Le plus gros fabricant chinois d’armes, Norinco, est une nouvelle fois mis en cause pour avoir vendu des équipements au Soudan du Sud. En pleine guerre civile, l’entreprise aurait vendu pour 20 millions de dollars d’armes légères au gouvernement de Djouba, selon un rapport des Nations unies rendus public la semaine dernière.
Pour les experts onusiens, l’entreprise China North Industries Corp, plus connue sous le nom de Norinco, a vendu cent lanceurs de missiles antichars HJ-73D, 1 200 missiles, 2 400 lanceurs de grenades, 10 000 fusils automatiques et 24 millions de munitions diverses. Selon l’ONU, le pays aurait également acheté quatre hélicoptères d’attaque à la Chine. La vente aurait eu lieu en juillet 2014 alors que la guerre civile battait son plein. Le Soudan du Sud affirme que le contrat était signé bien avant le conflit et que Norinco n’a fait qu’honorer ses engagements.
Pourtant la Chine, par le biais d’un de ses porte-parole cité par l’agence américaine Bloomberg, affirmait avoir mis un terme à ses ventes d’armes au Soudan du Sud. La Chine n’est d’ailleurs pas le seul pays mis en cause. Des fabricants israéliens et russes sont également pointés du doigt. Mais l’implication de la Chine dans cette affaire est d’autant plus problématique que le pays entend jouer les médiateurs dans le conflit soudanais.
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La Chine a déployé dans la zone un bataillon d’infanterie composé de 700 casques bleus, et Pékin fait également partie des négociateurs internationaux aux côtés de la troïka britannique, norvégienne et américaine, de l’ONU et de l’Union africaine. La Chine joue un jeu trouble dans la région, comme le montre l’accueil en grande pompe la semaine dernière à Pékin, d’Omar Al-Béchir pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre au Darfour.
Norinco entend profiter de ces contacts « privilégiés » de Pékin sur le continent. L’entreprise qui existe depuis 1980 est le symbole de l’ambiguïté qui entoure le complexe militaro industriel chinois. La société est publique et emploie près d’un million de personnes officiellement, 263 000 selon des sources diplomatiques occidentales. Son chiffre d’affaires est passé de 26 milliards d’euros en 2010, à plus de 40 milliards actuellement.
La plupart de ses armes légères sont produites dans l’usine 66 de Pékin, mais 80 % de sa production est constituée de matériel civil : armes de poing et fusils de chasse. La marque est célèbre pour ses copies de Winchester, la Norinco YL-1897, et de Remington. Mais elle produit également des blindés légers, des chars, des RPG… « Norinco est aussi très actif dans le génie civil, explique Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’IRIS et ancien attaché militaire à Pékin. L’entreprise fabrique des équipements pour les forages pétroliers, du matériel hospitalier et des armes… Elle vend aussi bien des turbines que des fusils pour protéger les champs pétroliers. Norinco vend surtout du matériel militaire de seconde catégorie, des copies de matériel occidental, beaucoup moins cher et plutôt de bonne qualité. Il vise surtout les pays en guerre. »
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Ses copies de l’AK 47, les S2, se vendent d’ailleurs comme des petits pains. « Le PIB chinois, c’est 10-15 % de contrefaçons, explique l’ancien officier français. Les complicités se trouvent au plus haut niveau de l’Etat. » Norinco a une réputation sulfureuse : depuis 1993, l’entreprise ne peut plus exporter aux Etats-Unis autre chose que des fusils de chasse. Des filières clandestines de ventes de lance-roquettes antichars ont été démantelées dans les années 1990 par le FBI. Entre 2002 et 2007, Norinco a été sanctionné sept fois aux Etats-Unis pour avoir vendu des armes à l’Iran, à la Syrie et à la Lybie de Khadafi.
Plus récemment, en mars, une cargaison de cent tonnes d’explosifs de Norinco a été retrouvée dans un navire arraisonné par les garde-côtes américains au large de Cuba, et des bombes au chlore estampillées Norinco auraient été découvertes sur les champs de bataille syriens. « Cela ne gène pas du tout la Chine de vendre des armes à ces pays-là, et lorsqu’ils se font prendre, en général par les Etats-Unis, ils disent qu’ils ne sont pas au courant, explique Jean- Vincent Brisset. C’est une vision uniquement mercantile des ventes d’armes. »
Norinco possède une vingtaine de bureaux de représentations dans le monde. Il est le descendant du premier arsenal chinois fondé en 1931. L’Afrique est très friande de cet armement chinois. Traditionnellement, le Zimbabwe était le point d’entrée des armes chinoises en Afrique, mais on retrouve aujourd’hui ces armes made in China un peu partout sur le continent : la Centrafrique et le Tchad sont ainsi de bons clients de Norinco et lui achètent des blindés légers beaucoup moins chers que le matériel occidental.
La RDC a un patrouilleur chinois, la Namibie possède un escadron d’avions de chasse chinois de douze appareils, des K8 qui sont des clones de Mig 21, le Nigeria a aussi un escadron d’avions de chasse chinois et le Soudan du Sud des petits missiles achetés chez Norinco.
La Tanzanie, quant à elle, dispose de six navires chinois, trois escadrons d’avions de chasse et deux avions de transport militaire. La Zambie et le Zimbabwe, enfin, ont des avions militaires chinois. Seule l’Afrique du Sud fabrique elle-même son arsenal militaire. Cette « Chinafrique » des armes que Jean-Vincent Brisset nous détaille par le menu est souvent le fait de cette nébuleuse Norinco qui profite du mélange des genres, sur place, entre les attachés militaires chinois et les représentants de l’entreprise.
Source: lemonde