A l’issue de la visite de terrain qu’il a effectuée sur les sites des logements sociaux de N’Tabakoro, le ministre du Domaine, de l’Urbanisme et de l’Habitat s’est prêté à nos questions. Dans cette interview, Mohamed Aly Bathily s’est montré très comminatoire envers son prédécesseur Dramane Dembélé contre qui il entend engager des procédures judiciaires pour notamment la construction d’une école sur un espace public des Logements sociaux de N’Tabakoro. Le ministre Bathily menace également d’exproprier tous les particuliers établis sur les sites des logements sociaux de leurs titres fonciers pour cause d’utilité publique, mais aussi, pointe un doigt accusateur sur le député Hadi Niangadou, qu’il soupçonne d’avoir vendu à des députés une dizaine d’hectares expropriés par l’Etat pour cause…d’utilité publique.
En quoi consiste la visite de ce matin ?
Il s’agit de prendre physiquement contact avec l’évolution des chantiers du programme de construction des logements sociaux. J’ai eu à rencontrer les services techniques (la Direction Nationale de l’Urbanisme et l’Office Malien de l’Habitat), ensuite j’ai rencontré les services techniques avec les promoteurs, en salle. Ils m’ont fait part de certains problèmes. Et, pour mieux comprendre la texture de ces problèmes et leur ampleur, j’ai décidé de venir sur le terrain parce qu’il va falloir rechercher des solutions aux problèmes qu’ils ont posés. Donc, cette visite confirme les problèmes que j’ai soupçonnés et qui se posaient sur ces chantiers-là.
Et quels sont ces problèmes, Monsieur le ministre ?
Certains chantiers sont totalement à l’arrêt. D’autres ont du mal à se terminer. Vous avez vu que les travaux de voirie tels que les routes, l’électrification et l’adduction d’eau ne sont pas encore faits. Si les travaux de construction, en eux-mêmes, ont avancé, les travaux qui accompagnent l’installation des personnes humaines sur ces sites, à savoir le transport de l’eau, de l’électricité, les routes…restent à être faits.
Vous avez constaté des cas d’occupations illicites d’espaces dédiés à la réalisation de ces logements sociaux. L’Etat va-t-il prendre des dispositions pour dédommager ceux parmi eux qui ont acquis les parcelles de façon régulière ?
Ecoutez. Je crois qu’il va falloir que nous parlions un seul langage dans notre pays. Le seul langage qui vaille sur ce site est l’expropriation pour cause d’utilité publique. Un décret a été pris à cet effet et un autre décret a été pris pour affecter le site au Ministère de l’Urbanisme. Et, lorsqu’on parle d’expropriation pour cause d’utilité publique, on est déjà dans le domaine public de l’Etat, qui est incessible, inaliénable et imprescriptible.
Donc, quels que soient les documents détenus par les personnes qui sont là, il ne pourrait s’agir que de documents d’une autorité administrative, quelle qu’elle soit ! Or, l’expropriation pour cause d’utilité publique est un décret gouvernemental. Qu’il s’agisse d’un préfet, d’un sous-préfet ou même du gouverneur, sa signature ne peut être au-dessus d’un décret signé par le président de la République, le Premier ministre, le ministre des Finances, le ministre des Domaines, le ministre de l’Urbanisme et le ministre de l’Administration Territoriale !
Quels que soient les documents qu’on a créés, volontairement ou involontairement, ils sont nuls et de nul effet en droit. Ils ne peuvent produire aucun effet. Quand on me dit que les gens sont installés ici, qu’ils ont régulièrement acquis des documents, cette régularité n’existe plus, elle est anéantie par le décret. ANEANTIE !
Que les gens viennent se faire recenser. C’est une bonne chose. Mieux, je vais vous expliquer la raison pour laquelle ils doivent comprendre. Ce terrain-là étant exproprié pour cause d’utilité publique, s’ils construisent là-dessus, ils s’entêtent. La maison qu’ils auront construite ou qu’ils ont construite ne pourra jamais avoir de titre (foncier, ndlr). A supposer que la personne décède, le patrimoine ne peut être passé à ses enfants. Quand ils viendront pour en hériter, on leur dira que les documents y afférents ne sont pas valables parce que tout simplement, le titre avait été anéanti par l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Il faut que les gens comprennent que parfois, dans leur intérêt, le bras de fer n’est pas bon. Parce que notre monde va évoluer et toujours vers un monde de droit. Il ne va pas reculer. Il va être un monde de droit. Et donc, lorsqu’on construit une maison, c’est un patrimoine, un bien. Encore faudrait-il que ce patrimoine-là soit transmissible à ses enfants ou qu’il puisse disposer de documents attestant que le bien est à vous. Mais à partir du moment où votre maison existe et qu’il y a des problèmes pour créer le document parce que justement il y a un décret qui interdit qu’on crée un document. Vous le créez, vous ferez du faux. Ce qui peut vous valoir d’être poursuivi. Je me dis en ce moment alors : le bon sens ne commande-t-il pas qu’on cherche à régler la situation dès maintenant ?
Qu’en est-il de la situation administrative de l’école érigée sur un espace public ?
Il n’y a pas d’ambiguïté dans la situation administrative de cette école. C’est un espace dédié à l’équipement public certes, mais cet espace a été construit d’une façon illégale par un ministre qui était le ministre de l’Urbanisme, en l’occurrence, Dramane Dembélé. Il faut le dire hein, il ne faut pas se gêner ! Il l’a fait et il l’assume. Il ne devrait pas le faire, moi, je le dis. Et donc, nous allons traiter cette question comme elle le mérite et je ferai engager les actions et les procédures judiciaires à cet égard. C’est tout !
Et que pensez-vous des entreprises de construction ?
Les entreprises qui sont là ont abattu un travail colossal. Un travail qu’il faut féliciter et, je pense que la situation des unes et des autres mérite d’être évoquée, en saluant leur intervention sur le terrain.
Je déplore cependant une chose, nous sommes un pays sahélien. Même si on veut construire des maisons, je ne suis pas d’accord qu’on détruise la végétation systématiquement. Qu’on coupe systématiquement des arbres qui ont mis des années à pousser et qu’on les voie par terre me désole. Il faut que les programmes de construction tiennent compte de ces paramètres. Je rentre du Kenya, où il y a dix mille fois plus d’arbres qu’ici. Là-bas, les arbres sont épargnés quand des maisons sont construites à côté.
A quand la remise des clés des logements sociaux alors ?
Je ne peux pas définir les délais de remise. Ce sont les entreprises qui vont me le dire. C’est un aspect technique. Je pense que nous avons des problèmes à résoudre ici. Par exemple, quand j’ai été voir tout le chantier, il y a en dehors de la destruction de la végétation, il y avait des choses à déplorer comme le fait qu’une partie du site des logements sociaux, d’une superficie de dix hectares, est expropriée pour cause d’utilité publique. Ce site-là a été vendu à des députés. Il va falloir éclairer cette situation. Parce que c’est un site qui appartient à l’Etat. Et l’Etat ne le construit pas. Mais il a été vendu par une société immobilière à des députés. Je ne le comprends pas. Je ne le comprends pas. J’estime que c’est une situation à éclairer. Et on a fait quelques titres de propriété privée sur ce site exproprié. On ne peut pas exproprier certains pour cause d’utilité publique et le redonner à des élus, pas par la voie de l’expropriation pour cause d’utilité publique mais par une cession privée alors que le site a été exproprié. Alors, là, il y a une démarche juridique que je ne comprends pas et j’aimerais savoir comment cela est intervenu.
Et quelle est cette société immobilière ?
On m’a dit que c’est la société Banga immobilière (de l’honorable Hadi Niangado, présent à l’enregistrement de l’interview).
Interview réalisée par Elgoly Kassogué
Source: L’Enqueteur