion terroriste dans le processus électoral, le département de Mohamed Ag Erlaf soulignera que les 716 bureaux de vote où les électeurs n’ont pas pu s’exprimer ne représentent que 3,11% des 23 041 bureaux ouverts sur l’étendue de la République.
Il ne jugera pas utile d’ajouter que dans 4 500 autres bureaux de vote divers incidents se sont produits de nature à altérer la transparence du scrutin.
C’est face à cette situation alarmante qui ne profitait qu’au seul candidat IBK comme le dépouillement le laissait apparaître que Tiébilé Dramé, chef du directoire de campagne de Soumaïla Cissé, fera sa sortie médiatique pour demander au gouvernement de ” publier le nombre d’électeurs des 703 bureaux de vote où la consultation n’a pu avoir lieu et de rendre publique la liste exhaustive des bureaux où il n’y a pas eu de vote “
Il soutiendra aussi qu’ ” il y a eu bourrages des urnes dans plusieurs localités du nord notamment dans la commune de Talket où IBK est crédité de 8 000 voix contre zéro pour Soumaïla Cissé, le village de Gargano ( 3 335 voix contre zéro) le village de Lataye (6 500 contre zéro) la commune de Salam ( 8 000 voix contre zéro) “
Et de conclure : ” Nous contestons à l’avance les résultats et demandons un recomptage contradictoire des bulletins de vote “. Seize autres candidats adhéreront à cette démarche qui fera l’objet d’une déclaration.
Rien d’étonnant donc qu’à la proclamation officielle des résultats provisoires donnant 41,42% au président sortant contre 17,80% à son principal challenger,7,95% à Aliou Diallo et 7,46% à Cheick Modibo Diarra, présentés tous deux par les sondages comme des prétendants sérieux au fauteuil de Koulouba et les miettes aux autres candidats, il y ait eu une levée de boucliers.
Ces trois candidats, qui estiment que la victoire en laquelle ils croyaient leur a été confisquée au moyen de la fraude, ont introduit des recours pour ” irrégularité “auprès de la Cour constitutionnelle. En outre, six parmi les 17 signataires de la Déclaration de Radisson Blue ont déposé une requête pour la récusation de six des neuf membres de cette juridiction électorale.
Motif invoqué : ces six éminents magistrats ont péché par ” manque d’impartialité “ et, pour l’un d’entre eux, ” manque d’indépendance “ en plus. Cette plainte survient dans un contexte où la vénérable institution est accusée par un organe de presse de la place d’avoir reçu 900 millions de nos francs du candidat IBK pour valider sa réélection. Trois des neuf juges ayant, semble-t-il refusé l’offre, ont été mis hors de cause.
La Cour, bien entendu, a démenti cette information et promis de” saisir les juridictions compétentes pour préserver son intégrité “
En saisissant la Cour pour ” irrégularités “ ayant entaché le scrutin tout en réclamant la récusation des 2/3 de ses membres, l’équipe de Soumaïla Cissé veut contraindre le pouvoir en place à surseoir à la tenue du second tour le 12 août prochain et fixer une nouvelle échéance au nom d’une meilleure préparation technique du scrutin.
C’est en somme le scénario guinéen qu’elle cherche à appliquer au Mali. On se rappelle qu’en juin 2010, le Pr Alpha Condé, opposant historique dans son pays, n’avait obtenu que 20,67% au premier tour de la présidentielle face à Cellou Dalein Diallo qui le devançait de 19 points avec 39,72% des suffrages. Après avoir arraché à la junte au pouvoir la réorganisation du scrutin sur des bases ” plus saines et équitables “ et réussi à se rallier plusieurs candidats recalés au premier tour, Alpha Condé est porté à la magistrature suprême avec un score de 52,52%.
Mais comparaison n’est pas raison. Cependant une chose est sûre : la non prise en compte des griefs formulés par les candidats à l’issue du premier tour et une réélection subséquente du président-candidat dans des conditions décriées plongeraient le Mali dans une crise politique de grande ampleur.
Quant à son président réélu au forceps, il serait à la fois en mal de légitimé et de légalité auprès de la communauté internationale, plus regardante au Mali qu’ailleurs sur le respect des normes électorales eu égard à son engagement sur le plan sécuritaire.
Déjà la France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Ledrian qui n’a pas été avare en critiques contre le président IBK depuis un certain temps, ” invite à la bonne prise en compte des recommandations exprimées par les diverses missions d’observation électorale après le premier tour “.
Il pense prioritairement aux recommandations faites par les observateurs de l’Union européenne dont se rapporte ” la publication de la liste complète et détaillée des bureaux de vote où le vote n’a pas eu lieu “. Une autre a trait à ” la publication au plus tôt et en ligne des résultats bureau de vote par bureau de vote “. Toutes choses que le gouvernement malien se refuse à faire en s’abritant derrière l’inexistence d’une obligation légale en la matière.
Enfin troisième recommandation de la Mission d’observation électorale (MOE-UE) : ” la Cour constitutionnelle, en charge du contentieux électoral, doit faire preuve de transparence dans la motivation de ses décisions “.
C’est dire combien l’Union européenne est en phase avec les candidats contestataires maliens.
Saouti Haïdara
L’Indépendant