« Oh rage ! Oh désespoir ! Oh vieillesse ennemie… », nous apprend-on dans Le Cid (Corneille). Dans le Mandé profond, l’adage nous dit : « Kôrô tè môgô sigui ni a kè baga tè i bolo ». Autrement dit, la vieillesse n’est pas synonyme de repos quand on a personne pour prendre la relève !
Ma vénérable Mamy Noumousso Comagara est presque morte à la tâche. Officiellement, elle avait 80 ans à son décès. Mais, je suis convaincue qu’elle avait 5 à 10 ans de plus. Mais, la veille de son décès, elle avait passé la journée dans son potager. Même si physiquement le poids de l’âge se faisait sentir, elle avait gardé toutes ses facultés. Elle voyait clairement, entendait bien.
Comme le disait Henri-Frédéric Amiel (Journal intime, le 10 juin 1877), « qu’est-ce qui fait les belles vieillesses ? La santé physique, le cœur aimant, la sérénité d’âme, la bonté, l’espérance. Gare au découragement stérile, à la misanthropie chagrine, à la sauvagerie morose ».
Travailler faisait partie de sa vie. Mère de 7 enfants, 4 hommes et 3 femmes, elle n’a jamais manqué de relève même si ses trois premiers garçons sont vite partis à l’aventure en Côte d’Ivoire (l’aîné) et au Sénégal. Avec un époux ancien combattant et chef des chasseurs de la contrée puis chef du village, elle ne pouvait pas manquer de bras valides pour se reposer sur eux.
« Le travail ne tue pas, il ennoblit », me disait celle qui est encore citée comme une référence dans son village. « Ta grand-mère était une femme exceptionnelle de bravoure, de courage, de générosité et d’humilité », me racontent souvent ceux qui l’ont réellement connue.
« Voilà une femme qu’on ne voyait chez personne demander du feu ou des condiments ou pour d’autres services. Et pourtant, elle était là pour tout le monde. Quand une ménagère manquait de quelque chose et qu’elle était désespérée, ses camarades lui disaient ‘va voir chez Bah Noumousso’. Et très exceptionnellement, la personne revenait les mains vides », m’a récemment rappelé une vieille tante.
Et d’ajouter, « elle avait seulement horreur qu’on vienne lui demander du feu ou des condiments après le crépuscule. Sauf cas d’urgence, comme un étranger qui débarque le soir, l’imprudente était renvoyée sans ménagement ».
Son temps, elle le passait entre son parc à bétail (l’un des plus nantis de la contrée à l’époque), son potager et ses rizières. Détentrice de sciences thérapeutiques, elle était aussi sollicitée comme sage-femme ou guérisseuse bénévole. Toute sa vie, elle n’a laissé aucune belle-fille s’occuper de sa cuisine, de ses habits ou de ceux de son époux. Et nous, les petits-enfants, étaient plus heureux de savourer sa cuisine que les mets préparés par nos mères.
Je me rappelle que lors de son décès, il y a près de 30 ans, elle avait tout préparé, du linceul à la nourriture qui n’a pas manqué. Personne n’a dépensé un kopeck pour ses funérailles et la cérémonie du 40e jour. Elle avait laissé des consignes fermes au seul fils qui était resté au village : vendez les têtes qu’il faut, mais je ne veux déranger personne après ma mort. Et pendant mes funérailles et les sacrifices, il faut que tout le monde ait à manger autant de jours que les gens seront là…
Noumousso a vécu dans la dignité par le travail et s’en est allée digne laissant la légende enseigner sa bravoure, son courage et sa noblesse aux nouvelles générations. A l’image du Laboureur (Le Laboureur et ses enfants de La Fontaine), elle a eu la sagesse de montrer à toute sa descendance, avant de s’éclipser de la scène de la vie, que « le travail est un trésor » !
Cette ferme volonté d’autonomisation en gagnant la vie à la sueur de son front, cette quête de dignité est un héritage transmis presqu’à toute sa descendance.
Moussa Bolly
Le Focus