Selon le puissant Cherif de Nioro, cette action de fermeture du marché n’est pas définitive: «Je veux juste que la population souffre un peu». C’est clair: le descendant du Cheik Hamala veut pousser ses concitoyens à être de son côté, pour abattre le régime d’IBK.
Les produits de première nécessité connaissent une hausse à Nioro: le prix du sac de lait en poudre passe de 46.000 francs CFA à 65.000 francs ; celui d’un sac de sucre de 50 kg passe de 21.000 à 16.500 francs CFA. Selon une habitante de la ville de Nioro que nous avons jointe au téléphone, tous les produits venant de la Mauritanie, dont le sucre, leurs prix ont connu une hausse sensible. Notre interlocutrice confirme que les boutiques du Chérif sont encore fermées et nous informe que la ville est vraiment mécontente de cette situation. Une source locale explique cette hausse par le fait que les Gouvernants ont ordonné la saisie de véhicules de transport de marchandises de l’Homme d’Affaires, non moins Guide religieux et fils du Saint Cheikh Hamala. Selon nos informations, la Douane malienne réclame de ses arriérés de taxes et frais de dédouanement de ses marchandises. Un accord tacite accorde des avantages et des facilités à Bouyé depuis le temps du Général Moussa Traoré. Ce qui fait qu’il détient le monopole de fait dans cette zone. Bouyé est personnellement engagé dans un duel sans merci contre IBK, et qui ne peut prendre fin que lorsqu’il y aura capitulation au mieux, sinon mort d’Hommes au pire des cas. Il ne peut plus reculer, même jusqu’au-boutiste, côté IBK aussi. L’exigence de paiement des droits et la fermeture des boutiques font partie des passes d’armes auxquelles les deux ennemis se livrent à distance. La guerre a commencé assez tôt après. Selon Bouyé, en 2013, IBK, quand il a été élu, est allé lui voir avant d’être investi pour lui demander conseil. «Je lui ai donné sept (7) conseils. Mais, il n’en a respecté aucun », s’insurge le Patriarche.
Les raisons d’un divorce
Pour rappel, le deal entre IBK et le Chérif de Nioro, remonte en 2012. Il est l’une des premières personnalités auxquelles Haya présenta IBK. Il dit, donc, à IBK: « Je soutiens Haya et comme Haya te soutient, je te soutiendrai aussi». Bouyé est l’une des rares personnalités qui ont vivement approuvé le putsch du 22 mars 2012. Il entame aussitôt la mobilisation des musulmans en faveur d’IBK. Il met en branle l’association islamique « Sabati 2012 », qui soumet une liste de doléances: octroi de subventions publiques aux associations et écoles religieuses; interdiction de toute publicité sur le tabac et l´alcool; maintien du Ministère du Culte dans le Gouvernement; Promotion de Banques islamiques, etc. Le choix est officiellement proclamé à Nioro, le 19 juillet 2013, par Bouyé lui-même. « Bouyé a parlé. Les musulmans du Mali sont appelés à voter, le 28 juillet 2013 », s’est exprimé Moussa Boubacar Bah, Président de « Sabati 2012 ». Le vieux Bouyé, dans la foulée, débloque 100 millions de FCFA pour contribuer aux campagnes d’IBK. Et, le même IBK, après avoir été élu, avant son investiture, s’est rendu personnellement à Nioro pour rendre hommage à Bouyé.
Quelques mois, après la prise de fonctions du Président IBK, la tension monte entre ce dernier et son Bienfaiteur.
Bouyé n’a pas apprécié le fait que, promu Général, Amadou Haya Sanogo est arrêté, le 27 novembre 2013. Le Chef religieux s’estime être trahi et n’est plus consulté par Koulouba. À l’approche des législatives de 2014 il demande au RPM de faire liste commune avec des candidats qui lui sont proches et qui avaient soutenu IBK pendant la présidentielle. Certaines sections (Ségou, Communes 5, 3 et 2 de Bamako, Kayes, Koutiala et de Nioro) acceptent. Dans d’autres localités, les leaders du RPM les refusent. Bouyé décide de soutenir lui-même les candidats rejetés par le RPM, mais qui se sont présentés en Indépendants ou sur d’autres listes de partis. Certains candidats gagnent comme à Nara et à Niono avant de se voir recalés par la Cour Constitutionnelle. Lors d’un sermon, il se demande, comment IBK a pu laisser les Juges de la Cour Constitutionnelle annuler à leur guise les suffrages des Maliens et proclamer des résultats qui, selon lui, « ne reflètent pas la vérité des urnes ». Et il conclut: « Nous n’avons pas eu droit au changement que nous attendions. Rien n’a changé depuis l’élection présidentielle. Au contraire, les ténors de l’ordre ancien restent en place ou refont surface alors que les partisans du changement sont jetés en prison ou exclus des affaires publiques! ».
Le vendredi 17 janvier 2014, au soir, un des fils du Chérif est tabassé par des Gendarmes au poste de péage de Diéma et malgré les protestations du Chérif, aucun Gendarme n’est sanctionné.
Le 25 janvier 2018, le Chef de l’État s’est rendu à Nioro pour présenter ses condoléances au Chérif à l’occasion du décès d’une de ses épouses. Pour donner aux condoléances une dimension nationale, IBK a mis dans sa Délégation un notable de chaque Région du Mali ainsi que des Ministres et Chefs d’institutions. Sans compter les Leaders religieux, traditionnels et associatifs de tous bords. Les propos du Cherif ne rassurent pas IBK: le Chef religieux n’a donné au Chef de l’Etat aucune promesse de soutien pour la présidentielle de 2018. Ce refus de s’engager en faveur d’IBK confirme le grand froid qui caractérise depuis des mois les relations entre les deux Hommes.
C’est pourquoi, lors de l’élection présidentielle du 29 juillet 2018, Bouyé décide de se jeter avec tous ses moyens dans la bataille contre IBK au profit du parti ADP-Maliba au 1er tour et au second tour pour Soumaïla Cissé. Car, pour lui, il faut mettre à tout prix IBK hors d’état de nuire. Dans une vidéo, le marabout ne reconnaît pas IBK comme Président élu et il continue le combat pour le dégager.
En attendant, force est de constater que la fermeture des boutiques du Chérif de Nioro est une opportunité pour les petits commerçants de prospérer qui appellent de tous leurs vœux à la fin de ce monopole qu’ils estiment illégal. Mais d’ici là, Nioro souffre de grosse pénurie et de hausse de prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité de tous ordres.
Mahamadou Yattara : LE COMBAT