Le jeudi 25 juillet 2019, nous alertions dans l’un de nos titres : « La Mauritanie empiète sur le territoire malien à Gogui ». Manifestement, cette alerte n’a servi à rien. Car, aujourd’hui encore, les populations de Gogui, village frontalier avec la Mauritanie, dans le cercle de Nioro du Sahel, souffrent le martyr. Tous les jours, elles sont humiliées, brimées par les Maures mauritaniens qui, visiblement, sont déterminés à annexer la partie malienne.
Cette situation persiste depuis les indépendances. Le dernier acte de ce manque de respect récurent des Maures mauritaniens a été la tentative de mettre des piquets sur le territoire malien le 2 avril dernier, sans concertation et sans aviser même les autorités maliennes. Ce qui a provoqué un violent mouvement à Gogui entre les populations meurtries de ce village et les Maures.
Que s’est-il réellement passé ?
Un habitant du village, que nous avons joint par téléphone, raconte : « Les Maures de Faté sont venus pour planter plus de 40 poteaux dans nos champs, juste derrière notre medersa. Ils profitent de la fermeture des frontières à cause du Coronavirus pour morceler nos champs. Quand les populations ont appris cela, elles ont amené des charrettes pour transporter ces poteaux dans la cour de la mairie, sur ordre du maire. Informés de cette situation, les Maures se sont mobilisés avec des militaires, avec au moins une trentaine de véhicules armés. Arrivés sur les lieux, ils ont tiré des coups de feu pour intimider les populations. Nous nous sommes caillassés. Malgré tout cela, nous n’avons pas eu peur. Nous ne parlons pas de frontière avec la Mauritanie ».
Notre interlocuteur raconte également comment les habitants de Gogui se sont installés : « Ce que nous savons, c’est que quand les premiers habitants de Gogui s’installaient, la Mauritanie n’existait pas. Nous sommes sur les terres du Wagadou. Nous sommes les descendants du Wagadou, de l’empire du Mandé, de l’empire Songhoï. Pour nous, la Mauritanie n’existait pas. C’est la France qui a créé la Mauritanie pour eux. Que nous soyons sur le territoire mauritanien ou malien, cela n’est pas notre problème. Ce que nous voulons, c’est de pouvoir profiter de notre terre. Si quelqu’un veut venir s’installer sur nos terres, qu’il le fasse dans le respect. Qu’il vienne et qu’on discute de ce qui est bon pour nous tous. Nous ne pouvons pas accepter que les Maures viennent s’installer sur nos terres sous le prétexte que c’est le territoire mauritanien. Ils nous ont lancé des cailloux et cela a fait des blessés. L’Etat malien est resté indifférent face à la situation. Les autorités nous ont fait savoir qu’elles viendront à Gogui après les élections, mais jusqu’à présent, on n’a vu personne. Les Mauritaniens nous humilient tous les jours. Notre souhait n’est pas d’ouvrir un conflit avec la Mauritanie, nous voulons vivre en paix et profiter de nos terres. Nous avons trop souffert de ce problème ».
Selon le maire de la commune de Gogui, Moctar Cissé, que nous avons joint au téléphone, ce problème ne date pas d’aujourd’hui. Selon lui, il est persistent depuis l’indépendance. Celui-ci va plus loin en expliquant que le 22 janvier dernier, les Maures mauritaniens ont voulu déménager un marché de l’autre côté du goudron, en territoire malien. A l’époque, selon le maire, cela avait déjà provoqué une confrontation entre les deux populations. Ce qui avait occasionné une rencontre entre les autorités maliennes et mauritaniennes le 4 février dernier. A en croire le maire, cette rencontre a duré jusqu’aux environs de 14 heures. Après la pause, explique le maire, les Mauritaniens n’ont plus voulu poursuivre la rencontre. « Ils sont rentrés chez sans même signer le procès-verbal. Ils ont rejeté les points d’accord lors de cette rencontre. Cette rencontre a recommandé de trouver une solution locale au problème, de mettre en place un comité mixte entre les deux communes pour discuter chaque fois qu’il y aurait un problème », a-t-il déclaré. Notre interlocuteur poursuit en disant que le 2 avril dernier, il a été alerté par un habitant, lui annonçant que les Mauritaniens procèdent à l’installation de poteaux dans nos champs. « Sur-le-champ, j’ai ordonné aux populations de me transporter ces piquets dans la cour de la mairie. Cela a occasionné des manifestations avec des jets de pierres. Nous avons enregistré à peu près 16 blessés. Suite à cela, j’ai rencontré mon homologue de Gogui Mauritanie pour calmer la situation. Et les choses sont rentrées dans l’ordre. Avec cela, on pensait que c’était fini. Le même jour, vers 18 heures, venant du pâturage, un groupe de jeunes mauritaniens a dispersé les troupeaux de chèvres d’un berger. Ils ont emporté 25 têtes avec eux. J’ai aussi ordonné aux populations de me saisir tout troupeau de chèvres mauritanien sur notre territoire. C’est la situation qui prévaut aujourd’hui. Il y a un pont entre nous. On ne va plus chez eux, eux aussi, ils ne viennent plus chez nous. Malgré cela, ils essaient de rentrer chez nous pour se ravitailler en vivres. Pendant ce temps, nous n’avons plus accès au lait en poudre, à l’huile », a déclaré le maire.
L’indifférence totale du gouverneur de Kayes
Dans notre entretien téléphonique, le maire de Gogui déplore l’indifférence totale du Gouverneur de Kayes. Le maire Cissé regrette que ce dernier ne prenne pas le problème au sérieux. Car, selon l’élu local, malgré les promesses, il ne s’est jamais déplacé à Gogui pour faire face à ce problème. « Je me demande pourquoi le gouverneur de Kayes est là bas. Il ne se soucie pas de notre problème. Nous sommes trop inquiets avec l’arrivée de l’hivernage. La population est consciente de ce qui l’attend. Parce qu’ils ont l’habitude de tuer nos paysans en brousse. Aujourd’hui, les gens ont peur d’aller chercher du bois en brousse. Tout le monde prépare avec la bouse de vache. C’est pourquoi, nous avons décidé de prendre notre responsabilité », prévient le maire, invitant les autorités maliennes à prendre le problème au sérieux.
Historique d’un problème persistent
De quoi s’agit-il ? A l’indépendance, les Maures de Gogui ont préféré la Mauritanie au Mali. C’est ainsi qu’ils sont allés s’installer dans le village de Faté, en territoire mauritanien. L’élevage étant leur activité principale, ils ont été confrontés au problème d’eau. En 1969, la Mauritanie a alors demandé aux autorités maliennes d’autoriser les ressortissants du village de Faté à s’installer après du point d’eau de Gogui Zamel pendant la saison sèche. Cela, afin de les épargner des va-et-vient quotidiens. Selon l’accord entre les autorités des deux Etats à l’époque, les Mauritaniens devaient retourner chez eux pendant l’hivernage, pour permettre aux paysans de Gogui de cultiver leurs champs. Quand les populations de Faté sont arrivées à Gogui Zamel, elles se sont installées dans les champs des militaires maliens. Par la suite, elles se sont installées définitivement. Aujourd’hui, cette partie de Gogui est sous l’autorité de la Mauritanie et les champs des villageois sont occupés par les Mauritaniens.
En 1984, un autre village du nom d’Aïne Maïmoune est venu s’installer à l’Est, à moins de 5 kilomètres du village de Gogui et surtout au milieu des champs de Gogui. Ces deux villages sont administrés par la Mauritanie et quand le village de Gogui a décidé de réagir, les autorités maliennes l’ont obligé à respecter les clauses de l’accord signé en 1969. Pendant que les Mauritaniens violent les dispositions de l’accord, les autorités du Mali contraignent les Maliens à les respecter. Quel scandale ! Ou nos autorités ont-elles décidé d’abandonner Gogui à la Mauritanie ? Si c’est le cas, il est vraiment temps de le dire officiellement pour épargner les populations des souffrances et humiliations quotidiennes.
Un autre village malien du nom de Chikata, à 5 kilomètres à l’ouest de Gogui, est aujourd’hui annexé par la Mauritanie. Pire, les champs de tirs de l’armée malienne, situés à un kilomètre au nord du village, sont présentement récupérés par la Mauritanie. Ce qui fait qu’aujourd’hui Gogui est encerclé et il ne reste que l’entrée et la sortie sur le territoire malien. Aujourd’hui, la situation s’est exacerbée et il faut craindre le pire. Car, de 1884 à 1992, 8 Maliens ont été tués par les Maures mauritaniens dans la commune de Gogui. Le hic, c’est qu’à ce jour, aucune autorité malienne n’a réagi à ces crimes et aucune poursuite n’a été engagée. En cas d’une nouvelle tension, les populations de Gogui sont déterminées à se faire respecter et à récupérer leurs terres. La réalité, c’est que les Mauritaniens règnent en maître absolu sur le territoire malien. Les Maliens sont régulièrement violentés, empêchés de mener leurs activités agricoles. Plus récemment, le 21 juillet 2016, les Maures mauritaniens, déterminés à accaparer les terres, ont démoli nuitamment le bâtiment en chantier d’un citoyen de Gogui, en la personne de Mohamed Amadou Maïga. Nous y reviendrons.
Youssouf Diallo
Source : La lettre du peuple
