La France et les Etats-Unis investissent de plus en plus dans le renseignement, aux côtés de leurs partenaires africains, afin de contrer la menace jihadiste, de l’ouest à l’est du continent, en passant par la Libye.
Déploiement de drones, forces spéciales mais aussi meilleur partage de l’information entre les différents acteurs présents sur le terrain: le sujet a été au c½ur du Forum de Dakar sur la sécurité en Afrique lundi et mardi.
“Il faut une meilleure coopération en matière de renseignement et de formation des forces spéciales”, a martelé le chef d’état-major des armées françaises, le général Pierre de Villiers.
“Etre renseigné, être capable de suivre la cible et la neutraliser, c’est une trilogie essentielle” sur des théâtres aussi vastes que le Sahel, a-t-il dit.
“La menace la plus aiguë reste assurément le terrorisme jihadiste”, a renchéri mardi le président sénégalais Macky Sall lors de la Journée des forces armées, exhortant l’état-major à “développer un système de renseignement performant, capable même de savoir ce que l’ennemi va penser”.
Il a appelé à agir “dans l’anticipation, plutôt que dans la réaction”, afin de priver le jihadisme de son principal atout, l’effet de surprise.
Dans ce domaine très sensible, où chaque Etat veille jalousement sur sa collecte de renseignement, un marqueur précieux de sa souveraineté, le “donnant-donnant” est un principe clé, aussi bien entre grandes puissances et Etats africains qu’entre pays voisins parfois tiraillés entre rivalités régionales et intérêts communs.
En septembre 2014, un raid américain a tué le chef du groupe islamiste shebab en Somalie, Ahmed Abdi Godane, localisé par les services de renseignement français, l’armée ougandaise revendiquant une contribution importante en matière de renseignement.
Si la France peut apporter du renseignement “technologique” avec ses drones, images satellitaires et avions, elle a aussi besoin de “renseignement d’ordre humain que seules les forces locales peuvent donner”, a souligné le général de Villiers.
– 1.400 soldats américains déployés –
Que ce soit pour traquer des jihadistes, découvrir des caches d’armes, casser des flux logistiques ou protéger les forces françaises sur le terrain, les informations recueillies auprès d’une kyrielle d’ethnies et tribus sont précieuses.
“Nos camarades africains ont une excellente intelligence de ce qui se passe sur leur territoire”, note un responsable militaire au c½ur de l’appareil de renseignement français, “il y a des endroits où nous, on n’ira jamais”.
Les Français ont ainsi un “vrai échange de renseignement” avec les Tchadiens, partenaires privilégiés dans la lutte contre le jihadisme, note une autre source militaire française.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’est aussi félicité de la “bonne coordination en matière de renseignement” face au groupe islamiste nigérian Boko Haram, qui déstabilise les pourtours du lac Tchad. “Français, Britanniques et Américains apportent des éléments significatifs” aux pays de la région, a-t-il relevé.
Grâce à ses avions Rafale, la France fournit de l’imagerie analysée à l’armée nigériane aux prises avec Boko Haram, qui a prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI), et dont les actions débordent sur le Niger, le Tchad et le Cameroun, souligne-t-on au ministère de la Défense.
Les Etats-Unis ont aussi annoncé le déploiement de 300 soldats dans le nord du Cameroun, avec un objectif numéro un: le renseignement. Ils devraient ainsi y déplacer des drones Reaper aujourd’hui stationnés au Niger, pour la surveillance du Sahel, indique une source ministérielle.
Le commandant des opérations spéciales américaines en Afrique, le général Donald Bolduc, a affirmé au début du mois que près de 1.400 soldats des forces spéciales des Etats-Unis étaient intégrés aux armées locales dans 23 pays du continent.
Les armées africaines doivent de leur côté acquérir un meilleur savoir-faire. “Apporter du renseignement utile aux forces sur le terrain, cela n’existe pas vraiment”, concède un spécialiste français.
Les pays d’Afrique de l’Ouest s’inquiètent aussi d’une radicalisation religieuse importée de pays du Moyen-Orient via le financement d’écoles coraniques et de mosquées.
“Il existe aussi un vrai risque de diffusion de Boko Haram vers l’Ouest, le Burkina, le Sénégal, la Côte d’Ivoire”, relève un responsable français du renseignement en notant la présence de quelques Sénégalais dans les rangs de la secte.
Les Français intensifient aussi leur coopération avec l’Egypte et la Tunisie, deux pays au contact direct du “chaos” libyen où l’EI grignote progressivement du terrain.