Malgré les efforts du gouvernement, la corruption creuse son sillon dans toutes les couches de l’économie. Bien des questions sont posées autour de ce « paradoxe ».
Un peu plus de deux milliards de dollars. Tel est le montant perdu chaque année par le Ghana à cause de la corruption, d’après les derniers chiffres du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Même relativement faible par rapport à d’autres pays d’Afrique, la corruption dans le pays reste « l’un des pires fléaux qui s’opposent au développement du Ghana », a estimé Nana Akufo-Addo lui-même dans un discours à la nation en janvier 2018. D’après un rapport de Transparency International publié en 2019, le pays est le deuxième plus corrompu d’Afrique, juste derrière l’Afrique du Sud, engluée dans les scandales du « State Capture ».
Ainsi, si le Ghana peut se targuer d’avoir une des croissances économiques les plus dynamiques du continent – prévue à 7,9 % par le gouvernement cette année –, la corruption, qui touche tous les secteurs ou presque, pourrait à terme freiner sa course. Une hypothèse qui se vérifie déjà dans le classement Doing Business établi tous les ans par la Banque mondiale : cette année, le Ghana table au 118e rang sur 190 pays. Lors d’un forum dédié organisé à Accra il y a quelques jours par le Ghana Integrity Initiative (GII), l’ambassadeur du Royaume des Pays-Bas au Ghana Ron Strikker l’a confirmé : la situation actuelle laisse « certains investisseurs frileux quant aux transactions commerciales au Ghana ».
Des scandales qui mettent à mal la réputation du pays
Une perception certainement renforcée par les révélations, au grand jour, de certaines affaires, comme celle de la fausse ambassade des États-Unis située dans la capitale, qui délivrait depuis une dizaine d’années des passeports et des visas contre de fortes sommes d’argent. Du côté des politiques aussi, la corruption fait parler d’elle. En février 2018, le député de la circonscription de Chiana-Paga, Abuga Pele, a été reconnu coupable et condamné à six ans de prison pour avoir délibérément causé une perte de 4,1 millions de cédi (GHC) à l’État du Ghana, soit plus de 630 000 euros. Deux ans auparavant, un scandale de corruption lié au secteur de la santé avait également ébranlé l’opinion.
À Koforidua, dans l’est du Ghana, une équipe combinée de professionnels de la santé américains et ghanéens avait été missionnée pour participer à « l’opération Walk Syracuse », une intervention chirurgicale pour certains patients atteints d’arthrite, une maladie très répandue dans le pays. « Il a été révélé plus tard que certains des professionnels locaux de l’hôpital St Joseph avaient facturé à des patients des sommes allant de 100 à 6 000 GHC pour leur permettre d’accéder à la procédure », relate News Ghana. Des affaires qui font, chaque fois, les gros titres de la presse ghanéenne, et confirment l’opinion de la population à l’égard de ce fléau. Toujours d’après le rapport de Transparency International, 71 % des personnes vivant au Ghana estiment que la corruption a augmenté au cours des douze mois précédant l’enquête, soit fin 2018-début 2019.
Un éventail d’outils
Pourtant, le pays fait des efforts en matière de lutte contre la corruption. Loi sur les marchés publics adoptée en 2004 pour les mettre en conformité avec les normes établies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Convention des Nations unies contre la corruption la même année, Convention de l’Union africaine (UA) sur la prévention et la lutte contre la corruption ratifiée en 2007 et loi sur les dénonciateurs adoptée en 2006 destinée à protéger les témoins dans les affaires de corruption : dans les années 2000, le Ghana s’est octroyé une batterie de lois pour contrôler un peu mieux ce fléau. Mais leur application reste sporadique. L’accession au pouvoir de Nana Akufo-Addo, en janvier 2017, va relancer la machine. Un an après le début de son mandat, le président crée le Bureau du procureur spécial (OSP), une agence spécialisée chargée d’enquêter sur les affaires de corruption impliquant des fonctionnaires, des personnes politiquement exposées et des personnes du secteur privé.
Le procureur général et ministre de la Justice du Ghana, Gloria Akuffo, a récemment révélé que l’instance avait permis la mise en examen de 21 personnes accusées de corruption, et ayant détourné plus de 100 millions de dollars. Une goutte d’eau dans la mer pour certains observateurs, pour qui trois ans après la création de l’OSP, aucun fonctionnaire n’a encore été condamné malgré les dénonciations de corruption régulièrement rapportées dans les médias. Pour la directrice exécutive du GII Linda Ofori-Kwafo « les gouvernements successifs ont tenté de minimiser la corruption par le biais de croisades morales pour maintenir une éthique élevée, la confiscation de biens trouvés acquis par la corruption ou des réformes publiques ». « Mais le chemin est encore long », déplore-t-elle dans le média en ligne Ghana Web.
À ces accusations, Nana Akufo-Addo, dont l’éradication de la corruption était une de ses promesses de campagne, enjoint les Ghanéens à « la patience » face « au processus judiciaire ». À la presse, il a d’ailleurs fait savoir qu’il continuerait d’augmenter les allocations budgétaires aux institutions anti-corruption. « En 2019, celle de la CHRAJ est passée de 16 millions à plus de 40 millions de GH », a-t-il révélé dans une interview relayée par Ghana Web.
Un mal universel
Si le Ghana souffre de corruption, il n’est évidemment pas le seul, puisque ce fléau touche, à différentes échelles, tous les pays du monde. Selon la Global Media Foundation (GLOMeF), une organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption, le montant de la corruption serait dix fois plus élevé que celui de l’aide public au développement dans les pays les moins avancés. « Il est urgent d’apporter aux populations africaines des informations consistantes sur la prévention de la corruption pour les aider à comprendre les effets sur l’économique et sur leur vie », a appelé Leo Atakpu, directeur adjoint du Réseau africain pour l’environnement et la justice économique lors d’un forum organisé début décembre à Nairobi. « Les gouvernements devraient commencer à développer une approche panafricaine permettant de déterminer avec les populations la manière de prévenir la corruption, plutôt que de s’engager à l’éradiquer », a-t-il ajouté. Un conseil qui tombe à pic pour Nana Akufo-Addo, à un an de l’élection présidentielle.
Par Marlène Panara
Le Point