La séance de questions oralesdans une Assemblée Nationale est le cadre d’échange directe entre un député (majorité ou opposition) et un ministre sur un sujet d’actualité. Retransmise en direct sur la télévision nationale et la radio nationale, elle permet aux populations de se faire une opinion, à la fois de l’action gouvernementale mais aussi, de l’action de ses représentants. Résultat : la démocratie est renforcée. Mais l’interpellation du ministre de la Sécurité et la Protection Civile, le Colonel-major Salif Traoré par l’Honorable Karim Keita, jeudi dernier, si toutefois on peut l’appeler ainsi, n’est, ni plus ni moins, qu’un coup d’épée dans l’eau du président de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée Nationale.
En dix minutes Karim Keita n’avai tplus de préoccupations sur l’insécurité généralisée dans notre pays. En vingt petites minutes, l’interpellé, aussi,avait fini d’édifier les Maliens sur les questions de sécurité, combien alarmant de nos jours. Qu’à cela ne tienne.Mais, alors même que le ministre n’a fait que tantôt survoler tantôt ignorer lesquestions, à lui, posées par le député, ce dernier, à la surprise générale, se dit satisfait des réponses du colonel-major Salif Traoré.
On n’aurait pas douté de la bonne foi de Karim Keita si le ministre s’était prononcé sur une question aussi sensible que celle relative au lancement imminent d’une chaine de télévision par la Minusma et les atteintes à la sûreté de l’Etat que cela pourrait comporter pour notre pays. La satisfaction d’un individu par une réponse est relative. Cela va de soi. Mais, comment une personne animée du désir de connaitre, peut-elle se satisfaire du silence comme réponse à une inquiétude qu’elle soulève? Inquiétude à laquelle des millions de Maliens attendent d’être édifiés. Quoi qu’il en soit, cette interpellation du colonel Salif Traoré est une mascarade dont les gagnants sont l’interpellé et l’interpellateur et la victime reste, incontestablement, la démocratie malienne.
Une mise en scène soignée….
Avec cette interpellation, les intentions réelles de Karim Keita sont ailleurs autrement le président de la Commission Défense et Sécurité de l’AN a tiré à terre. Sinon, comment expliquer que c’est seulement une semaine après l’attaque que Karim Keita affirme que n’eut été l’interpellation du ministre, il n’avait aucune explication sur la présence de la voiture diplomatique américaine devant l’hôtel Radisson. Dèsle lendemain de l’attaque pourtant, sur l’ORTM, l’ambassadeur américain dont les agents sont dans le panel d’enquêteurs a levé toute équivoque sur l’implication du véhicule diplomatique dans l’attaque. S’informer en temps réel en période de criseest une nécessité honorable.
Il est connu que les séances de questions orales à l’AN sont retransmises en direct sur l’ORTM, la Radio nationale, la Chaine 2 et la radio parlement. Autant dire une aubaine pour des politiques en “mode veille” de se mettre en lumière. Etant entendu qu’en marketing, il n’y a ni petite ni mauvaise publicité. Histoire de dire qu’il fait bien son job,l’honorable Karim Keita qui, en octobre dernier, n’a pas hésité à remettre à des écoliers des cahiers à son effigie, attire l’attention des medias sur lui. Au grand dam du contribuable malien. Car de sourcebien avisée, l’heure de retransmission en direct à la télévision nationale coûterait la somme de 2 millions FCFA de denier public.
Quant au ministre de la Sécurité, s’est-il, soucieux des lois de la République, simplement acquitté de son devoir républicain ou est-il, au contraire, le complice de cette mise en scène. Des faisceaux d’indices nous guident vers la deuxième interrogation. Tout indique que Karim Keita a, simplement, fait le jeu du ministre la Communication, que dis-je, du ministre la Sécurité.
Celui qui se définissait, lui-même, il y a deux semaines comme étant un « fruit de la communication » a tout bonnement utilisé une technique de communication bien connue de l’autre côté de l’Atlantique. Sur un sujet sensible auquel nous sommes tenus de nous exprimer un jour ou l’autre, il s’agitde se faire questionner par une personnecontrôlée (généralement un journaliste) en des termes moins agressifs (choisis, le plus souvent par le politique lui-même). De cette manière on évite les mauvaises surprises. Ce n’est “le Général des bois” qui dira le contraire.
L’interpellation du ministre de la Sécurité et de la Protection Civile le Colonel-major Salif Traoré par l’honorable Karim Keita est un faux-fuyant, une fuite en avant qui n’a permis de dissiper aucune des inquiétudes des Maliens. A quoi bon de demander si le Mali a un dispositif de lutte contre le terrorisme. Connait-on un pays de la CEDEAO ne disposant pas de dispositif de lutte contre le terrorisme. Bien sûr que le Mali, pays en proie à l’insécurité, en a.
Seul le président de la commission Défense et Sécurité ailleurs lors de l’adoption de la Loi de programmation militaire ne le sait pas encore. Notre pays a été frappé par un attentat terroriste au cœur de son industrie touristique. Et les auteurs affirment être en mesure de frapper en n’importe quel point de la Capitale. Le plus sage dans ce cas là pour un député en charge du contrôle de l’action gouvernementale et soucieux de sa population, c’est de savoir où est-ce-que le dispositif sécuritaire a pêché? Que fait-on pour empêcher un nouvel attentat?
Quoi qu’il soit, cette sortie, pour le moins théâtral où la congratulation mutuelle, entre celui qui fait des lois et qui en contrôle l’application et celui chargé d’exécuter ces lois, était à son apogée, au moment les Maliens peinent à se trouver trois repas quotidiens, permet aux uns et aux autres de prendre le pouls d’une démocratie en agonie par la faute de ses hommes politiques.
Mamadou TOGOLA
Source: Le Carrefour