Ce pagne est destiné aux nouvelles mariées pour les distinguer des autres femmes
« Cet homme est à la recherche d’informations sur le couvre-tête pour femme, foulard ou « counabiri » en bamanakan. Veut-il en acheter pour sa congnomousso (nouvelle mariée) » ? Ces propos tenus par Mme Koné Fatoumata Camara, lorsque sa fille lui a annoncé notre arrivée dans sa maison, campent déjà le décor de notre visite dans la famille Koné de Lafiabougou-Nord, un quartier populaire de la ville de Kayes. En effet, le « Kayeska fini » ou tissu kayesien attire de plus en plus les femmes de notre pays, surtout celles de Bamako. Ce pagne traditionnel fait la fierté de la Région de Kayes, depuis belle lurette. Dans la Cité des rails, on utilise ce tissu en coton pour couvrir la tête et le visage de la femme qui s’apprête à rejoindre son foyer conjugal après avoir passé une journée chez ses parents. Il est fait en bandes de cotonnade raccommodées et teintées à l’indigo. La ville de Kayes est en effet réputée pour ses grandes variétés de pagnes de qualité qui sont souvent les plus beaux du pays.
Processus de confection.
pour la fabrication de ce tissu, il faut un pagne ou bande d’étoffe qu’on achète chez le tisserand, puis des fils et aiguilles qui sont en vente à la Compagnie malienne des textiles (Comatex).
« Souvent, le tisserand fait le premier pas en commandant du fil et de l’aiguille à la Comatex. Quant aux femmes, nous rassemblons ces fils à l’aide d’une aiguille pour avoir 6 bandes d’étoffe « kono woro (en langue malinké). Nous y dessinons des figures géométriques variées à l’aide des fils blancs ou bleus pour rendre le produit plus attractif et joli. Il y a plusieurs modèles de tissus, dont le lifi et le thioboli », a indiqué Mme Koné. D’après cette quinquagénaire, les femmes achètent un fil spécial dont le rouleau ou le paquet coûte 3.000 Fcfa. Ensuite, le tisserand transforme ce fil en pagnes ou bandes d’étoffe. La largeur du pagne lors du racolage peut varier (6 à 7 bandes racolées), en fonction de la taille du client. « Après le tisserand, nous amenons le pagne chez la teinturière.
Je débourse une somme oscillant entre 1.100 et 1.250 Fcfa pour un pagne de 2 mètres ou plus », relate notre interlocutrice. La troisième phase du processus de fabrication du pagne consiste pour ces dames à enlever les fils un à un, puis à tremper le pagne dans l’eau en vue de le dépouiller des impuretés. Le dernier travail incombe aux empeseurs qui rendent le ou les tissus plus fins et lisses à raison de 150 Fcfa l’unité. Après cette dernière étape, le produit fini est livré au client moyennant des prix variant entre 12.000, 12.500 et 15.000 Fcfa. à propos de l’utilisation du « counabiri », Mme Koné Fatoumata Camara nous édifie en ces termes : « à sa sortie de la chambre nuptiale le 7è jour, la nouvelle mariée porte ce pagne pour se rendre chez elle, tôt le matin, dans le but d’y passer la journée. Avant de regagner son domicile conjugal, sa mère lui couvre la tête avec le « counabiri ».
La « congnomousso » porte le même tissu, lorsque ses belles-sœurs veulent l’amener chez leurs parents et proches pour les visites coutumières. Après les cérémonies de mariage, la nouvelle mariée peut garder le tissu ou le donner à une autre personne comme cadeau ».
De nos jours, cette dame n’exerce plus cette activité pour des raisons qui lui sont propres. « J’ai passé le témoin à ma belle-fille, depuis trois ans. Le « Kayes ka fini » peut être transformé en vêtement. Nous avons des problèmes pendant l’hivernage car ceux qui confectionnent les pagnes (les tisserands) vont dans leurs villages pour cultiver leurs champs. De ce fait, nos activités sont au ralenti pendant cette période », affirme-t-elle. « Le port du counabiri est obligatoire dans notre société, surtout traditionnelle. C’est pour faire la différence entre la nouvelle mariée et la fille célibataire. Le pagne la rend encore plus coquette », commente-elle.
Niéba Konaté jouit d’une grande réputation dans la teinture qu’elle exerce dans son grand foyer conjugal du quartier Liberté. Fille de Seydou et de Fanta Soukho, elle est née, il y a 50 ans, à Kayes Khasso. Elle est mère de 9 enfants, dont deux filles.
« J’ai débuté ma carrière dans la famille en 1997. J’ai trouvé qu’ici, les femmes pratiquaient déjà le « gala ». Nous sommes quatre femmes à faire ce travail. Certaines (nos enfants) viennent de Lafiabougou pour nous aider », assure-t-elle.
De mère en fille. De son récit, il ressort que Fatoumata Diakité et Sitan Soukho étaient les premières à mener cette activité dans notre famille. Ces dames qui ne vivent plus, ont transmis leurs connaissances à leurs enfants qui sont actuellement âgés de 80 à 100 ans.
« Nous vivons de cette activité. Souvent, je gagne 3 500 Fcfa de bénéfice par jour quand les affaires marchent. Les tisserands confectionnent des tissus qu’ils nous apportent pour la teinture à raison de 1 500 Fcfa par pagne.
Et puis, nos espoirs reposent principalement sur le Sénégal où nos produits s’écoulent facilement comme du petit pain », a commenté Niéba Konaté.
Il ressort de nos entretiens que cette dame peut mettre de la teinture sur 60 à 100 pagnes par jour, lorsque la commande est forte.
« Nous payons la teinture qui provient d’Allemagne. Nous importons de la potasse de la Chine. Nous achetons nos produits chez un teinturier installé à Bamako. Nous payons la barrique contenant la poudre de potasse à 225.000 Fcfa. Le kilo de la teinture traditionnelle (gala niaga) nous revient à 250 Fcfa.
« Nous sommes confrontés à un problème de marché. C’est un travail saisonnier. D’octobre à juillet, la teinture marche. Pendant l’hivernage, nous menons d’autres activités comme le commerce de boissons locales », a-t-elle souligné. Les gens n’aiment pas tellement pas la teinture traditionnelle. C’est le Sénégal qui nous encourage dans la production à travers sa forte demande », a affirmé la vieille Niéba Konaté. Kadiatou Camara, l’une de ses assistantes, s’est réjouie en ces termes : « Nous remercions Dieu. Nous gagnons tout dans cette activité. La vieille s’occupe bien de nous ».
En effet, Niéba Konaté est assistée dans sa tâche par 4 à 5 filles. Si l’employée est seule, elle lui donne 2 000 F par jour comme rémunération. De son côté, son mari Modibo Camara souhaite que le gouvernement et ses partenaires soutiennent cette activité.
« On veut de l’aide pour pérenniser cette activité qui nous permet de faire face à nos dépenses familiales (achat de nourriture, de vêtements, de médicaments et l’éducation de nos enfants). Mon épouse a hérité cette activité de nos mères. Chez nous, elle se transmet de mère en fille », a-t-il précisé.
Niéba Konaté a aussi attiré notre attention sur une vieille dame de Kayes N’Dia qui, selon elle, jouit d’une bonne réputation dans l’exportation des pagnes traditionnels. Il s’agit de Mme Ly Oumou Haïdara que nous avons rencontrée chez elle.
« J’ai hérité de nos mamans. Nous cardons, tissons et cousons.
Au début, je confectionnais 5 pagnes. Après la phase de la teinture, on racole les pagnes. On prend une lame pour enlever le fil ou le « sègue » du pagne, avant de l’amener chez l’empeseur.
II nous est arrivé de chercher nous-mêmes des habits à coudre pour gagner notre vie », détaille Mme Ly Oumou Haïdara. Elle dépense souvent 8 000 Fcfa pour l’exportation d’une paire (2 pagnes) de tissu traditionnel vers le Sénégal. « Je n’exerce plus cette activité comme avant, à cause de mes ennuis de santé. Aujourd’hui, je fais recours à mes fils pour l’exportation de mes marchandises. J’ai 20 employées pour la confection du pagne traditionnel», a-t-elle indiqué.
Cette teinturière de renom profite bien de son travail. « Grâce aux recettes de cette activité, j’ai pu envoyer trois de mes fils en France et en Espagne. C’est le benjamin de mes enfants qui assure le relais. Il peut exporter 3 colis par voyage. J’ai aussi effectué le pèlerinage à La Mecque au moins 3 fois », indique cette musulmane vivant dans une grande famille maraboutique.
Marché florissant. D’après ses explications, ses enfants peuvent exporter 734 ; 800 ; voire 900 pagnes par voyage, selon la disponibilité du stock. Le bénéfice par paire est de 1 000 Fcfa. « J’ai un client à Tamba. Le marché est très promoteur dans cette ville sénégalaise. Le pagne traditionnel est prisé par les peulhs de cette localité qui l’utilisent pour constituer le trousseau de mariage de leurs filles. Grâce aux bons rapports avec mes clients de cette ville, j’écoule mes pagnes à raison de 9 250 F la paire. Mes affaires marchent de décembre à février, période durant laquelle le travail est intense », conclut-elle.
Âgée de 62 ans, cette dame qui a opté pour la polygamie, est à sa 46è année de mariage. Elle fait partie des rescapées du sinistre qui a coûté la vie à des milliers de pèlerins à la Mecque en 2015. Pour Gnouma Samassa, certaines actrices ont abandonné cette activité. « C’est un travail qui affecte les yeux, surtout quand on travaille la nuit. On a de la peine à voir le trou de l’aiguille pour y faire passer le fil. Je suis diabétique aussi », déplore cette interlocutrice du quartier Plateau. Et elle a révélé que le pagne traditionnel est aussi connu sous le nom de « Fouta fini (tissu peulh)», car il vient de Bakel, une ville du Sénégal où vit une forte communauté peulh.
Beaucoup de clientes apprécient le pagne traditionnel pour des raisons d’ordre coutumier et religieux. Même si certaines se plaignent du coût élevé de ce pagne.
« Le port du « counabiri » est très bien pour une femme mariée. Après le mariage, on peut conserver le même tissu pour le mariage de sa petite sœur ou d’une autre fille de la famille. La nouvelle mariée peut également s’en servir pour porter son premier enfant sur son dos qui serait un bon signe.
à cause du manque de moyens, certaines femmes préfèrent dépenser 2 000 Fcfa pour acheter un basin à la place du « counabiri » qui est souvent cédé à 10 000 Fcfa. Certains font un mixage de ces deux tissus pour avoir un pagne ou un habillement complet », estime Mme Sambou Kéïta, une cliente.
Les confectionneuses du « Kayes Ka fini » évoluent surtout dans le secteur informel. Elles espèrent sur un accompagnement des pouvoirs publics voire des partenaires.
Bandé Moussa SISSOKO
Amap-Kayes
Source : L’ESSOR