«J’ai besoin d’une majorité de confiance à cheval sur la vérité… C’est vous qui constituez la majorité. Ceux qui sont minoritaires sont plus visibles que vous. Je ne vous sens pas. Je vous sens frileux. Vous m’avez laissé sur ma faim…». Ces récriminations et reproches du président IBK à ses associés politiques sont tout simplement mal fondées et injustifiées. Les raisons !
C’est à la faveur de sa visite à Sikasso, le week-end dernier que le président IBK, visiblement embarrassé par les sorties tonitruantes de l’opposition a tancé ses camarades politiques de la majorité. «Je ne vous sens pas dans le débat, alors que c’est vous qui constituez la majorité. Ceux qui sont minoritaires sont plus visibles que vous. Je ne vous sens pas. Je vous sens frileux. Vous n’avez pas de complexe à vous faire. Je ne vois pas quel combat un combattant frileux va gagner. Si déjà, devant le ring, tu trembles, je ne sais pas où tu vas», a-t-il fustigé. Et ce n’était pas la première fois qu’il les titillait ainsi. Déjà au mois de Novembre 2014, à la faveur d’une précédente offensive de l’opposition politique, il a aiguillonné la troupe en ces termes: «Vous m’avez laissé sur ma faim… J’ai besoin d’une majorité de confiance à cheval sur la vérité…». C’est dire que de novembre 2014 (date de la première remontrance) à Août 2015, les associés politiques en question n’ont pu améliorer leurs prestations. Inefficacité ou incompréhension ? Rien de tout cela. Et pour cause. Les semoncés ont, de par le passé, bien prouvé leur efficience politique. Alors, comment expliquer cette léthargie rampante nonobstant les harangues incessantes du chef ? Il s’agit en fait, comme on le dit en mathématique, des conséquences d’une erreur d’addition. Le phénomène trouve ses origines dans un passé récent de l’histoire politique du pays.
Un fait majoritaire très discutable
Les reproches d’IBK à ses camarades politiques attestent bien qu’il est et reste convaincu du fait majoritaire de ces derniers. Bien entendu : la vérité absolue n’existe pas. Mais la conviction intime, oui. Dans les faits, tout indique cependant que la majorité dont il se prévaut est à prendre avec une beaucoup de circonspections au regard du processus à l’origine de l’élection des parlementaires, symbolisant le fait majoritaire. Quelques rappels !
Ils sont désormais 20 partis politiques, à l’issue du dernier scrutin législatif, à siéger à Bagadadji à travers les 147 députés que compte l’Hémicycle. Il s’agit, pour ce qui est de la prétendue majorité, du RPM (60 députés), ADEMA-PASJ (20), CODEM (5), ADP- MALIBA (5), CNID (4), PARTI SADI (4), ASMA-CFP (4), MIRIA (3), MPR (3), CDS (2), Indépendants (2), UDD (1), , UM-RDA (1), YELEMA (1),
Et s’agissant de ceux de l’opposition, et/ou centristes, on dénombre l’URD, (17), FARE ANKA WULI (7), PARENA (3), PDES (3), RPDM (1), PRVM (1),
En apparence, seulement en apparence, le fait majoritaire est inéluctable. Mais comment ces parlementaires, (aussi bien de l’opposition que de la majorité), ont été élus et qu’est-il advenu au-delà du scrutin? Là est toute la question.
Plus de 110 élus par portage sur les 147 députés
Tous ces élus ne doivent leur ascension à leur influence propre ou à la popularité de leurs formations respectives. En clair, la majorité d’entre eux, a été portée par les autres candidats, plus populaires et mieux implantés. Autrement dit, le principe des listes communes a faussé la donne. C’est bien grâce à ces candidatures collectives que nombre d’entre eux ont accédé à l’Hémicycle. Comme pour dire que certains n’ont véritablement pas une base électorale fiable susceptible de légitimer le principe majoritaire.
Pour la petite histoire, 111 députés ont été élus par portage à travers 34 listes communes et le reste (36), sur liste propre dans les 55 circonscriptions électorales du Mali. Et qui sont donc ces candidats de la majorité élus sur liste propre de leurs partis ? Il s’agit en l’occurrence, de l’Adema-Pasj, du RPM et de de l’URD (opposition). Ceux (toujours de la majorité) élus sur la base des listes communes sont : CODEM (5), ADP- MALIBA (5), CNID (4), ASMA-CFP (4), MPR (3), PDES (3), MIRIA (3), CDS (2), UDD (1), PRVM (1), YELEMA (1), RPDM (1), UM-RDA (1). Sont également concernés par les listes communes, les FARE (opposition) avec sept (07) élus lesquels prendront plus tard une autre destination.
Au total, ils sont 30 députés de la majorité à être élus à travers les listes communes et très souvent portées par des candidats de l’opposition, des alliés ou des indépendants. Illustration : (Dioïla) : liste RPM (majorité)-URD (Opposition) -Fare Anka Wuli (Opposition) ; Baroueli : liste URD (opposition)-Yéléma (allié)-Cnid Faso Yiriwa Ton (allié); Bandiagara : liste Adema Pasj-Codem-Rpm ; Bourem : liste Um-Rda Faso Djigui (allié)- Rpm (allié), etc.
Un détail et non des moindres : au regard des contingences du moment, des élus au nom des mouvements armés ont été littéralement «nommés». Il s’agit, entre autres, de l’indépendant Bajan Ag Hammatou (Ménaka), Almouden Ag Iknan (Kidal), Aicha Belco Maiga (Tessalit), Hamada Ag Bibi (Abeibara) et Mohamed Ah Intalla (Tin-Essako). On le sait : il eut dans ses localités, un semblant de vote qui ne dérangea d’ailleurs personne. Au contraire.
En somme, au regard des listes communes avec leurs alliances très souvent contre nature, des scrutins très douteux, le fait majoritaire ne semble pas évident. Mais il n’y a pas que ces seules contingences.
De sérieux doutes sur l’impartialité de la Cour Constitutionnelle
Vous rappelez-vous des 129 requêtes introduites par les candidats, la plupart contre ceux du RPM, auprès de la Cour Constitutionnelle à l’issue du 2ème tour du scrutin législatif ? Eh bien les voici : «violation de la Loi électorale, fraudes massives, trafic d’influence, achat de conscience, perturbation de vote, irrégularités relatives aux bulletins nuls validés au profit d’une liste, bourrage d’urnes, changement de président de bureau sans en référer au préfet, remplacement d’assesseurs régulièrement nommés, la remise de bulletins comportant les signes de vote, la délocalisation de bureaux de vote sans notification préalable, le vote sans carte NINA, des cas où le nombre de votants était supérieur au nombre d’inscrits, l’ouverture des bureaux de vote avant l’heure indiquée». Et qu’a répondu la Cour ? La plupart des requêtes en question ont été jugées «irrecevables» par l’Auguste Assemblée.
Par contre, elle (la Cour) s’est appesantie sur celles émanant des circonscriptions de Nara, Niono et Gao. Et tenez-vous bien : les requêtes ici, ont été formulées par le RPM contre ses alliés. Le verdict de la Cour fut là, favorable au demandeur.
Suite donc à la sentence de la Cour Constitutionnelle et contre toute attente, c’est donc le RPM qui enlève finalement les 3 sièges à Nara à travers ses candidats Niamé Kéita, Babba Hama Kane et Moussa Badiaga au détriment de ceux de la liste alliée Adéma/PASJ et ADP-Maliba représentée par Mme Traoré Oumou Soumaré, Boubacra Mangara et Mahamadou Diarisso, des personnages politiques encore très influents dans la dite circonscription.
Scénario identique à Niono. Suite à la requête du parti présidentiel, l’ordre fut bouleversé. La Cour opta en effet, pour le groupement de partis RPM/UM-rda Faso jigi/Sadi ayant pour candidats Sory Ibrahima Kouriba, Belco Bah et Araba Doumbia au détriment du groupement alliés RpDM/ADP-Maliba ayant pour postulants Boubacar Sabane Touré, Diadié Bah et Modibo Kimbiry, des candidats malheureux qui restent encore crédibles dans ladite localité au contraire des heureux gagnants.
L’histoire s’est répétée à Gao. La même Cour a disqualifié l’alliance Adéma/PASJ-Asma au profit de la liste RPM. Vous souvenez-vous des candidats de la première liste ? Il s’agit d’Assarid Ag Imbarcaouane, Abouzeïdi Ousmane Maïga et Arbonkana Maïga, des vieux de la vieille ! La Cour a décidé de les faire remplacer par les candidats RPM, à savoir, Ibrahim Ahmadou, Aguissa Seydou Touré et Alhousna Malick Touré.
A retenir que les résultats provisoires proclamés par le Ministère de l’Administration Territoriale avaient donné gagnants les premiers cités ; et que toutes les requêtes introduites par les autres candidats contre le RPM ont été purement et simplement rejetées ; et que n’ont été retenues que celles déposées par le même parti et souvent contre ses alliés.
A se demander alors si ces députés visiblement nommés par la Cour ont une véritable légitimité politique. Difficile, en tout cas, pour eux, de se rendre dans leurs localités respectives en vue d’une restitution. Mais une simple arithmétique voudrait qu’ils contribuent à gonfler abusivement le nombre majoritaire. Dans la pratique, c’est une toute autre histoire.
La transhumance politique et le déficit de confiance
Au sortir des urnes et grâce à la magnanimité de la Cour Constitutionnelle, le parti présidentiel disposait de 66 députés. Il en a aujourd’hui 77 soit 11 de plus. Y a-t-il eu un 4ème tour après le 3ème au niveau de la Cour Constitutionnelle ? Apparemment oui ! Soucieux de posséder une majorité absolue soit les 2/3 de l’effectif à l’Hémicycle, le parti présidentiel a puisé à tout vent, aussi bien chez ses alliés qu’au sein de l’opposition. Les députés URD de Bafoulabé, Gossi Draméra, Mahamadou Lamine WAGUE de Banamba, Bakary Woyo DOUMBIA du parti FARE AN KA WULI, élu à Bougouni (en plus des indépendants), furent ainsi «récupérés» (nous en oublions certainement d’autres.
Mais pourquoi cette obsession d’une majorité absolue ? Nous sommes de ceux-là qui pensent que c’est dans le dessein de contrarier, voire de défier éventuellement le président de la République lequel s’obstine à puiser un Premier ministre ailleurs qu’au sein de sa famille politique. Ceci est une autre histoire. Et tout état de cause, la tendance obsessionnelle en question a plutôt contrarié les alliés politiques et les a imposé une certaine réserve. Non, une réserve certaine ! Pour tout dire, les alliés politiques du RPM ne lui font désormais guère confiance. Ils ont d’autres griefs justifiant leur «aigreur» (lire encadré).
Le taux de participation: les abstentionnistes, la véritable majorité
Un peu plus de 6,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes. Les chiffres indiquent tout simplement que le taux de participation a varié d’une localité à l’autre, entre 20 et 35%. C’est dire que les abstentionnistes constituent la véritable majorité.
Si les raisons de cette abstention sont diverses et variées selon les circonscriptions, elles semblent partout motivée par la déception et surtout, par les alliances contre nature citées plus haut. Et au regard des faits, elle (l’abstention) prend de la proportion. En font foi, les élections législatives partielles en commune V où le même taux n’a guère dépassé les 15%. N’aurait-il pas fallu reprendre le scrutin ? Et quelle légitimité pour l’élue de la majorité dans ce contexte ?
Une majorité instable et… factice
Au regard de tout ce qui précède, s’enorgueillir aujourd’hui au Mali d’une majorité politique, constante et effective est tout simplement inapproprié. Le jeu a été faussé d’abord par les alliances contre-nature à travers les listes communes, les tripatouillages de la Cour Constitutionnelle, la transhumance politique des élus ou tout simplement à travers les débauchages. Conséquences : de nombreux élus ne sont guère représentatifs de leurs localités respectives et il s’avère périlleux pour eux d’y retourner ou de mobiliser les masses, à fortiori d’affronter leurs propres opposants, jugés par le président IBK, «plus visibles, en tout cas, plus engagés. En définitive, IBK se trompe lourdement en fondant ses espoirs sur cette majorité fictive. Et les coupables ne sont nullement les appelés (les alliés en question), mais bien IBK et son parti, le RPM, à travers leur obsession de la majorité politique d’abord simple, et ensuite absolue. En clair, ils sont victimes de leurs propres jeux.
B.S. Diarra
Source: La Sentinelle