J’ai 30 ans de métier dont 26 ans au Mali, au Sahel. Au cours de ma carrière, pour RFI, dans les années 90, j’ai effectué des reportages en Sierra Léone, au Libéria en guerre. J’ai vu des atrocités. Par exemple à Bô, ville de la Sierra Léone, j’ai croisé un bus bondé de monde brûlé par les rebelles. J’ai vu des membres d’hommes, de femmes et d’enfants coupés par les rebelles, mais les belligérants ne touchaient pas aux journalistes. J’ai réalisé également, en 2003, de nombreux reportages dans le nord de la Côte d’Ivoire. Là également, les belligérants ne touchaient pas à un seul cheveu de journalistes.
Je couvre les problèmes de sécurité au Sahel depuis 20 ans. Cette vaste zone est désormais un carreau de feu placé dans le ventre du monde. On ne peut plus aller sur le terrain pour travailler librement et en toute sécurité. Trop dangereux. Je vais étonner : c’est même plus dangereux que lors de l’occupation du septentrion du Mali par les jihadistes. En 2012, alors que les jihadistes occupaient le nord du Mali, pour l’AFP, Issouf Sanogo photographe et moi, nous nous sommes rendus à deux reprises dans le nord, avec le feu vert des jihadistes. A aucun moment ils ne nous ont jamais menacés physiquement, même s’ils n’étaient pas toujours contents de notre travail. La sécurité physique, on l’avait. Et pour décrire les faits, tout est dans la subtilité. Je me souviens d’un reportage à Gao. Je voulais montrer que les jihadistes prônaient un islam rigoriste. A un groupe de filles de la ville, j’ai posé naïvement cette question : « Avez-vous encore l’occasion de voir vos petits amis ?» Bintou, 20 ans, répondit au non de toutes : « Il n’y a plus ça ici. On est même séparé des garçons en classe ». L’essentiel était dit. Les maîtres de la vie pratiquaient un islam rigoriste.
Aujourd’hui, pour se rendre dans le Sahel quasiment aucun journaliste occidental ne se déplace seul pour des raisons de sécurité. Les journalistes qui s’y rendent ont essentiellement deux possibilités : être « embedded » (embarqués) par les troupes françaises Barkhane ou profiter d’une Mission de l’ONU au Mali. Dans les deux cas, on a une sécurité relative, mais on n’est pas maître de son agenda, de son temps. Le plomb sécuritaire rend un peu fades les reportages. Je me souviens que, récemment en reportage à Tessalit avec la mission de l’ONU, je n’ai pas pu me rendre à une vingtaine de kilomètres de cette localité pour réaliser une enquête sur une mine d’or, dont l’exploitation est contrôlée par les jihadistes.
Ceux qui pensent que les jihadistes ont besoin de journalistes à leur côté pour leur Com se trompent. Ils ont eux-mêmes leurs canaux de communication. Le journaliste étranger est une cible, au même titre que les militaires de la coalition anti-terroriste qui sont sur le terrain. Plus particulièrement dans le collimateur des jihadistes, les journalistes occidentaux. Pour les jihadistes, enlever un journaliste occidental fait même plus de bruit que de kidnapper un touriste.
Comment s’informer alors ? Comment informer le public ? La
connaissance physique du terrain est importante. Il y a quelques années, toujours en reportage dans le nord du Mali, à la frontière entre le Sahel et le grand désert, j’ai croisé un véhicule couvert plutôt de boue, en tout cas d’un sable couleur plutôt cendre. Echangeant avec le conducteur, pensant me bluffer, il m’a dit qu’il venait du grand désert. Tout de suite, j’ai démenti : Il venait du Sahel, le sable du grand désert étant plutôt très fin.
La question des sources d’informations nécessite une attention particulière. On ne peut pas parler du Sahel sans connaître les communautés qui y vivent, les relations qu’elles entretiennent entre elles. Pendant longtemps sur les questions du Sahel, un homme et une femme qui étaient quasiment en couple ont roulé dans la farine les journalistes. Les deux habitaient sous le même toit, mais alors que la femme se livrait à la presse en qualité « d’humanitaire », l’homme se présentait comme un des porte-parole de la rébellion.
En 2012, comme une trainée de poudre, en tout cas pour un bon moment la doxa était : « le MNLA, un mouvement indépendantiste touareg affronte l’armée malienne et remporte des victoires importantes ». Evidemment, c’était faux. Le mouvement indépendantiste était main dans la main avec des groupes jihadistes contre l’armée malienne. Une simple connaissance des réalités locales, de la dimension tribale de la crise, aurait permis de comprendre que les indépendantistes déclarés faisaient de la communication.
Je connais un acteur important du nord du Mali depuis 20 ans. Hamada Ag Bibi est un ancien député à l’Assemblée nationale. Originaire de Kidal, ville du nord-est du Mali, il ne cache pas que si le gouvernement lui demande, il peut faciliter les discussions avec les groupes djihadistes. Il est connu pour être un des médiateurs qui a permis de libérer de nombreux otages européens dans le Sahel. En 2006, une nouvelle rébellion éclate à Kidal. Après avoir vidé les magasins d’armes de l’armée régulière sur place, les rebelles ont regagné des montagnes de la région de Kidal pour négocier. J’ai décidé de me rendre dans ces montagnes. Hamada Ag Bibi qui était mon interlocuteur a organisé ce voyage. Si j’ai accepté d’effectuer le déplacement, c’est parce que je le connaissais bien. La connaissance des acteurs est utile.
La vie d’un journaliste au Sahel n’est pas toujours gaie même à Bamako, la capitale malienne : barbelés autour de la maison, précautions à prendre dehors….
Source : Par Serge Daniel Journaliste-écrivain