Ils attendent, enfermés. Ils attendent qu’un magistrat examine leur cas pour déterminer si les motifs de leur détention provisoire sont justifiés au regard du droit. Dans tout système politique démocratique, l’Etat de droit veut que les règles de procédure en matière de police judiciaire permettent à un individu placé en garde à vue ou en détention provisoire puisse contester, devant un juge, les motifs de sa privation de liberté. Or, au Mali, la grève des magistrats et pire encore, le blocage du conflit qui les oppose au gouvernement fait craindre un enlisement qui aurait, pour les personnes en attente de justice, de graves conséquences.
Si ce blocage du conflit met en péril la capacité de l’Etat à organiser la tenue du scrutin législatif, rappelons aussi ici que le Mali, comme nous le rappellent les alertes de la CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme) lancées depuis cet été, est signataire de nombreux traités internationaux dont la charte des droits de l’homme des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et surtout, l’emblématique protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO. Tous ces textes imposent à l’état le respect de ses obligations. En cas de manquement constatés, le Mali pourrait se voir condamné lourdement.
A la source du blocage du conflit, la difficulté à négocier
Les deux syndicats de magistrats (Syndicat Autonome de la Magistrature – SAM -, et le Syndicat Libre de la Magistrature – SYLIMA) ont adopté une motion de grève illimitée en aout 2018. Cette grève, qui fait suite à la décision du Ministre des Finances d’ordonner le non-paiement des salaires des magistrats grévistes, occulte néanmoins les causes initiales du mouvement de protestation. Celles-ci font l’objet d’un rappel dans une communication officielle des deux syndicats, datée du 10 septembre : le conflit actuel n’est que la suite d’une très longue demande de réajustement de la grille indiciaire sur laquelle des conversations entre les syndicats et l’exécutif se sont tenues depuis la rentrée judiciaire 2016. Pire encore, dans un accord de conciliation partielle, le pouvoir et les syndicats étaient tombés d’accord sur une revalorisation des indemnités de judicature et de logement ainsi qu’une augmentation des salaires de quelques points. La suite, ce devait être l’examen par les députés maliens, des revendications des magistrats lors d’une session de 2017. Sans résultats. En novembre 2017, le conflit s’envenime quand les magistrats s’inquiètent de la disparation de deux de leurs collègues sans émotion du pouvoir exécutif. Une grève, pour exiger une intervention, est décidée. Après l’ouverture tardive de consultations sur la sécurisation des personnels de la justice, le gouvernement s’était engagé à mettre en œuvre un plan de dotation en ce sens. N’ayant constaté aucune action allant dans le sens d’un respect des engagements pris, les magistrats ont déclenché une grève illimitée à la mi-juillet.
Ce conflit bloqué par la radicalisation des discours de part et d’autre, est la traduction d’une difficulté plus grande à négocier la résolution de problèmes sociaux.
Cette difficulté, née des engagements adoptés pour faciliter la reprise du fonctionnement de l’Etat et de la complexité à tenir des promesses dans un délai acceptable, sert de lit à un conflit qui s’enlise dans une difficulté que les parties prenantes ne pourront résoudre seules tant la confiance dans la capacité à tenir ses engagements est fragilisée.
Une question demeure en suspens : quelle forme prendra la sortie de cette crise complexe ?
Piste 1 : Une médiation, oui, mais dans quelles conditions ?
Les Maliennes et les Maliens le savent mieux que la plupart, les conflits sont toujours relationnels. Les résoudre tient donc de la capacité à déterminer la personne, ou le groupe, qui peut agir comme médiateur. Mais vers qui se tourner dans le cas de ce conflit ? Plusieurs personnalités et plusieurs groupes semblent prêts à prendre ce rôle. Du côté de la société civile, l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH) et surtout le Groupement Spirituel des Leaders Religieux, conduit par Cherif Ousmane Madani Haidara, ont tenté de jouer ce rôle sans succès pour le moment.
Les acteurs politiques, eux, ont tenté non pas une médiation mais plutôt d’intervenir en organisant plusieurs rencontres distinctes avec les syndicats de la magistrature : les mouvements et associations de la majorité présidentielle puis le député Oumar Mariko, à la tête d’une forte délégation du SADI et enfin Soumaïla Cissé, ont rencontré tour à tour les représentants des magistrats grévistes. Aucune de ces rencontres, pour le moment, n’a permis de débloquer le conflit.
Il faut donc revenir brièvement sur ce qu’est une médiation pour comprendre quelles sont les conditions à remplir pour mettre au point un règlement de conflit durable.
La première de ces conditions, pour qu’une médiation réussisse, c’est d’abord que les parties en conflit soient conscientes du blocage et de la nécessité de trouver une solution. Celle-ci doit être satisfaisante pour chacun d’eux et étant donnée leur incapacité à communiquer de manière constructive, les parties souhaitent le recours à un tiers.
La deuxième condition, c’est que ce tiers présente certaines qualités, que doivent lui reconnaitre les deux parties : neutralité et impartialité, mais aussi compétence dans le domaine en question sont des prérequis.
Troisième condition essentielle, il faut que la médiation fasse l’objet d’un accord préalable scellant l’engagement des parties à travailler ensemble à l’élaboration d’une solution de sortie de crise, sous-entendant que l’accord sera mis en œuvre par les deux parties.
Une fois ces conditions réunies, reste la conduite des échanges à assurer dans le respect de l’expression libre des parties, sous l’égide du médiateur, ce qui n’est pas une mince affaire. La médiation s’achève sur la signature d’un texte d’engagement qui doit restaurer la capacité des parties à se faire confiance.
Ces règles, posées ici de manière peut-être trop simple, permettent déjà de distinguer, parmi les candidatures au rôle de médiateur celles qui ne peuvent être recevables.
Piste 2 : une sortie de crise par la force
Devant l’inextricabilité de la situation, le pouvoir exécutif semble s’être donné la peine d’une tentative de passage en force. Alors que la Cour Constitutionnelle dans son avis récent du 12 septembre 2018, a refusé de proroger le mandat des députés, fermant ainsi la porte à l’idée d’un contournement du blocage des magistrats, c’est aujourd’hui à l’échange entre le gouvernement et la Cour suprême qu’il faut s’intéresser. Dans une lettre du 14 septembre 2018 (lettre N°893/PM-CAB), le gouvernement demande l’avis de la Cour suprême sur la légalité de la grève des magistrats (exigence d’un préavis ; respect de l’obligation d’un service minimum). Dans son avis N°019-2018/CS-SA.CH.C du 19 septembre 2018, la Cour Suprême rappelle au gouvernement, l’obligation d’appliquer l’accord signé avec les syndicats des magistrats, consigné dans un procès-verbal. Elle en appelle à l’arbitrage du président de la république, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, en cas de difficulté dans l’application dudit accord.
La stratégie du passage en force se lit dans les intentions du gouvernement.
Si la voie de la médiation semble compliquée par un manque, aujourd’hui, de propositions et de volonté des deux côtés, la voie du passage en force, en accentuant encore le conflit alors que le pays a besoin d’un moment d’apaisement pour élire la nouvelle assemblée nationale, ne semble pas du tout porter les promesses d’un climat politique apaisé, capable de se saisir des enjeux que connait le Mali à l’aube du second mandat du président IBK. En appeler à la responsabilité des acteurs de ce conflit semble une incantation bien vaine, mais cependant c’est la seule qui semble capable de montrer la voie.
Florent BLANC docteur en science politique
Oumar BERTE politologue et doctorant en droit public
Source: Le Pays