Des difficultés dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation à la résistance populaire au projet de révision de la Constitution du 25 février 1992, Ibrahim Boubacar Kéïta apparaît comme un homme piégé.
Nul ne souhaite être à la place du Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta en ces moments précis. Des difficultés que connaît la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger à la résistance populaire au projet de révision de la Constitution du 25 février 1992, IBK apparaît comme un homme piégé à plusieurs niveaux.
Premier piège : Accord, l’axe central de la communication des officiels.
Le Président IBK et son gouvernement se sont piégés en faisant de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, l’axe central de leur communication autour de la révision de la Constitution. Une telle ligne de défense peut difficilement tenir dans un contexte marqué par l’insécurité grandissante. Deux ans après la signature de l’Accord issu du processus d’Alger, les populations perçoivent difficilement encore les dividendes de la paix. De nombreuses dispositions importantes de l’Accord déjà prises par le gouvernement mais méconnues de l’opinion ne sont pas liées à une révision de la loi fondamentale. Certains diront que la priorité est aujourd’hui le cantonnement et le désarmement des combattants des groupes armés qui se partagent le contrôle des zones échappant à toute emprise de Bamako.
Deuxième piège : les consultations.
Au lendemain de la grande marche du 17 juin organisée par les opposants à la révision constitutionnelle, le Chef de l’Etat a entamé quelques consultations au Palais de Koulouba. Ainsi, il a reçu les présidents des institutions de la République, les leaders religieux, les autorités traditionnelles, l’intergroupe parlementaire de la majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale et la Convention de la Majorité présidentielle (CMP). Une très bonne initiative qui a un goût d’inachevé. Pour le Président de tous les Maliens qu’il est, le Chef de l’Etat aurait fait preuve d’une grande élégance en recevant au Palais de Koulouba les opposants à la réforme. Au-delà, le piège de ces consultations se situe au niveau des suggestions faites au locataire de Koulouba. Le Président du groupement des leaders religieux et spirituels du Mali, Ousmane Chérif Madani Haïdara, a fait savoir qu’ils ont demandé au Président IBK de surseoir au référendum. Si quelques jours après, le Président profite de la conférence de presse en compagnie du Président français Emmanuel Macron à la fin du Sommet extraordinaire des chefs d’Etat du G5 Sahel pour annoncer qu’il ne va pas retirer le projet controversé, certains parmi les personnes consultées pourraient voir là un manque d’égard. Cette prise de position semble être inappropriée dans un contexte difficile. Le célèbre écrivain Massa Makan Diabaté ne disait-il pas qu’un chef n’est pas obligé de dire qu’il va faire mais plutôt obligé de faire ce qu’il dit.
Troisième piège : les vraies-fausses assurances d’Emmanuel Macron.
Co-animant une conférence-presse à la fin du sommet extraordinaire des chefs d’Etat du G5 Sahel, le Président Emmanuel Macron a tenu des propos qui peuvent être diversement interprétés. Evitant soigneusement de se prononcer sur le débat autour de la réforme constitutionnelle et préférant se cacher derrière un sujet relevant de la souveraineté du Mali et du peuple malien, le locataire de l’Elysée a salué la détermination du Président Kéïta dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation avant de lui promettre le soutien total de la France. Ces vraies-fausses assurances de Macron sont un piège pour le conducteur du “Train de la paix” qui peine à se frayer un chemin à la gare de Bamako où les orages semblent avoir des odeurs de foudre.
Face aux manifestations populaires, il ne faut pas faire confiance aux occidentaux, surtout pas à un homme qui se présente comme un homme de rupture dans les relations franco-africaines. En 2011, les promesses d’aide du ministre français de l’intérieur de l’époque, Michelle Alliot Marie, n’ont pas sauvé le régime du Président Ben Ali en Tunisie. En 2014, la présence des forces spéciales françaises à Ouagadougou n’ont pas empêché la chute sans gloire de Blaise Compaoré. Donc, mieux vaut écouter une partie de son peuple que de se fier à une puissance étrangère.
Quatrième piège : Les manifestations des “Non” et des “Oui”.
Dans un pays déjà fortement divisé, les manifestations “Non” et des “Oui” font craindre une escalade de la violence avec des conséquences imprévisibles. Or, il faut éviter d’ouvrir un autre front de tension à Bamako au moment où ceux du nord et du centre peinent à se calmer en dépit des bonnes intentions contenues dans les discours à la fois hypocrites et démagogues. A ce niveau, les leaders religieux et les familles fondatrices peuvent jouer les bons offices entre les différents camps avant de faire des suggestions au Président IBK et à son gouvernement.
Que faire maintenant ?
La fracture sociale est telle que le Président de la République est obligé de se défaire de sa posture : « Ça passe ou ça casse ». Et cela au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Il devra tout mettre en œuvre pour réunir le maximum de consensus autour de cette réforme constitutionnelle. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation au Mali. Ce document qui regrette que la réforme n’ait pas fait l’objet de consultations avant son introduction en conseil des ministres, invite le gouvernement à réunir le maximum de consensus avant le référendum.
En attendant de trouver un consensus autour de la loi fondamentale, le gouvernement pourra changer le fusil d’épaule en mettant en œuvre une autre disposition de l’Accord. L’article 6 de l’Accord pour la paix et la réconciliation prévoit aussi à « court terme, de prendre des mesures dans le sens de l’ouverture du Haut conseil des Collectivités notamment, aux représentants des notabilités traditionnelles, aux femmes et aux jeunes ». Pourquoi ne pas choisir cette option en attendant la création d’une seconde chambre ? Pourquoi le gouvernement n’évoque-t-il jamais cette disposition dont la mise en œuvre est également le respect de la signature du pays ?
Au-delà, il est indispensable de créer les conditions d’un dialogue national au cours duquel cette réforme controversée, les difficultés de mise en œuvre de l’Accord issu du processus d’Alger et d’autres sujets comme le calendrier électoral de 2018 seront discutés afin d’aboutir à un consensus entre les différentes composantes de la nation. Sinon à ce rythme, il y a de fortes chances que l’élection présidentielle de l’année prochaine ne se tienne pas à la date prévue.