Depuis la fin septembre, la guerre en Ukraine est entrée dans une nouvelle phase, qui comporte des risques d’escalade encore plus élevés. Malgré une succession de revers, le président russe, Vladimir Poutine, n’a pas changé sa lecture du conflit : il pense toujours pouvoir annihiler la résistance des Ukrainiens et casser la détermination des Occidentaux, et d’abord des Européens. C’est le sens qu’il faut donner à la mobilisation dite partielle à laquelle il a procédé, à l’annexion de quatre régions ukrainiennes, à la poursuite du chantage aux hydrocarbures et des actions clandestines (sabotage des gazoducs Nord Stream), au renouvellement des menaces nucléaires et, enfin, à la campagne de frappes plus ou moins indiscriminées dans la profondeur du territoire ukrainien.

Ce dernier point est peut-être le plus important, au moins à court terme. D’une part, il élève en effet considérablement le coût de la résistance ukrainienne – que l’on pense par exemple à la désorganisation de la distribution de l’électricité. D’autre part, il est révélateur d’une volonté de lever toute inhibition dans le recours à la force. Cela peut paraître étrange, mais dans la phase antérieure les deux parties s’imposaient certaines limites, comme la sanctuarisation du territoire russe et des restrictions dans les frappes russes sur les centres névralgiques du système ukrainien. Alors que par ailleurs l’armée russe est en train de perdre pied à Kherson, on peut se demander si nous ne sommes pas entrés dans une spirale qui rend presque inévitable un choc frontal entre la Russie et l’OTAN.

Les Etats occidentaux ne sont pas en guerre contre la Russie. Une épreuve de force multiforme n’en est pas moins engagée entre Moscou et les Etats-Unis et leurs alliés. Un point n’a peut-être pas suffisamment retenu l’attention : dans la conjoncture actuelle, une « troisième force » – non cohérente certes – joue un rôle de plus en plus crucial, ce sont ces pays que l’on pourrait appeler les « puissances moyennes désinhibées ». Ainsi, l’Inde et la Turquie, en développant leur commerce avec la Russie, allègent le poids des sanctions occidentales, l’Arabie saoudite fait de même en décidant avec l’OPEP+ une réduction des quotas de production de pétrole. L’Iran, quant à lui, livre à Moscou les drones qui s’abattent sur les villes ukrainiennes.

Position inconfortable

La politique de ces puissances – certaines étant des « amies » de l’Occident – contribue à affaiblir la stratégie occidentale et à affermir la résolution du Kremlin. Il est à craindre que la Russie obtienne par l’intermédiaire de l’une d’entre elles les microprocesseurs dont son industrie de défense a un besoin vital.