Ces ouvrages sont confectionnés pour drainer les eaux de pluies. Mais ils sont détournés de leurs fonctions initiales. Conséquences : dès que le temps menace, l’angoisse s’installe en maints endroits de la capitale
Nous sommes en période d’hivernage. Il pleut beaucoup à Bamako ces temps-ci. Malheureusement, comme les années précédentes, on constate des inondations un peu partout après de fortes précipitations. Cette situation est devenue habituelle dans la Cité des «Trois caïmans».
Ces dernières années à Bamako, l’inondation qui a été l’une des plus meurtrières, a eu lieu en 2019, causant d’énormes pertes en vies humaines et beaucoup de dégâts matériels. Ce phénomène à répétition est en partie dû à l’occupation des collecteurs naturels (marigots) et artificiels que sont les caniveaux. Cela est aussi imputable à l’aménagement «illégal» de ces collecteurs par des boutiquiers et des propriétaires de concessions qui ne laissent aucun passage pour les eaux de ruissellement.
En ce mardi du mois d’août, il pleut abondamment à Bamako. Certains motocyclistes, n’ayant pas d’imperméable, cherchent à se mettre à l’abri. Au Quartier du Fleuve en Commune III, les eaux pluviales, qui n’arrivent pas à couler, envahissent les routes. Les marchands de poisson au niveau de la Bceao, dont les places ont été inondées, ferment boutique.
L’eau s’invite également dans les magasins, qui se trouvent le long du goudron qui passe devant le siège de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM). Plus loin, derrière le cimetière de Niaréla (Commune II), la situation est pire. Les eaux pluviales couvrent les routes. Même constat à Hamdallaye-ACI 2000, pourtant considéré comme l’un des quartiers les plus huppés de la capitale.
De nombreuses familles et plusieurs services sont inaccessibles, faute de passage pour les eaux de pluie. Assan Doucouré habite à Niaréla, non loin du cimetière. Lorsqu’il pleut, cette vieille dame et ses descendants ne dorment que d’un œil. Et pour cause : l’eau occupe complètement la cour de leur maison. Pour éviter qu’elle inonde leurs chambres, la sexagénaire et sa progéniture ont érigé des briques en ciment en hauteur, qu’ils escaladent pour y accéder.
La vieille Doucouré ne doute point que cette situation est la faute des propriétaires des magasins dans leur voisinage. Lesquels ont complètement couvert les caniveaux et refusent de les curer. La sexagénaire affirme avoir approché ces derniers pour leur expliquer la situation. Sans succès. Dans ce vieux quartier de la capitale, certaines familles ont même acheté des groupes électrogènes pour dégager l’eau après la pluie.
UNE DIGUE POUR DÉVIER LES EAUX- Adama Konaté est le 3è adjoint au maire de la Commune V du District de Bamako, chargé de l’assainissement et de l’environnement. Pour lui, la plupart de ces magasins construits sur les caniveaux, ne sont pas autorisés. Idem pour leur couverture par des propriétaires des concessions. D’après notre interlocuteur, les eaux pluviales coulent dans le domaine public c’est-à-dire, dans les rues où il n’y a pas de caniveaux. Mais aussi dans les collecteurs naturels ou artificiels. Selon Adama Konaté, le domaine public est inaliénable et nul ne doit se l’approprier, s’il n’en est pas autorisé.
Pour avoir cette autorisation, il faut saisir la municipalité qui dépêchera, à cet effet, ses services techniques, explique-t-il. «Même s’il doit y avoir un aménagement, cela se fera selon les textes en vigueur», souligne l’élu. Toute chose qui permettra de réduire certainement les cas d’inondation dans notre capitale. Pour l’édile, il y a eu des morts d’hommes cette année dans sa circonscription à cause des inondations.
Il impute, d’emblée, cette situation à l’incivisme des populations. Le conseiller municipal raconte une histoire qui s’est passée tout récemment à Baco-Djicoroni, en Commune V entre habitants de deux rues. Les premiers ont érigé une digue dans leur ruelle, forçant les eaux de ruissèlement à changer de trajectoire vers l’autre. Cette situation a indigné les riverains de la deuxième rue qui s’y sont opposés. «Par incivisme, ils se sont attaqués», déplore-t-il. Avant d’informer que quatre personnes, parmi les habitants de la première rue, ont été arrêtées par la police. Saisie de cette affaire, la mairie de la Commune V a demandé le maintien de ces personnes en détention et l’enlèvement immédiat de la digue en vue de l’écoulement libre des eaux de pluie.
Par ailleurs, notre interlocuteur signale que lorsque la municipalité constate des installations illégales, elle convoque leurs propriétaires. Ces derniers paient 18.000 Fcfa comme contravention et s’acquittent également de la pénalité qui va de 20.000 à 120.000 Fcfa avec le risque d’emprisonnement allant jusqu’à six mois. Pour le moment, le service n’a pas encore mis un contrevenant sous les verrous au-delà d’une semaine, selon Adama Konaté.
Le 3è adjoint au maire de la commune V revient sur les inondations de 2018. Dans la foulée, dit-il, le gouvernement a peaufiné un programme d’urgence dans le cadre de la gestion des inondations, où il était question de mettre fin à l’occupation anarchique des marigots à travers la capitale. Au niveau du collecteur naturel dit ‘’Kofilatié’’, qui sépare la Commune V de la commune de Kalaban Coro, il a été recensé 278 maisons bâties sur le domaine public, note Adama Konaté. Il déplore l’inapplication de ce programme.Pour lui, les textes sont bellement faits, mais, ils sont violés par laxisme dans leur application.
CANIVEAUX INACCESSIBLES- Pour le directeur national adjoint de l’urbanisme et de l’habitat, les inondations sont en partie dues à l’obstruction des collecteurs naturels. Ces collecteurs sont au nombre d’une dizaine dans notre capitale, rappelle Mahamadou Ouologuem, qui déplore que ces passages d’eau n’ont pas fait l’objet d’aménagement. Ce qui, selon lui, est à la base de nombreuses inondations.
Cependant, pour l’urbaniste, couvrir les caniveaux n’est pas un problème. «Normalement, si les moyens sont là, tous ces caniveaux doivent être couverts, cela évite qu’on vienne y déverser des ordures», explique-t-il. Toutefois, il note que quand on doit les couvrir, il faut laisser les passages pour les eaux de pluie. Malheureusement, dans la pratique, ces caniveaux sont fermés totalement sans possibilité pour les eaux de pluie de pouvoir y couler. «C’est ce qui est à la base même de la dégradation de nos routes parce que l’eau qui doit couler directement dans ces caniveaux, reste stationnaire sur les voies», fait remarquer le spécialiste.
Mahamadou Ouologuem explique que les occupations du domaine public doivent se faire avec des matériaux démontables. «Et chaque fois qu’il y a besoin, on instruit à l’intéressé de libérer le domaine public», ajoute l’urbaniste. Malheureusement, regrette-t-il, ce sont des constructions souvent en dur qu’on érige sur les caniveaux. Notre interlocuteur signale que les sanctions sont là, mais ne sont pas appliquées à hauteur de souhait.
Ces faits prouvent à suffisance que les Bamakois doivent encore prendre leur mal en patience. Les inondations avec leur corollaire de dégâts matériels ont encore de beaux jours devant elles.
Bembablin DOUMBIA
Source : L’ESSOR