Modibo Kéïta était un grand homme, aussi bien par la taille qu’à travers les œuvres qu’il aura posées pour la postérité. Sur le plan physique, De Gaulle disait de lui qu’il était le seul chef d’Etat africain pour lequel il n’avait pas besoin de se baisser pour le saluer.
Visionnaire, le premier Président du Mali avait fait du panafricanisme son cheval de bataille. Un idéal qu’il partageait avec ses pairs du Ghana, Kwamé N’Krumah, de l’Egypte, Gamal Abdel Nasser et de Guinée, Ahmed Sékou Touré. En un mot, il voyait grand pour l’Afrique. Au demeurant, il fut membre fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine et participera activement à la rédaction de sa Charte. Modibo Kéïta voyait très grand pour l’Afrique.
Les ambitions qu’il nourrissait pour le Mali, son pays, n’étaient pas petites non plus. Il voulait lui conférer une place de choix dans le concert des Nations et bâtir une nation avant-gardiste sur le socle des valeurs du patriotisme, du respect du bien public et de l’amour du travail bien fait.
En 8 petites années, il a réalisé ce que le Généralissime Moussa Traoré, son tombeur, n’a pas pu faire en 23. C’est Modibo Kéïta qui a doté le Mali d’un tissu industriel, à l’image de la COMATEX, de la SONATAM, de TAMALI, de la SOCOMA et de la SOCORAM. Pour la petite histoire, cette société de montage d’appareils électroniques, raconte un ancien, a été créée le même jour que la société sud coréenne Samsung. Si la SOCORAM n’avait pas été démantelée, comme beaucoup dans la foulée du coup d’Etat de 1968, le Mali serait à même de produire aujourd’hui à la chaîne les appareils électroniques les plus sophistiqués.
Sous la 1ère République et sous l’impulsion de Modibo Kéïta, le Mali s’était doté, via Air Mali, de la flotte la plus importante d’Afrique de l’ouest avec pas moins de 17 aéronefs, dont des Antonov et des Iliouchine. Cette dynamique s’accompagnait d’un programme de formation du personnel. Résultat: le Mali avait les meilleurs pilotes dans la sous-région, voire à l’échelle africaine. Formés en ex-URSS, ces pilotes étaient capables de décoller et d’atterrir dans les conditions météorologiques extrêmes. Qu’il pleuve ou qu’il neige.
Ceux qui ont pris les commandes du Mali après Modibo Kéïta se sont fait un malin plaisir de brader son précieux héritage en un rien de temps. Le plus grave crime qu’ils auront commis c’est de tuer l’homme malien que le Père de l’Indépendance était en train de modeler sur des valeurs sûres, car il savait, mieux que quiconque, que le développement commence d’abord dans la tête.
La grave crise que nous vivons a débuté avec le coup d’Etat perpétré le 19 novembre 1968 contre Modibo Kéïta, qui a porté au pouvoir Moussa Traoré. C’est à partir de ce moment que les valeurs qui ont fait la grandeur de la nation malienne ont commencé à fondre comme beurre au soleil, laissant place aux tares sociopolitiques comme l’affairisme, le favoritisme, la concussion, le népotisme, l’absentéisme, l’incurie, la délinquance financière… Moussa Traoré, même s’il ne profitait pas personnellement de cette corruption, l’a laissée prospérer, obnubilé qu’il était par son pouvoir personnel.
La «Révolution» de 1991 a balayé ce pouvoir autocratique, par ailleurs caractérisé par l’immobilisme. Le bon peuple a applaudi, croyant entrer dans une nouvelle ère, synonyme de jours meilleurs. C’était compter sans l’élite qui a inspiré la révolution. Elle n’hésitera pas à la trahir, sans état d’âmes. ATT, «l’homme du 26 mars» tirera sa révérence à la fin de la Transition. Bonjour Alpha Oumar Konaré!
Si des progrès ont été effectivement enregistrés dans l’amélioration du cadre de vie – Bamako s’est littéralement métamorphosée – c’était en trompe-l’œil, car c’est sous Alpha que l’affaiblissement de l’armée a commencé. Alors que, dans tout pays qui se respecte l’armée, est censée être la colonne vertébrale de l’Etat. Interrogé récemment par un journaliste occidental, Vladmir Poutine, le Président russe, a martelé: «le seul partenaire stratégique de la Russie, c’est son armée et sa flotte navale».
Pour Alpha Oumar Konaré, dans une démocratie, on n’a pas besoin d’une armée forte. Naïveté ou machiavélisme? Allez savoir… Toujours est-il qu’une armée forte, loin d’être une menace, est plutôt un gage de stabilité pour tout régime. D’autant que, dans cette jungle qu’on appelle monde, où seuls les intérêts géopolitiques comptent, le droit international n’existe que pour les simples d’esprit.
Concomitamment, le Président Konaré, à l’instar de Moussa Traoré et d’ATT sous la Transition, fera semblant de lutter contre la corruption. En réalité, elle connaîtra une véritable explosion sous nos «démocrate sincères et convaincus». Des dossiers «stratégiques» sont mystérieusement classés sans suite, le menu fretin est embastillé «pour donner des leçons», et de gros requins de haute mer continuent de «bouffer» tranquillement la part de milliers, voire des dizaines de milliers, de Maliens ordinaires.
C’est pendant les 10 ans des deux mandats d’ATT que la corruption connaitra son âge d’or. Une corruption qui s’accompagnera d’un incivisme tous azimuts. Jetez plutôt un coup d’œil à la circulation à Bamako… Sous ATT, c’est le laisser-aller, le laisser-faire. La corruption est entrée jusque dans l’armée, comme on le voit à travers le paiement de bakchichs à l’occasion des recrutements. Idem pour l’entrée dans la Fonction publique.
L’homme du 26 mars, tout Général de Brigade qu’il fût, n’en a pas moins continué le même travail de sape de l’armée qu’Alpha Oumar Konaré et la même politique de «la valisette» en faveur de Iyad Ag Ghaly et des supposés rebelles de l’Adrar des Ifoghas. Iyad en a profité pour bâtir sa propre légende, avant de se poser en pire ennemi du Mali.
Depuis le déclenchement de la crise multidimensionnelle dont nous peinons à sortir, Alpha Oumar Konaré s’est emmuré dans un silence assourdissant. Que se reproche-t-il, lui qui, en d’autres temps, avait le verbe haut? Cette attitude peut se révéler contre-productive, car dans ce pays de l’oralité son mutisme peut être interprété comme un aveu, reine des preuves s’agissant des rumeurs folles qui courent sur lui dans les «grins», les chaumières et les salons feutrés.
La corruption a continué à prospérer sous la crise, donc en partie sous le Président Ibrahim Boubacar Kéïta, tel que révélé par le dernier rapport du BVG. En se basant sur ses états de service comme Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, on pensait que le toréador de Sébénicoro avait les reins assez solides pour prendre ce taureau par les cornes. Pour le moment, on voit plutôt des gesticulations.
Au regard de la crise sans précédent que le Mali vit, le Président Modibo Kéïta n’a certainement de cesse de se retourner dans sa tombe devant le triste spectacle de ce que l’élite malienne a fait de son héritage. Lui qui n’avait pas hésité, un seul instant, à montrer avec fermeté la porte de sortie du Mali à l’armée française, en 1961.
Question: ceux qui se proclament héritiers de Modibo Kéïta le sont-ils réellement?
Yaya Sidibé
source : 22SEPTEMBRE