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(interview) Sadio Camara, ministre de la Défense du Mali « sans paix et sécurité, il est utopique de vouloir bâtir des institutions fortes »

Colonel Sadio Camara, ministre de la défense et des anciens combattants : «Le Mali est fortement engagé à bâtir une armée républicaine et respectueuse des droits de l’homme».

 

Fondée le 20 janvier 1961, l’armée est la colonne vertébrale de la souveraineté nationale. Mais, notre outil de défense a été mis en mal par des mauvaises politiques par rapport à sa gestion depuis l’avènement de la démocratie en mars 1991. Au moment même où elle devait faire face à de nouvelles menaces comme l’extrémisme violent, elle s’est retrouvée dépourvue des moyens de riposte face à des redoutables adversaires qui ne lésinent pas sur les moyens et ne s’embarrassent pas de morale (sociale et religieuse) pour parvenir à leurs fins. Aujourd’hui, les autorités de la transition sont déterminées à refonder le Mali. Et en la matière, la reconstruction de l’armée nationale est une priorité absolue car sans paix et sécurité, il est utopique de vouloir bâtir des institutions fortes. Dans un entretien accordé à la presse à l’occasion du 61e anniversaire de notre accession à l’indépendance (22 septembre 2021), le ministre de la Défense et des Anciens combattants, Colonel Sadio Camara, a évoqué cette reconstruction à travers des reformes courageuses et ambitieuses en cours.

Le Mali fait face à un défi sécuritaire depuis plus d’une décennie. Qu’est-ce qui est envisagé au niveau de votre département pour sécuriser voire stabiliser le pays ?

Colonel Sadio Camara : Pour comprendre et évaluer objectivement l’engagement des Forces armées maliennes (FAMa) sur le théâtre des opérations, il faut se rappeler qu’en 2012 une horde d’individus sans foi ni loi a envahi notre pays avec le dessein affiché de détruire notre nation, la plongeant ainsi dans l’une des plus graves crises de son histoire. A la fois politique, institutionnelle, sécuritaire et sociale, cette crise a ébranlé les fondements même de l’Etat et mis à rude épreuve nos forces de défense et de sécurité. Elle a aussi et surtout révélé de profonds dysfonctionnements de notre outil de défense qu’il fallait impérativement et urgemment corriger pour reconstruire notre armée, la moderniser et l’adapter aux besoins de sécurité du pays afin que ce qui est arrivé ne se produise plus jamais.

C’est dans ce cadre que les autorités du pays ont ouvert un vaste chantier de reconstruction des forces armées avec comme objectifs prioritaires : assurer efficacement la défense du territoire national et de la population ; réussir les missions de sécurité publique ; performer dans les opérations militaires spéciales ; protéger les institutions publiques et protéger les populations contre les risques ou fléaux de toute nature et contre les conséquences d’un conflit éventuel. La réalisation de ce vaste et ambitieux chantier de reconstruction de notre armée, on peut le deviner facilement, prendra du temps et nécessitera des sacrifices humains, matériels et financiers énormes que l’Etat s’est engagé à mobiliser.

Cet investissement important, malgré les difficultés économiques et les moyens limités de l’Etat et malgré le contexte hostile marqué par des attaques répétées contre ses bases, a permis aux forces armées maliennes de prendre le chemin du renouveau en disposant aujourd’hui des ressources humaines, matérielles et financières suffisantes pour mener à bien sa mission de protection et de stabilisation du territoire.

Décidé à poursuivre cet investissement vital pour le pays, le département chargé de la Défense a fini d’élaborer une deuxième génération de la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM) qui permettra de consolider les acquis et de renforcer toutes les capacités opérationnelles de l’armée avec un effectif plus important, avec plus d’acquisitions d’équipements, plus de formation et d’aguerrissement des hommes, entre autres.

Pour revenir à la question de savoir ce qu’envisage le département, il faut noter que le rétablissement de la sécurité sur toute l’étendue du territoire est une priorité absolue comme l’attestent l’Axe N°1 de la Feuille de route de la Transition et du Programme d’action du gouvernement (PAG). Je peux ainsi vous assurer que les Forces armées maliennes ont une conscience très élevée de cette mission que la nation attend d’elles pour la réussite de la transition.

Si, toutes les années de crise 2012- 2020 ont été pour les FAMa, des années opérationnelles particulièrement denses et continues dans la lutte pour le retour de la paix et de la stabilité dans le pays, 2021-2022 sera encore plus exigeante et plus difficile puisqu’il s’agira, en plus de ses missions régaliennes, d’accompagner et de sécuriser le processus électoral engagé, dont dépendra la construction du Mali nouveau que tous les Maliens appellent de leurs vœux.

Notre pays, comme vous le savez, est très vaste avec un relief parfois hostile. Ceci explique pourquoi le maillage territorial par les forces est insuffisant, l’armée ne disposant pas encore de toutes les capacités lui permettant d’être partout et en même temps dans toutes les localités du pays. Pour faire face à cette contrainte, nous avons adopté une posture engagée, dynamique et adaptée au contexte qui nous permet de déployer suffisamment de forces de façon progressive, dans les zones affectées par l’insécurité afin de détruire les Groupes armés terroristes (GAT), leurs camps d’entraînement, leurs dépôts logistiques et les chasser des zones qu’ils occupent pour y installer les forces de sécurité et faire face à l’insécurité résiduelle. Pour ce faire, nous avons de façon quotidienne, maintenu un niveau d’engagement élevé sur le théâtre des opérations, en planifiant et en exécutant avec succès plusieurs opérations…

Je comprends les multiples interrogations des populations face à la récurrence des attaques terroristes, malgré l’importance des troupes engagées sur le terrain et les immenses ressources matérielles et financières engagées. Mais, elles doivent comprendre que nous sommes dans une guerre asymétrique, une guerre qui ne répond à aucune norme et ne respecte aucune règle d’une guerre classique, dans laquelle l’ennemi ne recule devant rien y compris les violations des droits, la violence contre les civiles et la manipulation pour assouvir leurs desseins criminels. Nous sommes préparés à cela et nous sommes résolument engagés à y mettre fin.

–Des efforts sont consentis pour équiper convenablement l’armée, mais est-ce que vos hommes sont mentalement et moralement prêts à assumer leur mission ?

Colonel Sadio Camara : La force et l’engagement d’une armée se joue aussi et surtout au niveau mental des hommes. Ceci est incontestablement un facteur multiplicateur de la montée en puissance des forces. Sur ce plan, beaucoup d’actions ont été initiées et ont porté des fruits. Il s’agit, entre autres, de l’adoption d’une politique volontariste de recrutement qui a permis d’améliorer et de rajeunir les effectifs ; de la moralisation et la décentralisation du recrutement qui ont permis de recruter essentiellement des hommes et des femmes qui ont choisi volontairement le métier des armes et qui en ont la vocation.

En plus, la relecture du statut général des militaires a permis d’octroyer des avantages inédits aux militaires : 10 ans de salaire aux ayants-droit des militaires tombés en opération ou en mission commandée ; 5 ans de salaire en cas d’infirmité irréversible handicapante pour permettre aux grands blessés réformés de se reconvertir dans la vie civile ; des primes de logements et d’opération… Au-delà de ces avantages, la saine distribution des récompenses et des punitions contribue également au réarmement moral des troupes, car elle démontre l’équité et la justice dans le traitement des hommes.

Tout ceci fait qu’aujourd’hui les soldats sont plus sereins quant au devenir de leur famille en cas de décès et sont plus motivés et plus engagés, notamment par la reconnaissance de la nation pour les sacrifices qu’ils consentent, parfois au prix de leur vie, au service du pays. Au-delà des pertes en vies humaines, l’armée est en train de reprendre confiance et de redevenir professionnelle.

-Quelles sont de nos jours les contraintes majeures qui empêchent notre outil de défense d’entrer en possession de ses pleines capacités ?

Colonel Sadio Camara : Je parlerais plutôt des acquis de la montée en puissance de notre armée et non de ce qui l’empêche d’entrer en possession de ses pleines capacités comme vous dites. Vous savez qu’aucune armée, face à ses besoins, ne peut tout avoir et en même temps. Une armée se construit et s’adapte constamment aux besoins de sécurité du pays, à son environnement géopolitique et sécuritaire et à l’évolution des techniques et des sciences. Notre pays est, depuis les douloureux évènements de 2012, fortement engagé à bâtir une armée nationale forte et républicaine, respectueuse des droits de l’homme.

Ce vaste chantier s’inscrit en termes de priorité pour les autorités de la transition. Le Programme d’action du gouvernement de transition définit le cadre d’ensemble de notre sécurité et fixe les objectifs à atteindre, à savoir, doter notre pays, d’un outil de défense adapté aux besoins réels du pays et capable en toutes circonstances de défendre l’intégrité du territoire national, de protéger les populations et leurs biens.

La vision des autorités de la transition s’articule autour des trois axes principaux: Construire l’Armée de nos besoins, c’est-à-dire capable de défendre l’intégrité territoriale, la souveraineté nationale et la forme laïque et républicaine de l’Etat ; développer une politique de ressources humaines cohérente pour rénover le recrutement, maîtriser les effectifs, et améliorer les forces morales des hommes ; tourner l’outil de défense vers l’avenir en l’insérant dans une dynamique de sécurité sous régionale et en adoptant une posture empreinte de vision prospective qui permette à notre outil de défense de s’adapter en permanence à l’évolution de la menace.

Les réformes en cours et celles qui vont suivre visent à doter nos forces de défense et de sécurité des moyens humains, technologiques et matériels nécessaires à leur mission; reformer et renforcer la gestion des ressources humaines de l’armée; créer les conditions pour une utilisation efficace des ressources humaines, matérielles et financières des forces de défense et de sécurité; améliorer les conditions de vie des troupes ;

Cet engagement, nul ne peut en douter, a contribué fortement à moderniser et à adapter notre outil de défense au contexte nouveau de promotion de la sécurité, à créer les conditions les meilleures du plein épanouissement des Forces de défense et de sécurité, à renforcer ses capacités opérationnelles et à améliorer la cohésion et la discipline au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS). Elle a aussi contribué au réarmement moral des troupes, à la réorganisation de la chaîne de commandement, à la mise en condition opérationnelle des troupes, au renforcement des effectifs, à l’amélioration des conditions de vie et de travail des militaires et de leurs familles.

À l’origine de cette mutation au sein de «la Grande muette», la volonté politique affichée par les plus hautes du pays de bâtir une armée nationale à la hauteur des défis du temps. Cette volonté se traduit, essentiellement, par les nombreuses réformes envisagées, notamment la Loi d’orientation et de programmation militaire, le nouveau statut général de la fonction militaire, etc.

L’impact de la FC-G5 Sahel n’est pas perceptible dans la lutte contre le terrorisme. Envisagez-vous une autre forme de coopération entre les pays du Sahel ?

Colonel Sadio Camara : Le G5 Sahel est un instrument crédible au service de la sécurité et du développement de ses pays membres. C’est aussi, un dispositif idéal d’intégration et d’opérationnalisation dans la résolution des problèmes sécuritaires et de développement par les populations elles mêmes qui sont les principales victimes du terrorisme, des trafics illicites, de la criminalité transnationale organisée, de l’extrémisme violent… qui compromettent dangereusement les acquis de notre développement économique et social.

Kofi Annan, l’ancien et défunt secrétaire général des Nations unies ne disait-il pas à propos du G5 Sahel : «Il n’y a pas d’objectif plus élevé, d’engagement plus profond, ni d’ambition plus grande pour les Etats et pour la communauté internationale que la prévention et la gestion des conflits armés» ! La création du G5 Sahel s’inscrit dans cette dynamique. Elle est sous-tendue par une grande volonté politique et un engagement fort des chefs d’État des cinq pays membres (Mali, Burkina, Mauritanie, Niger et Tchad) de circonscrire les préoccupations communes de sécurité, d’amorcer le développement dans l’espace régional, mais aussi, et surtout, de conforter la démocratie afin de s’approprier en toute responsabilité le leadership de leur destinée dans un esprit de coopération mutuellement bénéfique.

Le G5 Sahel est considéré aujourd’hui par les analystes géopolitiques et par tous ses Etats membres comme une approche efficace de coopération interétatique pour la paix, la sécurité et l’intégration économique. Je partage cet avis et je pense très sincèrement qu’il s’agit pour les Etats membres plus d’engagement, plus de mutualisations des moyens et des actions, une meilleure coordination des opérations plutôt que d’envisager une autre forme de coopération. Je voudrais ajouter que contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) est bien présente sur le terrain où elle continue d’intensifier la pression sur les groupes terroristes. Elle a mené de nombreuses opérations avec des résultats très encourageants avec plusieurs dizaines de terroristes neutralisés, du matériel logistique et militaire saisi et des bases détruites, notamment dans la zone dite des trois frontières, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Mais, nous savons tous que la guerre contre le terrorisme, le narcotrafic et la criminalité transfrontalière sera longue, difficile et demandera plus d’engagement et de solidarité entre les Etats membres et entre ceux-ci et tous les partenaires internationaux. Nous savons aussi que la seule réponse militaire n’est pas suffisante pour le retour de la paix et de la stabilité dans la sous région. Le G5 Sahel, étant un projet de développement structurant, pour ses pays membres, il est donc une réponse adéquate face à la situation. Il a besoin d’un soutien continu et accru de la communauté internationale, particulièrement des partenaires stratégiques, pour l’atteinte des objectifs fixés.

Propos recueillis par

Hachi Cissé

Source : Le Matin

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