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Justice : L’impossible pari du Ministre Bathily

La nomination de M. Mohamed Ali Bathily à la tête du Ministère de la Justice avait suscité  au Mali des sentiments contrastés. Au sein de l’opinion publique, un réel espoir s’était exprimé en raison tant de  la personnalité de l’impétrant, qui passe pour être un intellectuel tenant en horreur l’injustice et l’arbitraire, qu’en raison du contexte politique du moment.  Le choix porté sur l’homme par le Président fraîchement élu, IBK, pour diriger le Ministère de la Justice apparaissait en effet comme un signal fort d’une véritable révolution dans la gouvernance de la justice.

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Quant aux milieux judiciaires, les sentiments y étaient plutôt partagés : d’aucuns – ils sont probablement les plus nombreux – voyaient avec méfiance et crainte en cette nomination une manifestation d’une tentative de reprise en main par le pouvoir politique d’un appareil judiciaire gangrené par la corruption et les mauvaises pratiques  tandis que d’autres s’étaient montrés plutôt sceptiques. Ces derniers, qui se fondent également sur la personnalité du nouveau Ministre, exprimaient en privé des doutes sérieux sur la capacité de celui-ci  à réussir la mission que le Chef de l’Etat venait de lui confier.

 

 

Plusieurs mois après sa prise de fonction, quelle appréciation peut-on faire de l’action du Ministre  Bathily à la tête du département sensible de la Justice ? L’intéressé justifie-t-il l’espoir suscité par sa nomination ou au contraire donne  t-il raison à ceux qui ne se faisaient aucune illusion dès le début sur son aptitude à mener les nécessaires changements dont la justice malienne a aujourd’hui un cruel besoin ?

 

 

S’il n’est pas question de dresser d’ores et déjà un bilan de l’action du nouveau Ministre de la Justice, qui a besoin d’un peu plus de temps pour faire ses preuves tout comme d’ailleurs l’ensemble du gouvernement de M. Oumar Tatam Ly, l’on peut cependant risquer un avis sur sa conception de la réforme de la Justice, sur sa méthode de gestion des dossiers judiciaires et sur la relation inédite qu’il entretient avec le parquet.

 

 

Bathily : quelle vision de la réforme de la Justice ?

Pour surmonter les difficultés et obstacles que rencontre la distribution de la Justice dans notre pays, le gouvernement a engagé depuis 1999 un vaste programme de réforme. De toute évidence, de nombreuses faiblesses et insuffisances demeurent, même  si cette reforme a permis d’atteindre un certain nombre d’objectifs : meilleur accès géographique des justiciables à la justice, renforcement en nombre et en qualité du personnel (magistrats, huissiers, greffiers, secrétaires de greffe, auxiliaires de Justice), construction des infrastructures et  équipements.

 

 

Il eût été sans doute plus intéressant que le premier ministre de la Justice nommé par le Président IBK, pour faciliter la lisibilité de son action à la tête du département et la faire partager par les différents acteurs, donnât des indications claires et précises  sur l’analyse qu’il a de la mise en œuvre du programme de réforme engagé depuis maintenant près de 15 ans et sur les correctifs à y apporter. Le Ministre donne malheureusement l’impression que la réforme de la Justice se limite au volet « lutte contre la corruption » alors que l’émergence dans le pays d’un service public de la justice plus performant et plus accessible est un impératif qui dépasse au Mali largement la seule problématique de la corruption.

 

 

Quid de la  méthode Bathily ?

 

Monsieur Bathily, qui agit manifestement sans évaluation préalable et sans la nécessaire mise en perspective de sa propre vision de la mission qui lui est assignée, semble se condamner à agir au coup par coup et dans une permanente improvisation.

L’impression négative qui s’en dégage  est renforcée, à tort ou à raison, par le fait que le ministre soit monté personnellement en première ligne dans de récents dossiers judiciaires fort médiatisés tels que la levée des mandats d’arrêts lancés contre certains responsables du Mnla ou l’affaire Adama Sangaré.

 

 

Ce choix, qui ne manque au demeurant ni de panache ni de courage, peut certes servir la popularité personnelle du Ministre et asseoir la crédibilité du Président de la République, qui s’est engagé publiquement à donner en quelque sorte  un coup de pied dans la fourmilière de la Justice malienne. Mais on peut douter qu’il recueille l’adhésion de certains acteurs judiciaires importants tels que les Procureurs généraux et les procureurs de la République. Ces derniers, qui dénoncent à demi-mots une intrusion dans leur domaine de compétence, s’offusquent fréquemment de voir le Ministre agir et parler à propos de dossiers judiciaires dont ils ont la charge et ce sans aucune concertation préalable.

 

 

C’est peu de dire que le volontarisme affiché par le Ministre gène et crée la méfiance parmi ses collaborateurs les plus proches, qui n’osent plus donner leur avis même quand ils sont consultés.

 

 

De manière générale, la démarche de Monsieur Bathily, qui ne dédaigne pas se mettre en scène, paraît peu structurée et peu partagée par les acteurs judiciaires. Avec une telle méthode, qui traduit en dépit des apparences une faiblesse de leadership dans un secteur qui appelle un changement en profondeur et qui est à la source de beaucoup d’insatisfactions et de mécontentement, l’intéressé prend également le risque de l’exposition personnelle en s’abstenant d’utiliser les fusibles que sont les membres du cabinet ministériel. Lesquels, curieux de la suite de l’histoire, feignent de se frotter les mains.

 

 

Une relation inédite avec le parquet

Depuis quelque temps, et il faut souligner à la décharge du Ministre Bathily que les faits en cause ne datent pas de sa nomination, l’on constate la survenance d’incidents multiples entre le parquet et la chancellerie, c’est-à-dire le Ministère de la justice. Les premiers remontent à la Transition, où parfois le Ministre en personne a du monter au créneau, pour démentir les propos tenus par le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako.

Cette étrange situation ne s’est pas améliorée avec l’arrivée de Monsieur Bathily aux commandes du département. On peut même dire qu’il s’est instauré depuis entre le cabinet et le parquet général de Bamako une véritable guéguerre marquée épisodiquement par des éclats dans la presse. Tantôt, c’est le Ministre qui s’y épanche dans la presse sur les difficultés qu’il a à voir appliquer ses instructions par des procureurs, tantôt c’est le Procureur qui opine publiquement et, devant médias, sur des orientations fixées par le Gouvernement en émettant des doutes sur la sincérité des choix opérés. Plus préoccupant : le Ministre va jusqu’à mener des débats de « juristes » avec le Procureur général sur le bien-fondé de telle ou telle décision gouvernementale.

Le refus du parquet général et du parquet de la Commune III de procéder à une nouvelle arrestation du maire du District Adama Sangaré et les critiques du Procureur général Tessougué contre la levée des mandats visant des dirigeants du Mnla illustrent cette dégradation des relations entre le chef du département en charge de la Justice et le parquet général de Bamako.

 

 

Plus profondément, cette évolution, qui est inédite au Mali, amène les observateurs à pointer du doigt le manque d’autorité du Ministre qui, pour beaucoup, semble ne pas tirer les conséquences du fait qu’au point de vue administratif il est avant tout le chef hiérarchique du Procureur général. En cas de conflit entre un ministre et un procureur, se plaît- on à rappeler, c’est au second de se soumettre ou de se démettre. Avec un procureur général hostile, un procureur anti – corruption pour le moins réservé à son égard et surtout des syndicats de magistrats décidés à lui barrer la route, Monsieur Bathily a t- il en mains les atouts nécessaires à la réussite de sa mission ? A terme, cette mission semble vouée à l’échec, à moins que la deuxième personnalité du Gouvernement en termes de préséance montre de nouvelles dispositions. Comment ? En créant une dynamique autour des changements dans la Justice, et en initiant un véritable plan d’action permettant de décliner plus clairement ses intentions.

Birama FALL

SOURCE: Le Prétoire

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