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Il y a un an le peuple du Burkina se débarrassait de Blaise Compaoré

Une insurrection suivie d’une concertation nationale exemplaire

blaise compaoré ancien president burkinabe

Rappelons-nous. Blaise Compaoré, incapable de sentir ce qui se passait dans son pays, veut aller jusqu’au bout de son projet de modifier l’article 37 de la constitution pour se représenter aux élections présidentielles. Il décide de porter le projet à l’Assemblée Nationale.

Dès cette annonce, les partis politiques appellent à rejeter cette initiative. Des associations de la société civile, le Balai citoyen et le Comité Anti-référendum, pour les plus connues, organisent dans toute la ville, tous les jours, des initiatives pour appeler les gens à empêcher ce vote.

Au terme d’assauts pacifiques répétés en direction de l’assemblée nationale, d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui se sont retirés par endroit, les manifestants progressent petit à petit . Avançant les mains en l’air, ils font reculer le dernier barrage et envahissent l’Assemblée nationale qu’ils mettent à sac.

Les manifestations continuent le lendemain, causant une trentaine de morts. Finalement Blaise Compaoré s’enfuira, exfiltré par les troupes françaises, du commandement des opérations spéciales, basées à Ouagadougou. Pour ce qui s’ensuivit, on se reportera à http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/171114/le-burkina-adopte-la-transition-apaisee-et-inclusive.

Après une quinzaine de jours de discussion entre les représentants différentes acteurs, partis politiques, société civile, armée, autorités religieuses et représentants des chefs coutumiers, la Transition se dote d’institutions acceptées par consensus, qui seront peu contestées par la suite si ce n’est pas la partisans de Blaise Compaoré.

Le peuple burkinabé déjoue courageusement un coup d’Etat

Les tentatives pour déstabiliser ne vont pas manquer, notamment de la part de Gilbert Diendéré, véritable numéro 2 du régime de Blaise Compaoré. Ancien Chef du RSP (Régiment de sécurité présidentielle) qu’il continue de manipuler à sa guise, le bras armé de l’ancien régime, il résistait, avec ses hommes en arme,  à toutes les tentatives visant à le neutraliser.  A l’approche des élections,  Gilbert Diendéré se lance alors dans un putsch qui signera sa perte définitive. Une résistance de grande ampleur, quartier par quartier s’organise dans toute la ville de Ouagadougou, malgré la féroce répression des hommes du RSP vite dépassés par l’ampleur de la mobilisation. Le Président du Conseil national de la Transition entre dans la clandestinité. Il appelle la population à la résistance et l’armée à neutraliser les putschistes. Les syndicats organisent une puissante grève générale. En province, pendant plusieurs jours, la population occupe les espaces publics et fait pression sur les garnisons pour que les militaires s’opposent au coup d’Etat. L’armée descend sur la capitale.

Finalement au bout de quelques jours, Diendéré doit reconnaitre que la partie est perdue. Il est arrêté, le RSP dissout. On lira sur le putsch nos précédents articles.

Quelles leçons tirer de ses évènements ?

Le Burkina est un peuple mur qui sait résoudre ses problèmes sans intervention extérieure

Les pressions extérieures n’ont pas manqué.  A chaque moment important de la Transition, des diplomates américains ou français, des représentants de la CEDEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest) se sont crus obligé de s’immiscer dans les discussions. Ils passaient des coups de fil, s’entretenaient en tête à tête avec des acteurs. Des photos ou des articles de presse, accessibles  sur internet, en rendaient compte sans toujours nous rapporter la teneur des discussions.

Force est de constater qu’à chaque fois, ce sont les Burkinabè eux-mêmes qui ont réglé leur conflits internes, quelqu’en soit d’ailleurs la méthode : des puissantes manifestations populaires, une insurrection courageuse et massive, une résistance au coup d’Etat, mais aussi de longues concertations internes. C’est ainsi par exemple qu’est née la charte de la Transition, qu’a été décidée la composition du gouvernement, celle du conseil national de la Transition. Les discussions ont été longues, difficiles, les pressions externes étaient fortes, mais les solutions consensuelles sont sorties de ses concertations entre Burkinabè.

Ce sont encore les Burkinabè eux-mêmes qui ont déjoué le putsch et négocié son issues.

On a surtout entendu parler de la CEDEAO, en mal d’ailleurs car ses émissaires ont finalement été désavoués (voirhttp://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/210915/burkina-le-projet-de-sortie-de-crise-de-la-cedeao-reprend-les-revendications-des-putschistes).

En réalité, c’est au palais du Moro Naaba, l’empereur des Mossis, l’ethnie la plus importe du Burkina, qu’a été négociée la sortie du putsch, en particulier les modalités de désarmement du RSP. Entre les représentants de l’armée qui avaient pris position d’abord autour de la ville, puis du camp militaire du RSP, et Gilbert Diendéré lui-même. Bien sûr, et l’enquête sur le coup d’Etat en cours nous le dira sans doute,  il y a eu encore des tentatives de Diendéré pour gagner du temps, pour attendre des renforts, mais finalement c’est dans une ambassade, peu habituée aux immixtions dans le pays d’accueil, celle du Vatican, que s’est retranché Diendéré. Il n’avait plus, semble-t-il, le soutien des américains ni des français. Il a juste négocié la sortie du pays de sa femme et de ses enfants, avant de se rendre.  Ainsi en réalité, c’est grâce à la force du peuple mobilisé, un rapport de force défavorable à Diendéré et ses complices, puis des négociations entre les forces en présence, que le dénouement est arrivé.

Les évènements du Burkina devraient inciter cette « communauté internationale », qui n’en est pas à une contradiction près, à plus de modestie, lorsqu’elle s’immisce dans les affaires intérieures du Burkina. Deux Burkinabè qu’elle avait adulés, sont en bien mauvaise posture. Blaise Compaoré, dont  l’impopularité a éclaté au grand jour, se retrouve en exil. Son ministre des affaires étrangères, Djibril Bassolet est en prison pour son soutien actif aux putschistes. Sans parler de Diendéré dont nous avons maintes fois souligné l’arrogance, fort du soutien des militaires français et américains pour les services qu’ils leur avaient rendus.

Par deux fois, le Burkina a refusé de se soumettre aux pressions extérieures. Lorsqu’il s’est agi de changer le code électoral  et lorsque la CEDEAO a voulu imposer un accord de sortie du putsch qui reprenait des revendications de putschistes. On mesure mieux aujourd’hui combien ces refus étaient pertinents.

La France entre ingérence, mépris et incohérence

Nous ne réciterons pas ici les compliments qu’on décerné en leurs temps, pas si éloignés que ça, Ségolène Royale ou Elisabeth Guigou à Blaise Compaoré. Nous ne reviendrons pas non plus sur le maintien de François Loncle, comme Président du groupe d’amitié Franco burkinabè à l’Assemblée nationale, alors qu’il avait déclaré le 31 octobre 2015 au matin sur RFI que Blaise Compaoré devait gérer la transition jusqu’aux élections. Et que dire de Clause Bartolone qui refuse une enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara en invoquant des arguments tout à fait fallacieux. La Françafrique n’est pas morte. Les réseaux sont là divers, organisés ou informels, mis en place pour défendre des intérêts qui ne sauraient être ni ceux du peuple français ni ceux du peuple burkinabè. Si la France avait un peu d’égard pour ce magnifique peuple du Burkina, elle commencerait par cesser d’intervenir dans ses affaires intérieures et saurait mieux choisir les ambassadeurs qu’elle nomme au Burkina. Il faudrait pour cela qu’elle change radicalement sa politique africaine.

Les troupes françaises, près de 200 hommes du Commandement des opérations spéciales sont censées être au Burkina, dans le cadre d’un dispositif régional, pour lutter contre les terroristes qui sévissent au Sahel. Or en l’espace de moins d’un an, voilà que ses troupes se sont immiscées par deux fois dans les affaires intérieures de ce pays. La première fois en exfiltrant Blaise Compaoré du Burkina, la deuxième fois en exfiltrant Michel Kafando, lors de sa libération après le putsch, pour l’emmener dans la résidence de l’ambassadeur de France.

La première exfiltration aurait été décidée après la demande des Présidents de la région, nous a-t-on dit, plus précisément d’Allassane Ouattara, le Président de Côte d’Ivoire. La France aurait agi par souci humanitaire. Mais y-a-il eu déchainement de violence dans ce pays ? Y-a-t-il eu lynchage de dirigeants de l’ancien régime ? Mais qu’en est-il de ses victimes et de la nécessité de juger Blaise Compaoré pour tous ses crimes de sang et ses crimes économiques.  Pas de souci humanitaire oour toutes ces victimes? En exfiltrant Blaise Compaoré, on empêche le pays  de pouvoir récupérer sa fortune injustement acquise, au détriment de son peuple qui en a pourtant cruellement besoin pour ses hôpitaux, ses écoles, ses universités et son développement. Les chiffres avancés par les enquêtes menées actuellement sur les détournements de fonds et la fraude fiscale donnent le tournis.

Et que dire de ses deux derniers ambassadeurs ? Le général Emmanuel Beth d’août 2010 à août 2013, ami de Gilbert Diendéré, avec qui il sautait en parachute. Depuis qu’il s’est mis au service d’un cabinet privé qui travaille pour les entreprises du CAC40, il livre sa pensée. Il s’oppose à la loi électorale votée par la transition et prône l’impunité pour Blaise Compaoré. Quant à son successeur, il déclare aux journalistes burkinabè que la participation de la France au complot pour assassiner Thomas Sankara serait de l’ordre du « phantasme ».  Si telle est la pensée de la diplomatie française, mieux vaudrait se taire, et surtout cesser de s’ingérer dans les affaires de ce pays, sous peine d’avoir bien du mal à retrouver un peu de respect de la part des Burkinabè.

La France cite parfois le Burkina comme un modèle. Elle a raison. Mais pour quelle raison le fait-elle ? Pour s’être débarrassé d’un dictateur considéré comme un des meilleurs amis de la France dans la région ? Ou pour le fait que personne ne demande le retrait de l’armée française du pays ?

En réalité cet hommage de Hollande date du passage de Michel Kafando à Paris, en juin 2015. Si l’on écoute la conférence de presse, on se rend compte que l’essentiel semblait, pour Hollande, d’obtenir l’alignement de Michel Kafando sur les positions françaises dans le cadre de la préparation de la COP 21. La France n’a-t-elle pas, par la suite, soutenu, lors du putsch, les émissaires de la CEDEAO qui demandaient l’impunité pour Diendéré et souhaitaient revenir sur le code électoral qui empêchaient les personnalités les plus impliquées dans la campagne pour le maintien de l’article 37 de se présenter.  C’est en tout cas ce que laissait penser la déclaration de François Hollande l’époque qui menaçait ceux qui qui refuseraient l’accord proposé par le CEDEAO !

La Transition une redistribution des pouvoirs

Qui exerce le pouvoir au Burkina Faso ? En apparence, un gouvernement, le premier ministre Isaac Zida, le Président Michel Kafando.

En réalité l’insurrection, puis la Transition et enfin la victoire contre les putschistes ont complètement  réorganisé le paysage politique et surtout redistribué les pouvoirs entre partis politiques et société civile. Des personnalités nouvelles ont émergé dont le charisme, la légitimé sont devenus incontournables.

Le 27 octobre devant le Conseil national de la Transition Michel Kafando, le Président de la Transition déclare : « c’est ici que s’élaborent et se prennent les grandes décisions qui, avec celles du gouvernement, donnent corps, vie et légitimité à la Transition… »  Et il ajoute  « J’ai parlé de légitimité, un peu pour réfuter les fausses thèses et rhétoriques qui ne voient de légitimité que dans les urnes ».  Cette déclaration, venant de ce diplomate de formation, choisi pour son profil rassurant et pour calmer les pressions internationales en est la meilleure démonstration. Michel Kafando n’a jamais été un révolutionnaire, mais il est sincère. Il a vécu de nombreuses épreuves, les pressions extérieures tout au long de l’année, la peur de perdre la vie durant le putsch alors que de nombreux diplomates sont venus faire pression pour accepter l’impunité pour Diendéré et le retrait du code électoral.  Tout le monde sait dans ce pays le rôle joué par Cheriff Sy, le Président du CNT, et ces dizaines de milliers de jeunes, qui se sont levés au péril de leur vie, alors que jusqu’ici ils ne participaient ni à la vie politique et encore moins aux élections.

Et l’on ne peut que rapporter cette déclaration à celles des « observateurs » et autres représentants, de l’ONU, de l’Europe, de la CEDEAO qui à chaque lendemain d’élections viennent légitimer des résultats d’élections alors que des soulèvements populaires nombreux démontrent le manque de légitimité, des élus, notamment  des présidents, par exemple au Togo, au Congo, au Burundi pour ne citer que les pays qui ont fait la une de l’actualité dans la dernière période.

Au plus fort des moments historiques, que vient de vivre le Burkina, c’est la société civile qui a joué les premiers rôles, le Balai citoyen, le CAR (anciennement Comité anti-référendum devenu Citoyen africain pour la renaissance, qui ont permis une issue à l’insurrection le 31 octobre, rejoint par les syndicats au moment du putsch. Citons parmi les personnalités, les musiciens Sams’K Le Jah et Smockey, l’avocat Guy Hervé Kam tous trois du Balai citoyen, Hervé Ouattara du CAR. Et puis il faut ajouter ceux qui ont travaillé avec Cheriff Sy, le Président du CNT, pour préparer de très nombreuses lois mettant le Burkina sur les rails de profonds changements si les élections ne viennent pas les remettre en cause :  notamment RaSablgaSeydou Ouédraogo, directeur d’un institut d’études et de recherche FREE Afrik qui a mis toutes ses forces et compétences au service de la Transition, mais aussi Luc Marius Ibriga nommé directeur du contrôle  d’Etat, pour ne citer que ceux que nous connaissons, pendant qu’Hervé Ouattara, devenu Chef du groupe parlementaire des Organisations de la Société Civile contribuait à les faire adopter. Ce ne sont ici que quelques exemples. Il faudrait rajouter tous ceux ont travaillé au sein de la Commission de réconciliation et de réformes qui a rendu récemment son rapport et dont on se demande si la temps permettra que ses réformes auront le temps d’être adoptés avant les élections.

Révolution ou processus réformiste, l’avenir proche le dira. Les acteurs cités engagés dans le travail législatif regrettent de ne pas avoir eu plus de temps, et surtout que la composition du gouvernement , l’un d’entre eux joint au téléphone le qualifiant de « réactionnaire », ne leur ait pas permis d’en faire plus. Les résultats des élections seront déterminants pour l‘avenir du pays et la poursuite du processus de changement. Mais quelqu’en soient les résultats, les gagnants devront compter sur ce nouveau paysage politique et sur la société civile qui semble aujourd’hui peser plus  que les partis politiques.  Ce sont les gagnants qui auront en charge de faire vivre les dizaines de lois qui ont été votées. Ces nouveaux leaders de la société civile, conscient de ces enjeux, affichent une certaine confiance. Rien ne sera plus comme avant.

Nous reviendrons dans un prochain article sur les partis politiques à l’approche des élections prévues le 29 novembre.

Bruno Jaffré

 

Source: mediapart

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