Il a tenu divers emplois précaires pour finir dans le vestiaire d’une boîte de nuit qu’il quittera un lundi du mois d’octobre 2016. Depuis, les jours se suivent et se ressemblent pour Seydou Traoré qui a pourtant bûché durant cinq ans pour décrocher un master en Gestion des ressources humaines. A 32 ans révolus, il vit encore au crochet de ses parents. L’espoir de trouver un emploi décent s’estompe, faisant place à «l’aigreur» qui pervertit constamment son humeur.
Toujours seul sous un manguier devant la maison paternelle à Sébénicoro, le thé lui est d’un grand secours pour ne pas s’empoter, à la moindre des choses, comme un agité du bocal. Sirotant un verre, il lâche, humeur aigre: «Avec mon diplôme, obtenu en 2014, je n’ai même pas réussi à décrocher un stage digne de ce nom».
Qu’ils soient de la capitale ou des régions, les jeunes ont presque les mêmes attentes depuis bien longtemps : trouver un travail, s’insérer dans la société, vivre dignement. Si ces jeunes, plus matérialistes, rêvent de conduire leur voiture et de construire leur villa, ce qu’ils désirent avant tout, c’est de pouvoir le faire ici, au Mali, sans être obligés d’aller risquer leur vie sur des bateaux de fortune en Méditerranée.
Sauf que les débouchés sont limités dans la Fonction publique ou dans le secteur privé. En attendant de trouver du travail dans leur spécialité, les diplômés vivotent de petits boulots. Il suffit en effet d’arpenter les rues et les marchés de la capitale pour rencontrer des jeunes diplômés (Juristes, géographes ou sociologues) qui tentent désespérément de joindre les deux bouts en vendant qui des vêtements, qui des pièces détachées, qui des denrées alimentaires ou des cartes de recharge téléphonique.
Dans le silence de sa boutique, à quelques pas de la cathédrale de Bamako, Amadou Samaké boucle son bilan comptable du jour : Environ 25.000 FCFA de bénéfices réalisés dont une partie sera restituée à son «bailleur». Le reste servira à couvrir une multitude de dépenses. Tout est calé au détail près par le jeune juriste de formation, devenu commerçant de pièces détachées par la «force des choses». Le pauvre hère, après avoir passé des mois à errer entre les services à la quête d’un autre emploi, finit par se lancer dans le commerce.
Autant que pour Amadou, l’informel s’est érigé pour de nombreux jeunes en cache-misère d’un marché du travail et de systèmes éducatifs inadaptés. Le phénomène de chômage et de sous-emploi des diplômés de l’enseignement supérieur pose le sempiternel problème de l’inadéquation entre l’offre et la demande, entre les formations proposées par les universités et les besoins du marché de l’emploi.
Premier grief envers certaines de ces formations : elles expédient les jeunes vers des voies de garage, notamment en sciences humaines. « En psychologie, des centaines d’étudiants sont formés alors qu’il y a pas de boulot en fin de parcours, ¬reconnaît un professeur d’enseignement supérieur».
Comme quoi, certes les diplômes supérieurs protègent du chômage, mais tous les lauriers ne se valent pas. Et c’est parmi ces jeunes, bardés de diplômes, que se recrutent les «immigrés clandestins» dont l’Europe forteresse ne sait que faire. Désespérés par l’absence totale de perspectives, beaucoup d’entre eux font le choix de braver la mer pour atteindre « l’eldorado européen» qu’ils n’atteignent jamais vraiment, même quand ils réussissent à fouler ses rives.
D’autres, singulièrement les arabophones deviennent des proies faciles pour les mouvements terroristes, explique Maki Bah, président de l’Union nationale des jeunes musulmans du Mali (UJMMA). Il résume ainsi la situation lors d’un entretien : «Le chômage des jeunes diplômés en arabe est une bombe à retardement», qui semble maintenant dangereusement proche de l’explosion. Mohamed Maki Bah appelle donc les autorités à s’attaquer sans tarder au chantier de l’éducation pour professionnaliser l’enseignement dans nos écoles coraniques et orienter les étudiants vers des formations techniques qui constituent «la voie du salut ».
Cette suggestion est d’ailleurs l’une des recommandations phares du forum organisé, en 2015, sur l’emploi des diplômés en langue arabe. Le leader associatif espère que cette recommandation sera mise en œuvre durant ce second mandat d’Ibrahim Boubacar Kéita, à qui il concède une « réelle volonté d’aider les arabophones ». Et pour preuve, soutient-il, les diplômes en arabe ont désormais une structure entièrement dédiée à la prise en charge de leurs préoccupations. Le régime du président Kéita a aussi facilité la formation professionnelle de plus de 200 jeunes.
«Mais beaucoup reste à faire», dit-il, souhaitant la nomination de conseils techniques chargés des questions des arabophones au niveau du département de l’Emploi et de la Fonction publique. Aussi, a-t-il indiqué la nécessité d’élaborer une politique nationale d’insertion des arabisants qui ne «sont jamais admis aux différents concours nationaux ». Autre préoccupation : Mohamed Maki Bah sollicite l’appui de l’Etat pour aménager les 70 hectares dont dispose l’UJMMA dans le cercle de Macina, afin d’occuper les jeunes qui souhaitent évoluer dans le domaine de l’agriculture.
Face à la pauvreté du marché de l’emploi, beaucoup d’analystes préconisent l’entrepreneuriat. Sauf que la capacité d’entreprendre n’est pas un phénomène spontané. Elle demande de grandes aptitudes intellectuelles ou techniques, mais aussi et surtout un réel courage moral et une authentique indépendance d’esprit. Des attributs qui peuvent être forgés par la Politique. Ainsi depuis son accession au pouvoir, le président Ibrahim Boubacar Kéita a diversifié les actions visant, notamment à redynamiser les programmes d’autonomisation des jeu- nes, à doter les diplômés des compétences requises et à les aider à trouver un emploi.
Ces initiatives ont produit des effets : plus de 200.000 emplois créés en cinq ans. Le président IBK, qui rêve «ses» jeunes en leaders et bâtisseurs du Mali de demain, a promis de redoubler d’attention à leur égard. Un signal fort, « accueilli favorablement par la jeunesse», dit Souleymane Satigui Sidibé, président du Conseil national de la jeunesse du Mali. Selon lui, le principal souci des jeunes reste l’emploi. «Chaque année, les écoles jettent sur le marché de l’emploi des milliers de diplômés», rappelle-t-il. Et préconiser la voie de l’industrialisation pour absorber le maximum de demandeurs d’emploi.
Autre attente soulignée par le président du CNJ : la sécurité. Les jeunes, dit-il, en ont besoin pour s’épanouir. A ce propos, il juge « très prioritaire et urgent » la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. «Il faudra que le président, garant de l’Unité nationale, prenne en main la gestion du suivi, au niveau national, de la mise en œuvre de cet accord», insiste-t-il.
Souleymane Satigui Sidibé souhaite que la jeunesse soit au cœur de la gestion de toutes ces questions, car « nous ne voudrions pas être que des bénéficiaires, mais aussi des acteurs du changement ». Et propose, à cet effet, que les jeunes soient davantage responsabilisés dans les instances de décision du pays.
Issa DEMBÉLÉ
L’Essor