Les autorités judiciaires maliennes devraient respecter scrupuleusement le droit à l’application régulière de la loi dans l’affaire des cinq hommes détenus depuis décembre 2020 au motif qu’ils auraient voulu fomenter un coup d’État contre le gouvernement de transition malien, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les préoccupations portent sur le manque de preuves et les détentions provisoires prolongées.
Le 2 mars 2021, la Cour d’appel de Bamako, en réponse à une requête de la défense, a prononcé l’annulation des procédures, faute de preuves, et ordonné la mise en liberté immédiate de ces cinq hommes. Le Procureur général du Mali a immédiatement contesté cette décision en procédant à un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, laquelle devra examiner la décision de la Cour d’appel mi-avril.
Le manque de preuves retenues contre les prévenus, mis en évidence par la Cour d’appel, ainsi que les violations des procédures régulières selon le droit international, soulèvent des préoccupations quant à l’existence de motivations d’ordre politique dans le traitement réservé à cette affaire par le gouvernement. Le 18 août 2020, ce gouvernement était lui-même arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État militaire.
« Le gouvernement de transition malien a promis de respecter l’État de droit, mais des irrégularités dans l’affaire du “complot” suggèrent qu’il en va autrement », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch. « Si des preuves pour fonder une déclaration de culpabilité ne peuvent pas être présentées, les autorités devraient abandonner les poursuites et libérer les détenus. »
Le 21 décembre, des agents de la sécurité de l’État ont arrêté les cinq hommes : le journaliste Mohamed Youssouf Bathily, ainsi que Vital Robert Diop, Souleymane Kansaye, Mahamadou Koné et Aguibou Tall, des hauts fonctionnaires ou des administrateurs d’entités publiques et parapubliques. Les agents de la sécurité les ont conduits au siège de la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), qui n’est pas habilitée à détenir des suspects, mais qui les a pourtant détenus au secret pendant plusieurs jours, sans leur permettre d’accéder à leurs avocats ou à leurs familles.
Entre les 23 et 25 décembre, les suspects ont été transférés vers un camp de la gendarmerie à Bamako, où ils ont eu accès à leurs avocats. Ils ont été placés en état d’arrestation formel et informés des charges retenues contre eux. Des documents présentés en cour et que Human Rights Watch a passés en revue indiquent que les hommes ont été accusés de complot contre le gouvernement, d’association de malfaiteurs et, dans le cas du journaliste, d’offense à la personne du chef de l’État.
Un sixième homme, Sékou Traoré, qui avait également été arrêté en décembre en rapport avec la tentative présumée de coup d’État, a été libéré quelques jours plus tard. Son dossier a été renvoyé directement devant la Cour suprême en raison de son statut de ministre.
Un septième homme, l’ancien premier ministre Boubou Cissé, est cité dans les documents présentés en cour comme étant l’architecte présumé du complot, mais on ignore toujours où il se trouve. Le 24 décembre, au moins cinq hommes cagoulés et armés ont perquisitionné le domicile de Cissé sans mandat et auraient agressé plusieurs personnes qui s’y trouvaient, d’après un proche associé de Cissé interrogé par Human Rights Watch et selon des articles de presse.
Le 31 décembre, un juge d’instruction a placé les cinq suspects sous mandat de dépôt et les a transférés vers la prison centrale de Bamako. Le journaliste, Mohamed Youssouf Bathily, alias Ras Bath, a allégué qu’on lui avait coupé ses dreadlocks contre son gré lors de sa détention. Le 27 janvier, le procureur a rejeté la demande de libération provisoire présentée par la défense.
Le 16 février, Alou Nampé, alors avocat général près la cour d’appel, a entendu les arguments présentés dans le cadre de l’affaire et recommandé l’abandon des poursuites faute de preuves et la mise en liberté immédiate des détenus. Une semaine plus tard, le 23 février, le ministre de la Justice a muté les juges chargés du dossier – qui devaient suivre la recommandation de Nampé – vers d’autres fonctions. Néanmoins, le 2 mars, la Cour d’appel a annulé la procédure.
Human Rights Watch reste préoccupée par le fait que les autorités maliennes pourraient poursuivre la procédure contre les cinq hommes et prolonger leur détention sans disposer de preuves suffisantes à l’appui de leurs allégations. Un communiqué de presse publié par l’accusation le 31 décembre alléguait l’existence de « contacts suspects soutenus » entre certaines des personnes mises en cause visant le « sabotage » du gouvernement de transition.
Quatre sources consultées par Human Rights Watch qui ne faisaient pas partie de la défense ont constaté que le dossier était dénué de détails et de preuves matérielles tels que des interceptions, des données financières et des déclarations de témoins pouvant appuyer les accusations.
Ces quatre sources ont également fait part de leur préoccupation quant au respect des procédures régulières dans cette affaire, notamment la détention illégale initiale effectuée par la DGSE et son échec à divulguer les résultats de son enquête au procureur ou aux avocats de la défense, ainsi que les changements apportés dans la composition du personnel de justice chargé de trancher dans ce dossier.
En vertu du droit civil malien, l’État peut faire appel d’un acquittement. Cependant, l’État n’a pas précisé pourquoi les prévenus ne pouvaient prétendre à une libération provisoire ou les raisons pour lesquelles ils posaient une menace continue. La poursuite de leur détention n’a toujours pas fait l’objet d’un examen judiciaire. On ignore également quels nouveaux éléments de preuve sont apparus qui pourraient justifier la décision de l’État de saisir la Cour suprême. Un ancien ministre de la Justice, Mamadou Ismaël Konaté, a qualifié sur Twitter la décision de l’accusation du 2 mars d’« offensive néfaste pour contrecarrer les effets d’une décision au pénal ».
Les principes fondamentaux relatifs à une procédure régulière et au droit à un procès équitable sont définis dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies et dans les Directives sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique (« Principes africains sur le droit à un procès équitable ») de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Les Principes africains sur le droit à un procès équitable indiquent que « tout individu privé de liberté doit être détenu dans un lieu de détention officiellement reconnu ». Une personne arrêtée et inculpée pour une infraction pénale ne devrait pas être placée en détention préventive « [à] moins que des éléments de preuve suffisants rendent nécessaire la prise de mesures » pour empêcher que cette personne « ne s’évade, n’influence les témoins ou ne constitue une menace manifeste et grave pour d’autres ».
Les Principes africains sur le droit à un procès équitable précisent par ailleurs que le droit à être entendu équitablement repose notamment sur « la garantie que les droits ou obligations de la personne ne soient affectés que par une décision reposant exclusivement sur des éléments de preuve présentés devant l’instance juridictionnelle ». Les Principes directeurs des Nations Unies applicables au rôle des magistrats du parquet prévoient quant à eux que « [les] magistrats du parquet n’engagent ni ne continuent des poursuites ou font tout leur possible pour suspendre la procédure lorsqu’une enquête impartiale révèle que l’accusation n’est pas fondée ».
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