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Hommage au dr Daniel Amagoin Tessougué, magistrat et écrivain : Oui, le baobab s’en est allé !

Dimanche 11 juin 2023, j’ouvre mon Watch App vers 13 heures, après une nuit blanche passée à lire le livre : «De mon balcon» de Hamadoun Touré, ancien ministre de la communication du Mali.  Dans les messages qui défilaient, j’ouvre celui de Boubacar Aoudi Dé, mon ami et promotionnaire de la Faculté de Droit. Qu’est-ce que je vois écrire dans sa publication ? Dr Daniel Amagoïn Tessougué, l’ancien Président de la Cour de Justice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a rendu l’âme.

 

Ma surprise et ma stupéfaction furent grandes après avoir entendu cette mort subite et inattendue de celui qui fut mon professeur, membre du jury de ma soutenance, mon ami, mon modèle… Bref celui avec qui j’échangeais intellectuellement sur les sujets brûlants de notre nation et de la nouvelle marche du monde ici à Bamako et à Ouagadougou (Burkina Faso).

Le lendemain, je me suis rendu dans la famille pour présenter mes condoléances et signer le livre des condoléances. Après avoir décliné mon identité, je me suis entretenu avec son frère Samuel Amagoïn Tessougué qui m’a fait cette confidence : «Tu sais Monsieur Macalou, quand Daniel était jeune auditeur de justice, il a refusé de serrer la main de l’ancien Président de la République Moussa Traoré au motif qu’il n’aimait pas le système de ce Monsieur. Quand il m’a parlé de ça, en tant qu’aîné, je lui ai dit de faire attention et d’aller doucement». On voit bien que le combat de Daniel avait commencé depuis belle lurette. Bi Ko Tè !

Magistrat de grade exceptionnel et de haut vol, Dr Daniel Amagoïn Tessougué était un homme studieux, rigoureux, intègre, consciencieux, attachant, ardent, combatif, convaincu et courageux. Il se souciait beaucoup de la marche de la magistrature et de la saine distribution de la justice dans notre pays. Il a surmonté avec brio presque tous les obstacles qui étaient devant lui. Ni les peaux de bananes glissées sous ses pieds, ni les multiples trahisons, ni les dénigrements ou les calomnies et les injures n’ont pas pu le faire dévier de sa trajectoire. Il était resté égal à lui-même et constant dans l’adversité. Un trait de caractère qui ne l’a pas quitté jusqu’à son dernier souffle.

Ainsi, Dr Daniel Amagoïn Tessougué n’était pas de ces magistrats hâbleurs et filous, toujours en costumes (cravates, chemises, des vrais attachés-cases) qui intriguent et grugent les pauvres citoyens venus demander justice auprès d’eux. Et d’ailleurs, le niveau intellectuel de la plupart de ceux-ci reste à désirer ! Oui, Daniel avait le courage de ses opinions et ne se laissait pas intimider par quiconque dans l’exercice de ses fonctions.

Il s’assumait dans la plénitude de ses décisions prises tout en respectant les règles de droit édictées par l’autorité étatique. J’avais l’habitude de lui coller le sobriquet «le Halphen malien», en rapport avec ce magistrat français et écrivain du nom d’Eric Halphen qui n’hésita pas un beau matin à convoquer le président français d’alors (Jacques Chirac) en plein exercice de sa fonction dans l’affaire des HLM de Paris avant d’être dessaisi du dossier sur lequel il enquêtait depuis sept ans. Tout le monde sait ce que cela a créé comme tollé en France. Daniel en a fait autant au Mali même si les statuts des personnes diffèrent. Sur ce point, je laisse les lecteurs assouvir leurs curiosités à travers des recherches.

 

Un bourreau du travail rompu à la tâche qui a servi la magistrature avec conviction

Dr Daniel Amagoin Tessougué avait compris son magistère et la quintessence de sa fonction. Oui, Daniel a servi la magistrature de son pays avec conviction, passion, courage et abnégation. La fonction, il l’avait comprise et la maîtrisait. Cette pensée de l’écrivain Hamadoun Touré piochée dans son livre : «De mon balcon» nous élucide davantage : «Bien souvent, la fonction habite celui qui l’exerce, rend compte de sa personnalité et de ses actes de tous les jours. Une fonction s’habille, s’honore et se respecte aussi. La fonction de responsabilité a ses rites et ses codes, un mot de passe, dirait-on à l’heure du numérique, que seuls les initiés connaissent». Oui, toutes ces caractéristiques habitaient chez Daniel. Il était un bourreau du travail. Rompu à la tâche, il lui arrivait souvent d’amener avec lui des « tonnes » de dossiers chez lui afin de les examiner pour plus d’efficacité et de célérité.

Je l’ai vu officier dans la salle des pas perdus avec sérénité et élégance. Dans ses réquisitoires, on sentait chez Daniel un véritable sociologue de la société malienne. Il m’a une fois confié dans son bureau à Ouagadougou qu’il lui arrivait souvent de descendre dans l’arène pour mener ses propres investigations sur tel ou tel dossier brûlant du moment. Il lui arrivait d’emprunter les Sotrama (les moyens de transport urbain à Bamako) ou de marcher à pied pour écouter les citoyens. Il m’avait dit aussi dit qu’il lui était même arrivé de poursuivre nuitamment à pied un ancien ministre du Mali impliqué dans un dossier qui partait superviser l’état d’exécution de son chantier avec sa femme. Daniel était très audacieux et avait du cran. C’est ça être un Chef.

«Le leadership efficace implique que vous preniez des responsabilités pour le bien-être du groupe. Ce qui veut dire que certains vont s’énerver face à vos actions et vos décisions. C’est inévitable, surtout si vous êtes honorable», a dit feu le Général Colin Powell, ancien Secrétaire d’Etat américain (né le 5 avril 1937 à Harlem et mort le 18 octobre 2021 à Bethesda), donnant raison au regretté magistrat émérite

«Macalou, ton combat pour la promotion de la lecture au Mali portera ses fruits un jour. Surtout, n’abandonne jamais. Il faut le faire avec conviction et passion, tu verras. Tu sais, lire est toujours un grand moment. Se pencher sur un livre, le tenir dans ses mains et en feuilleter une après l’autre les pages, s’enfoncer chaque instant dans ses profondeurs, quel magnifique moment de se retrouver seul à seul avec son esprit. La lecture est un temps d’enrichissement intellectuel», m’a-t-il un fois dit à Bamako.

A Ouagadougou (Burkina) il m’a confessé ceci dans son bureau : «Macalou, quand j’ai été démis de mon poste de Procureur général, j’étais à la maison en train de faire mes consultations et surtout à s’adonner à ma passion favorite : la lecture et l’écriture ! Un jour, je reçois un coup de fil dont la teneur est la suivante : Les autorités du Mali vous ont proposé pour la candidature à la présidence de la Cour de Justice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Ma surprise fut grande et je me suis posé la question suivante : Qu’est-ce qu’on me tend encore comme pièges ? (Rires)».

La Haye ou Ouagadougou ?

Au même moment, a-t-il poursuivi, «je reçois un beau matin, l’appel de Madame Fatou Bensouda, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) qui me proposa un poste à la Haye pour venir l’épauler. Je lui ai dit de me donner un temps de réflexion pour ensuite lui répondre. Elle insista à ce que je regagne le plutôt possible la Haye et qu’elle n’a pas besoin de ce temps bien sûr de façon courtoise. Entre deux choses, il faut choisir. Après mûres réflexions, j’ai finalement opté pour la présidence de la Cour de Justice de l’Uémoa. Mon choix était très simple. Je me suis dit que cette Cour est une jeune Institution qu’il faut apporter mon expertise pour son expansion et sa notoriété. Mieux, en restant à Ouagadougou, je serai proche des miens et je peux mieux servir les Africains».

Il est à noter que Dr Daniel Amagoin Tessougué m’a reçu à Ouagadougou à la sortie de mes livres : «Oser entreprendre au Mali, Une des alternatives à l’emploi des jeunes» et «Investir au Mali : 50 idées pour créer son entreprise et la réussir». C’était en 2019. Il avait même acheté les deux livres que je lui ai dédicacés sur place. Ses archives livresques peuvent en témoigner. Je tiens à préciser que ma relation avec Dr Daniel Amagoin Tessougué était basée sur la chose intellectuelle. Il m’admirait beaucoup. Nous sommes tous juristes de formation à l’origine (lui détenteur d’un Doctorat en Droit privé et moi une Maîtrise en Droit privé). Nous avons aussi une passion commune : l’écriture et la lecture ! Il a écrit quatre livres, entre autres «Cantiques du Ginna» (recueil de poèmes publié aux EDIM S.A), «Harmonie retrouvée» (roman publié aux éditions CPE, Abidjan, Côte d’Ivoire), «La Conjuration» (roman publié aux éditions Jamana) et «Verbes fertiles du Ginna», co-écrit avec sa fille Grace Evelyne Tanzan Tessougué (œuvres poétiques publiées aux éditions Céprodif).

Dr Daniel Amagoïn Tessougué fut aussi le préfacier de plusieurs livres comme, entre autres, «Le procès équitable au Mali» de Mamadou Békaye Dembélé, «L’Union de droit au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine» (UEMOA) de Relwendé L. Martial Zongo. A noter que Dr Tessougué est né le 10 décembre 1958 à Sangha, en pays dogon. Il était marié et père de cinq enfants. Il est décédé le 11 juin 2023 à Bamako. A ses obsèques, la République était présente.

Oui, Dr Daniel Amagoin Tessougué, la grande faucheuse a écourté votre vie sur terre mais elle n’aura jamais raison sur vos idéaux et vos convictions ! L’arbre que vous avez planté, germera, fleurira, grandira et jaillira son ombrage et ses fruits pour les générations à venir. Vous n’avez pas vécu inutile sur cette terre. Dors en paix l’intellectuel, le battant et le combattant. Que la terre vous soit légère. Amen !

Mamadou Macalou

Commissaire Général du Salon du livre de Ségou/SALISE et écrivain

TEL : (00223) 73 42 42 56

Mail : salondulivresegou@gmail.com

 

Source: Le Matin

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