Il s’est compromis dans beaucoup d’affaires sulfureuses comme l’imitation de la signature de Baba Berthé, PDG de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), les malversations financières à la tête de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton (C-SCPC), les écoutes téléphoniques illégales… Voyage au cœur du système de prédation monté par Bakary Togola, qui aurait coûté des milliards au Mali, et sa place de premier producteur de coton ouest-africain, entre autres, le tout, sans conséquence pour lui à ce jour.
Les démentis timides ne nous feront pas lâcher ce dossier sulfureux, qui voit un individu, seul, hypothéquer l’avenir de générations, l’espoir de milliers d’agriculteurs, et même la croissance économique du Mali.
Bakary Togola se trouve à la tête d’un empire financier qu’est la C-SCPC, créée en 2014 sous l’impulsion de ses principaux bailleurs de fonds que sont l’Agence française de développement (AFD) et la CMDT. Elle remplace l’Union des sociétés coopératives des producteurs de coton qui avait vu le jour en 2007. Son objectif est de mieux organiser le secteur de production de coton au Mali, former, sensibiliser, financer et alphabétiser les producteurs de coton. La C-SCPC est vite devenue très liquide grâce aux nombreuses subventions consenties au monde rural. Pour mieux carotter cette manne estimée à des milliards de F CFA par an, le président de l’Apcam, Bakary Togola, va monter un système des plus mafieux. Et comme toute organisation du genre, il va s’entourer d’un cercle d’amis et de parents, dont son propre neveu.
Ce dernier du nom de Mamadou Togola, est embauché comme comptable de la confédération. Son rôle dans le dispositif est de tripatouiller et de rendre illisibles les pièces comptables, procéder à des décaissements frauduleux et autres. L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam), qui est la faîtière des paysans (dont Bakary Togola est le président), n’est pourtant qu’une coquille vide. L’Apcam ne reçoit qu’une maigre subvention de l’Etat. Du coup, elle est à l’ombre de la C-SCPC.
Imitation de la signature du PDG de la CMDT
Les faits se sont passés entre avril et juin 2019. Pour chaque campagne agricole, la C-SCPC qui est début et à la fin des achats d’engrais et pesticides, estime ses besoins. Ce besoin est transmis à la CMDT, qui à son tour prépare un bon de commande à cet effet en fonction de ses prévisions et budgétisations. Sans cette procédure, la CMDT qui doit payer la note ne peut autoriser aucun décaissement à la BNDA, la banque des paysans.
Cette année, Bakary Togola avait passé un deal avec une dizaine d’opérateurs économiques, négociants d’intrants agricoles. Ceux-ci avaient des stocks importants mais de qualité douteuse à écouler sur le marché. Le montant est estimé à plus de 20 milliards de F CFA. Convaincu de son impunité et se comportant en proconsul, Bakary Togola, au mépris de la procédure, passe outre l’avis de la CMDT. Il initie une estimation de besoins. La seconde phase du boulot était d’avoir la caution de la CMDT, matérialisée par le bon de commande signé en bonne et due forme par le PDG. Cela n’ayant pas été acquis, le Tout puissant Bakary qui se croit tout permis trouve une astuce frauduleuse. Celle d’avoir une vraie fausse signature de Baba Berthé. Mais nous ne sommes pas à mesure de dire si l’imitation a été orchestrée de ses propres mains ou s’il a requis les services d’un spécialiste. Toujours est-il qu’il y a eu faux en écriture au détriment de M. Berthé. Etant le président de la C-SCPC, sa responsabilité est de prime abord engagée quel que soit l’auteur du dôle.
Responsabilité engagée
C’est au moment d’avaliser le document que M. Berthé, de surcroît éminent professeur de droit constitutionnel à l’Ecole nationale d’administration de Bamako (Ena) dans les années 1990-2000, a été surpris par le montage grossier : son sceau (un vrai faux alors), a juste été imité :
Interpellé, Bakary Togola n’a pu nier les faits. Il aurait joué sur son prétendu illettrisme qui ne l’empêche pourtant pas de faire des coups bas, mais, qu’il met en avant chaque fois que cela peut le servir. “Je suis Gana (ndrl : un sous-groupe bambara présent surtout dans la région de Sikasso et cousin à plaisanterie des Sénoufos et des Miniankas) toi un Minianka. Nous sommes plus intelligents que vous. Vous ne savez même pas comment s’enrichir et donner la part des décideurs, leur faire manger. Et les ministres et autres responsables ne cherchent pas mieux”.
Il nous revient que le président de la République, IBK a été informé du scandale en sa qualité de président du Conseil supérieur de l’agriculture et qu’il aurait même demandé à qui de droit de ne pas en rester là. D’ailleurs, lors de la session inaugurale dudit Conseil en mai dernier, le chef de l’Etat avait jeté le pavé dans la marre en menaçant de représailles “les prédateurs d’intrants agricoles qui saborderont les efforts de l’Etat”.
Bakary Togola peut continuer à nier l’imitation de la signature du PDG de la CMDT, puisque, jusque-là, celui-ci n’a pas porté plainte. “Il pense qu’il a intimidé Baba Berthé en lui disant qu’il partage son butin en haut, mais, il sera surpris”, nous confie un responsable proche du PDG de la CMDT. Selon l’analyse de notre source, “il y a des raisons objectives qui font que Baba prend son temps pour ester contre lui”.
Primo, le scandale a éclaté en début de campagne cotonnière. Tout problème judiciaire impliquant au premier degré le président des “cotonculteurs”, aura des répercussions dangereuses sur la saison et compromettra inéluctablement les prévisions de rendement de la CMDT. Alors que celle-ci a pris des engagements financiers colossaux auprès de ses banques partenaires.
Secundo, la C-SCPC est la principale partenaire de la CMDT et même son bébé à elle. Qu’on le veille ou pas, sans elle, pas de production structurée de coton. Malgré l’ampleur du délit commis par son chef, le PDG de la CMDT a choisi entre deux maux, le moindre. C’est-à dire mettre sous l’éteignoir le différend ou du moins mettre la pédale douce, le temps de finir la campagne cotonnière en cours.
Tertio, la machine judiciaire étant ce qu’elle est dans notre pays, ne dit-on pas qu’un bon arrangement vaut mieux qu’un mauvais procès ? D’ailleurs, Bakary Togola sûr de ses milliards volés, dit à qui à qui veut l’entendre, qu’il peut “se payer tous les procureurs du Mali”. Toujours en nous fiant à notre source, Baba Berthé qui est bien loin d’avoir mis aux oubliettes ce coup tordu de la part du bien né Bakary Togola, entend certainement le gérer en sa manière, en homme intelligent et avisé.
Pour le moment, ce n’est encore que le bout de la pile de dossier concernant les incartades de Sacré Togola que nous livrons ici.
Bien entendu, nous reviendrons sur le reste du dossier relatif à sa gestion chaotique, de la C-SCPC, la plainte contre son ex-responsable administratif et financier (Raf), Fadiala Coulibaly à la suite d’une écoute téléphonique illégale contre celui-ci (classée par le tribunal de la Commune V), ses nombreuses accointances avec certains milieux d’affaires, entre autres.
Le temps est le meilleur juge et témoin de l’homme. “Patience et longueur de temps font plus de gloire que de rage”. Dit Jean de La Fontaine dans ces fameux contes : “Les Fables”. D’après le poète Alfred de Vigny, “patience et longueur de temps font plus de gloire que de rage”. Gardons alors patience, Sacré Bakary.
Comme lui-même est friand de proverbes, “On peut se moquer du peuple pendant un temps, mais pas tout le temps”.
Qui saura délivrer un jour le monde rural de cette sangsue ?
Abdrahamane Dicko
Mali Tribune