Dans le grand public, de nombreuses personnes sont favorables à la décision gouvernementale. Mais les vendeurs y sont opposés et mettent en avant les pertes qu’ils subissent
Le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité a, par un communiqué de presse, interdit l’utilisation des pétards et autres feux d’artifice sur toute l’étendue du territoire national. Cette interdiction, précise le communiqué, est justifiée par la situation particulière d’insécurité que nous vivons.
La frénésie de la célébration des fêtes de fin d’année génère malheureusement un accroissement insupportable des nuisances sonores. Le degré de ces nuisances augmente au fur et à mesure que les fêtes approchent pour culminer durant la nuit du 31 décembre. Difficiles à mesurer mais objectivement ressenties, ces nuisances provoquent un stress et une souffrance certaine notamment chez les personnes âgées et les tout-petits.
Kalaban Coura. Il est 18 heures. Les résidents vaquent normalement à leurs occupations habituelles. Beaucoup de gens se préparent à regagner leur domicile après la journée de travail. Soudain, le fracas assourdissant d’une explosion retentit. C’est un enfant qui teste un de ses pétards. On est bien la veille de Noël.
Le bruit indispose tout le voisinage. Mamadou Coulibaly peste : « c’est comme ça désormais et ça va de mal en pis ». Mais l’homme semble résigné. « Maintenant on aura de la peine à dormir d’un sommeil profond. Il faut s’y habituer», dit celui qui accueille avec soulagement la décision d’interdire l’utilisation des pétards et autres feux d’artifice. « Cette décision est salutaire. On en a marre de ce type de bruit ressemblant à la détonation d’une arme à feu. Le pays n’est pas totalement stable », souligne-t-il.
Koké Touré, 47 ans, tient un commerce près du marché. Il est lui aussi favorable à l’interdiction des pétards et autres feux d’artifice. « Je suis commerçant mais je ne vais jamais faire le commerce de pétards et autres feux d’artifice parce que ça dérange. Je préfère acheter à manger à mes enfants que de leur offrir un tel cadeau », assure-t-il.
La plupart de nos interlocuteurs favorables à la décision du gouvernement soulignent les dangers des explosifs. Beaucoup soulignent qu’en se déplaçant dans les rues actuellement, il faut faire attention au risque de se retrouver avec un pétard sous les pieds. Les enfants s’amusent à jeter ces engins explosifs sous les pieds ou les roues des passants, inconscients du danger qu’ils font courir aux piétons et aux motocyclistes.
Koké Touré craint l’insécurité que la confusion peut faciliter : « Une personne mal intentionnée peut profiter de cette situation pour détruire toute une famille en tirant sur des gens et le voisinage pourrait penser que c’est le son des pétards. Donc vraiment je demande aux commerçants de cesser la vente au profit de la quiétude des populations. Au Congo, où j’ai passé 5 ans, tu ne verras jamais de pétards », développe-t-il.
COMPLAINTE ET REJET. Naturellement, l’interdiction n’est pas du goût de tout le monde. Les opposants se recrutent principalement dans le milieu des commerçants. Il est 9 heures au Grand marché de Bamako aux abords de « Malimag ». Les vendeurs de pétards et de feux d’artifice n’apprécient pas la décision gouvernementale. Ces commerçants rejettent les raisons avancées par les autorités. Bamody Coulibaly, 33 ans, qui vend des pétards et des feux d’artifice, ne cache son amertume. Et estime que la situation sécuritaire du pays n’est pas aussi alarmante qu’on la présente. « L’an dernier, nous n’avons pas pu vendre nos pétards parce que les autorités les avaient interdits. Et la raison était incontestable à savoir le contexte de la crise qui prévalait au nord du pays et au sud avec la mutinerie. Mais aujourd’hui Dieu merci le contexte est beaucoup plus favorable. C’est juste un mois et ça passe. C’est un simple divertissement et c’est loin d’être un dérangement », soutient notre interlocuteur.
D’autres commerçants comme Babani Diarra abondent dans le même sens. Babani fustige la publication tardive du communiqué de presse du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. « Nous avons tous nos matériels dédouanés, notamment des pétards et autres feux d’artifice. Chaque année les autorités nous font la même chose, critique-t-il. Elles n’interdisent qu’après avoir laissé les commerçants investir leur argent. Qu’on nous informe au moins en octobre pour qu’on puisse prendre des dispositions. Personnellement, je suis prêt à abandonner la vente de pétards dans l’intérêt du pays mais je suis sûr que les autres commerçants de Dabanani vont continuer à en vendre comme chaque année.»
Si les commerçants sont si réticents à abandonner la vente de ces produits controversés, c’est que le créneau est porteur. C’est une affaire qui marche bien. Pendant la période des fêtes, pétards et feux d’artifice se vendent en très grandes quantités. Les amateurs ne regardent pas au prix car les produits ne sont pas toujours donnés. Le prix des pétards et autres feux d’artifice varient entre 100, 200, 1000 Fcfa. Les méga-feux d’artifice coûtent jusqu’à 20 000 et 50 000 Fcfa.
Généralement, les pétards et les feux d’artifice proviennent du Nigéria, du Sénégal, de Chine. La mesure de suspension visant leur importation date de 2012.
Les pertes sont considérables pour les commerçants spécialisés, de l’avis commun de Bamody et Babani. Kadiatou Daou opère dans ce commerce depuis ses 16 ans. Elle en a, aujourd’hui, 36. Aussitôt assurée de s’adresser à un journaliste, elle s’empresse d’expédier un message aux plus hautes autorités : « Depuis 2 ans, nous avons en stock des pétards et autres feux d’artifice. Ils sont tous dédouanés. Ce sont les mêmes pétards qui sont toujours là et nous avons investi notre argent là-dessus. Que les autorités nous arrangent cette année afin que nous puissions écouler les anciens stocks. Je reconnais que les bruits dérangent. Mais si je ne vends pas mon stock, d’autres le feront parce que les clients en demandent. Si quelqu’un refuse de leur en vendre, ces mêmes clients achèteront les mêmes produits chez un autre commerçant à notre détriment ». Sekouba Diabaté, venu au marché se procurer quelques jouets à offrir à ses enfants, confirme : « Nous sommes à la fin de l’année et les enfants ont envie de jouer. Je peux dire que je suis même obligé d’acheter sinon je ne pourrais même pas revenir à la maison tellement ils me fatiguent. Ils sont jaloux des autres enfants du voisinage ».
Une étude menée au Sénégal par l’Observatoire de santé d’Ile de France dévoile les effets physiologiques et psychologiques des nuisances sonores. « Les effets physiologiques les mieux identifiés sont les lésions auditives, les pathologies cardiovasculaires et la perturbation du sommeil. Les impacts du bruit sur le système cardiovasculaire se manifestent à court terme par une modification de la tension artérielle, une augmentation transitoire du rythme cardiaque (dans le cas d’un bruit intense) ainsi qu’une augmentation de la sécrétion des hormones de stress ».
Une autre étude réalisée en France, et datant de 2000, met en évidence l’existence de liens entre l’exposition au bruit et certaines pathologies ou indicateurs de l’état de santé tels que les manifestations d’angoisse, la consommation de médicaments à visée neuropsychiatrique. Cette étude a aussi montré le rôle important de nombreux autres facteurs, socioéconomiques notamment, susceptibles de modifier la relation entre l’exposition au bruit et l’état de santé.
Alhoudourou A. MAÏGA