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Genèse de la force conjointe du G5 Sahel

Le 13 décembre dernier, la France a accueilli un sommet international de soutien à la force conjointe du G5 Sahel. A cette occasion, journalistes et commentateurs ont disserté sur le projet, dont ils situent pour la plupart l’origine au début de l’année 2017, lorsque l’adoption du concept d’opérations de la Force puis son endossement par la communauté internationale ont favorisé sa forte médiatisation.

C’est pourtant en novembre 2015 que l’annonce de la Force conjointe a été faite par les chefs d’Etat du G5 Sahel réunis en sommet à N’Djamena. Ce qu’ignorent également nombre de commentateurs, c’est que cette annonce est venue consacrer une pratique initiée deux ans plus tôt, dès novembre 2013, lorsque les armées nigérienne, malienne et française ont mené ensemble l’opération « Roussette » sur la frontière entre Mali et Niger.

Cette méconnaissance de l’historique de la Force conjointe se double souvent d’une confusion, parfois délibérée, sur ses objectifs. Pour beaucoup, la Force conjointe doit un jour remplacer l’opération Barkhane dans la traque et la destruction des groupes armés terroristes, dans l’ensemble de la bande sahélo-saharienne. Se focaliser ainsi sur ce qui ne constitue que la deuxième étape – logiquement encore très peu élaborée – du concept d’opérations suscite des attentes importantes ; leur éventuelle déception pourrait nuire, par association, à la première étape du plan de la Force conjointe, celle qui vise le renforcement des coopérations entre armées sahéliennes pour sécuriser leurs espaces frontaliers.

Or, cette première étape est déjà largement engagée, ses premières réalisations ayant précédé de plusieurs années la conception et le lancement officiel de la Force conjointe. Ainsi, si l’opération « Hawbi » – qui a rassemblé en octobre dernier les forces armées maliennes, nigériennes et burkinabè sur leur frontière commune – a été présentée comme la première de la force conjointe du G5 Sahel, elle était également la 19ème opération d’un partenariat initié en 2013, conceptualisé en 2014 et formalisé en 2015. Ce « partenariat militaire de coopération transfrontalière » des forces armées du G5 Sahel représente d’ores et déjà, en partie grâce au soutien de l’opération Barkhane, le plus abouti des nombreux projets de coopération militaire imaginés dans, et pour, cette région.

Cet article vise à rappeler le cheminement et les objectifs du partenariat initié en 2013, jusqu’au lancement effectif de la Force conjointe en 2017. En effet, parce qu’un certain nombre de leçons peuvent être tirées de cette évolution, ce retour d’expérience peut éclairer l’avenir de la Force conjointe.

« Serval » et les premières opérations militaires conjointes transfrontalières

Au printemps 2013, à peine les principaux combats terminés au Mali, les officiers de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) partagent avec leurs alliés français de l’opération Serval leur inquiétude quant à la probable dispersion, dans toute la bande sahélo-saharienne, des djihadistes qui viennent d’être défaits. De fait, la composition internationale des groupes terroristes, l’étendue des territoires concernés, la porosité des frontières et la proximité du « trou noir sécuritaire » libyen rendent cette menace particulièrement prégnante. Particulièrement prégnante certes, mais pas nouvelle : les groupes armés terroristes font fi des frontières depuis déjà des années ; le risque est désormais celui d’une nouvelle dispersion après leur concentration au nord du Mali. C’est pour prendre en compte cette problématique qu’est tenue à Paris, le 12 juillet 2013, une réunion associant le chef d’état-major des armées français et ses homologues du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad.

Les autorités militaires des six pays réfléchissent aux options qui permettraient de cloisonner la bande sahélo-saharienne – en vue de limiter la liberté de mouvement des groupes djihadistes – d’empêcher également leur installation dans les vastes no man’s lands incontrôlés voire, in fine, en faisant effort sur le nord de la frontière tchado-nigérienne, d’endiguer l’extension du chaos libyen vers le Sud. A ces fins, les cinq chefs d’état-major généraux des armées sahéliens conviennent de développer un nouveau type de coopération, entre eux, dans leurs zones frontalières communes. En effet, le contrôle de zone dans un espace frontalier peut, s’il est mené par une armée seule, susciter la méfiance du voisin, voire créer un incident dans un contexte de non-marquage des frontières. La plupart des acteurs présents gardait encore le souvenir de certains incidents survenus au cours des années précédentes. Par conséquent, seule une action conjointe entre deux armées voisines peut garantir, et même accroître, la confiance réciproque. Par ailleurs, au plan opérationnel, l’approche simultanée d’une frontière par deux armées voisines permet, si l’une met en fuite un groupe armé, de le faire intercepter par l’autre à l’entrée de son territoire. Il est donc décidé, ce 12 juillet 2013, que des opérations conjointes seront menées sur les frontières Mali-Mauritanie, Burkina Faso-Mali-Niger et Niger-Tchad. Pour sa part, l’armée française s’engage à soutenir ces opérations sahéliennes en mettant à leur disposition certaines capacités rares. En vue de maximiser son soutien à ces opérations africaines tout en contribuant à la neutralisation des groupes terroristes résiduels qui se disperseraient dans la région, l’état-major des armées entame alors une réflexion sur une éventuelle régionalisation de la présence militaire française : le processus qui aboutira à l’opération Barkhane est lancé.

La concrétisation de cette nouvelle coopération n’attend pas, cependant, la mise en place de Barkhane. Dès octobre 2013, en application des décisions stratégiques prises en juillet, un premier « comité de coordination opérationnelle » (CCO) se réunit à Niamey. Dans cette enceinte, qui se réunira dès lors chaque trimestre, les sous-chefs « opérations » des états-majors des cinq armées sahéliennes et française procèdent ensemble à une analyse de la menace, à partir de laquelle ils élaborent un « document-cadre de coordination interalliés » (DCCI), c’est-à-dire une planification semestrielle des opérations conjointes sur les frontières. La première de ces opérations, « Roussette », se tient en novembre sur la frontière malo-nigérienne.

Ainsi, lorsque l’opération Barkhane est officiellement lancée le 1er août 2014, la nouvelle coopération entre armées sahéliennes représente déjà une pratique établie : les CEMA se sont à nouveau réunis en avril à Niamey ; cinq CCO se sont tenus ; ils ont adopté un deuxième DCCI pour planifier les opérations du second semestre 2014. Surtout, cette coopération existe sur le terrain, avec déjà un bilan de quatre opérations conjointes, menées aussi bien sur le fuseau Mali-Niger-Burkina Faso que sur les fuseaux Mali-Mauritanie et Niger-Tchad. Chacune a vu plusieurs centaines de soldats d’Etats voisins mener une manœuvre commune de contrôle de zone, assortie d’actions civilo-militaires au bénéfice des populations civiles, et souvent de franchissements de frontière. Chaque fois, l’armée française a apporté un soutien en matière de planification, de transmissions, d’appui aérien ou sanitaire, et en déployant des hommes sur le terrain aux côtés des troupes africaines engagées.

 « Barkhane », la « Force mixte tchado-soudanaise » et le « G5 Sahel »

De pratique empirique et secondaire pour l’opération Serval, le soutien au développement d’une coopération militaire inter-sahélienne devient, pour Barkhane, la première priorité, énoncée comme telle par le chef d’état-major des armées. Pour accomplir ce volet de sa mission, le commandant de l’opération dispose spécifiquement – outre ses détachements dans toute la bande sahélo-saharienne – d’un colonel le représentant pour les activités de ce « partenariat élargi », d’un conseiller politique et, surtout, de sections spécialisées dans le soutien et l’accompagnement des armées partenaires : les détachements de liaison et d’appui opérationnel (DLAO). Si l’intention est fixée par le niveau stratégique, il appartient à l’état-major de niveau opératif, conformément à la doctrine, de la décliner, en l’occurrence par le dialogue et la réflexion communs avec les partenaires sahéliens : une nouvelle page est à écrire. Une idée émerge rapidement : l’expérience militaire en cours depuis déjà un an est prometteuse et gagnerait à être institutionnalisée. Une institutionnalisation permettrait sans doute, d’une part, de préserver dans la durée ce qui n’est encore qu’une pratique et, d’autre part, de l’enrichir progressivement par de nouveaux modes d’action. Cette idée d’institutionnalisation est alors très abstraite, mais les partenaires africains ne vont pas tarder à offrir des pistes précises de concrétisation.

En effet, en novembre 2014, les autorités tchadiennes partagent avec le commandement de Barkhane leur expérience de la Force mixte tchado-soudanaise (FMTS). Après cinq ans de guerre par procuration – chacun soutenant les rébellions du voisin – Tchad et Soudan signent un accord de paix définitif le 15 janvier 2010. Afin de restaurer concrètement la confiance, cet accord prévoit la mise en place d’un dispositif conjoint, civilo-militaire, de surveillance et de sécurisation des 2 000 km de frontière commune – la FMTS –  dont les premiers éléments sont déployés dès février. La FMTS compte 3 000 hommes, 1 500 Tchadiens et 1 500 Soudanais, répartis entre dix postes en vis-à-vis de part et d’autre de la frontière, et placés sous un commandement unique tournant chaque semestre entre Abéché (commandant tchadien et adjoint soudanais) et El Geneina (commandant soudanais et adjoint tchadien). Les deux pays sont allés jusqu’à s’accorder un droit de poursuite réciproque en cas de franchissement de frontière par un groupe armé. En 2014, le système de la FMTS est désormais bien rôdé. En plus d’avoir restauré la confiance entre les ex-belligérants, il a permis de sécuriser les flux de biens et de personnes entre Ouaddaï et Darfour, et ainsi contribué à restaurer la paix et augmenter la prospérité dans la région. Tout ceci sans soutien, ni conseil, ni financement de la communauté internationale.

Evoquée lors du 8ème CCO, tenu à Bamako en janvier 2015, la FMTS apparaît à tous comme une bonne pratique, susceptible d’inspirer l’institutionnalisation envisagée des coopérations militaires sur les trois fuseaux frontaliers de la bande sahélo-saharienne. Toutefois, à l’opposé des pratiques des organisations multilatérales, les officiers africains et français, bien que séduits par le modèle de la FMTS, refusent d’en faire un objectif à atteindre. Ils ne veulent pas consacrer plusieurs mois à concevoir un beau plan d’ensemble, aussi idéal que monolithique, à décliner ensuite uniformément et simultanément sur les trois fuseaux frontaliers sahéliens : ils savent d’expérience le sort qui attend ce genre de plan. Ils optent donc au contraire pour une approche empirique, du bas vers le haut, consistant à piocher dans le modèle de la FMTS tel ou tel élément transposable sur leurs frontières communes, en fonction de leurs besoins et capacités, et pas nécessairement au même rythme sur chacun des trois fuseaux. C’est bien dans cet esprit que, à titre d’exemple, ils décident de commencer par l’établissement d’un aussi simple qu’indispensable annuaire téléphonique, recensant les commandants des postes situés en vis-à-vis de part et d’autre d’une frontière… Avec cette nouvelle approche, il ne s’agit plus seulement de mener des opérations conjointes de contrôle de zone dans les espaces frontaliers, même s’il est ambitionné de pouvoir en mener davantage, y compris en réaction (plus seulement planifiées). Il s’agit également, désormais, d’envisager des dispositifs permanents bilatéraux ou trilatéraux sur les frontières, en vue de faciliter l’interception d’un groupe terroriste ou criminel en fuite, après avoir commis un forfait, d’un pays vers un autre.

Si ces premières mesures de pérennisation et de consolidation de la coopération militaire transfrontalière n’engagent pas de moyens importants, il est déjà évident que les suivantes en nécessiteront davantage, jusqu’à devenir hors de portée des armées sahéliennes – même appuyées par la coopération française. La mise en place de dispositifs permanents de sécurisation des frontières au Sahel nécessitera un soutien international important. Il est également évident que cet appui sera d’autant plus facilement mobilisé que les Sahéliens le solliciteront ensemble, plutôt que séparément : il leur faut donc donner un cadre politique à cette somme de coopérations militaires bilatérales ou trilatérales, un cadre qui puisse être aussi un interlocuteur unique pour la communauté internationale. Cette nécessaire institutionnalisation passera par le G5 Sahel, nouvelle organisation régionale lancée à Nouakchott en février 2014 et officialisée dans la même ville en décembre.

En effet, au cours de cette année 2014 et jusqu’au début de l’année 2015, le G5 Sahel et la coopération militaire entre ses Etats membres se sont développés parallèlement mais indépendamment l’un de l’autre. Certes, le G5 Sahel affiche une ambition en matière de sécurité et de défense ; certes, le CEMA français en juillet 2014, puis le ministre de la Défense en décembre, saluent la naissance du G5 Sahel ; certes, une facilité de langage tend, dès la fin de l’année 2014, à faire désigner les opérations conjointes comme les « opérations du G5 Sahel ». Pourtant, il n’existe encore aucun lien, ni politique, ni organique, ni opérationnel, entre l’organisation régionale et une initiative militaire sahélienne qui reste méconnue des autorités politiques et diplomatiques, tant à Paris qu’à Bamako, Ouagadougou, N’Djamena, Niamey ou Nouakchott. Pour les officiers africains et français, il s’agit donc désormais de formaliser davantage la coopération transfrontalière, de la faire connaître et de la rattacher officiellement au G5 Sahel.

La rédaction

Du PMCT à la Force conjointe du G5 Sahel

De cette manœuvre politico-militaire qui se déploie au cours de l’année 2015, le commandement de Barkhane n’est pas l’architecte mais le facilitateur. Il peut en effet appuyer le projet de ses partenaires africains en mettant à profit sa notoriété et sa crédibilité auprès des responsables internationaux qui se rendent régulièrement à N’Djamena pour y recueillir ses analyses de la situation et des perspectives du Sahel.

 

Dès lors, les CCO ne servent plus seulement au retour d’expérience et à la planification, mais également à la formalisation de la coopération militaire. Les opérations jusque-là dites « du partenariat élargi », voire « du G5 Sahel », sont officiellement dénommées « opérations militaires conjointes transfrontalières (OMCT) du G5 Sahel », et présentées comme telles. Leur cadre théorique est baptisé « Partenariat militaire de coopération transfrontalière (PMCT) des forces armées du G5 Sahel ». Une « Charte de fonctionnement du PMCT » est validée lors du 9ème CCO, en avril 2015 à Nouakchott. En plus de fixer le mécanisme de coopération militaire – mis en cohérence avec les institutions, telles le « comité de défense et de sécurité », prévues par la convention de création du G5 Sahel du 19 décembre 2014 – la Charte place officiellement le PMCT dans le cadre politique du G5 Sahel, et en application des recommandations du « Processus de Nouakchott pour l’opérationnalisation de l’Architecture africaine de paix et de sécurité dans la région sahélo-saharienne ». Le secrétaire permanent du G5 Sahel, M. Najim El Hadj Mohamed, affirmera ultérieurement à plusieurs reprises que, loin de s’opposer au Processus de Nouakchott, les Etats membres du G5 Sahel ne sont au contraire que cinq Etats du Processus de Nouakchott ayant décidé d’avancer plus vite ensemble, à l’instar des « coopérations structurées permanentes » dans l’Union européenne. Enfin, la Charte fixe les perspectives du partenariat : développer des dispositifs bilatéraux ou trilatéraux permanents de sécurisation des trois fuseaux frontaliers internes à l’espace du G5 Sahel. La charte du PMCT sera signée le 4 novembre 2015 par les cinq CEMGA sahéliens, réunis à Ouagadougou en présence, encore une fois, du CEMA français, qui signe pour sa part en qualité d’observateur.

 

Parallèlement à ce processus de formalisation, des contacts aussi multiples que plus ou moins formels sont établis avec le secrétariat permanent du G5 Sahel. M. Najim El Hadj Mohamed considère que l’appropriation par le G5 Sahel d’une coopération militaire déjà établie correspond parfaitement aux objectifs assignés à son organisation et, surtout, peut crédibiliser cette dernière au point de rejaillir positivement sur ses autres volets, à commencer par le développement. Dès lors, le secrétaire permanent et son expert défense et sécurité vont communiquer largement sur le PMCT comme volet militaire du G5 Sahel, tout en se faisant en interne les dépositaires des décisions prises par les militaires. Développant au même moment des partenariats avec le système des Nations Unies et l’Union européenne, ils contribuent à faire savoir à la communauté internationale que quelque chose de nouveau a surgi au Sahel. En leur présence, des « VIP-day » sont organisés lors de certaines OMCT, permettant aux représentants de la communauté internationale de constater par eux-mêmes que, loin d’être une nouvelle « coquille vide », le G5 Sahel présente déjà un bilan inégalé au plan militaire, dans une région où les appels à la coopération transfrontalière étaient réitérés en vain depuis de nombreuses années.

 

De fait, fort de ce bilan militaire, le G5 Sahel suscite à partir de 2015 un véritable engouement international. L’Union africaine, que d’aucuns tiennent à voir hostile à l’organisation, salue également l’essor du G5 Sahel (cf. déclaration finale du sommet de l’UA de janvier 2016). Encouragés par ces succès, les cinq chefs d’Etat, lors du sommet de N’Djamena du 20 novembre 2015, décident de pousser leur avantage en annonçant de grands projets : la Force conjointe au plan militaire, mais aussi une voie de chemin de fer et une compagnie aérienne au plan du développement. S’agissant de la Force conjointe, il semble que plusieurs logiques se soient alors heurtées, avant de se combiner. Le projet d’une force d’intervention africaine contre le terrorisme au Sahel, à déployer initialement au nord du Mali mais susceptible ensuite de se projeter n’importe où dans la région, n’appartient pas exclusivement au G5 Sahel : c’est à l’origine une idée de l’Union africaine, notamment dans le cadre du processus de Nouakchott. Certains Etats s’en font les fervents promoteurs, peu importe d’ailleurs le cadre régional. Face à l’ampleur des défis qu’implique une telle ambition, d’autres Etats privilégient pour leur part la poursuite de la construction pragmatique d’une architecture de sécurité pour les espaces frontaliers, dans la lignée du PMCT. Les discussions qui s’en suivent sont politiques, de haut niveau et confidentielles ; les militaires, africains comme français, n’en sont plus les premiers protagonistes. Elles aboutissent à un consensus dévoilé lors du sommet de Bamako de février 2017 : la Force conjointe consistera dans un premier temps en ce dispositif permanent de sécurisation des frontières issu du PMCT puis, seulement dans un second temps, en une force d’intervention contre les terroristes et les trafiquants de drogues, d’armes et d’êtres humains. La suite est connue : validation du concept d’opérations par l’UA ; approbation par le conseil de sécurité des Nations Unies ; engagement français, en lien avec l’Allemagne, en vue d’une vaste mobilisation européenne et internationale.

Quelques réflexions pour l’avenir

 

La force conjointe du G5 Sahel recouvre donc, en réalité, deux projets bien distincts, quoique complémentaires : des dispositifs permanents de coopération entre forces nationales situées de part et d’autres d’une frontière ; et une force africaine d’imposition de la paix, pour remplacer un jour les forces internationales. Ou autrement dit, un projet inspiré de la Force mixte tchado-soudanaise ; et un projet inspiré de la Force multinationale mixte contre BokoHaram. A l’évidence, le second projet retient bien davantage l’attention des médias et de la communauté internationale que le premier ; par ailleurs, la faible précision de ses contours exacts – il n’est que la seconde étape – facilite toutes les critiques, injonctions et interrogations.

 

Les deux ambitions qui composent le projet de Force conjointe sont également louables. Il est toutefois indispensable de bien séquencer leurs mises en œuvre respectives, en respectant la décision de mettre en place des dispositifs de sécurisation des frontières avant de projeter une force contre les groupes armés ainsi isolés. Il convient tout autant de faire œuvre de pédagogie sur ce nécessaire phasage. En effet, une éventuelle dispersion des efforts entre les deux volets de la Force conjointe nuirait au bon développement d’un partenariat existant et déjà solide, sans permettre à la force d’intervention d’être opérationnelle. Surtout, confondant les ambitions, des impatients ne tarderont pas à affirmer que la non-concrétisation du corps expéditionnaire africain signe l’échec de la Force conjointe, n’admettant pas que celle-ci est déjà un succès – certes à consolider et à développer – dans sa dimension « sécurité des frontières ».

 

Le PMCT du G5 Sahel – tout comme la FMTS avant lui – a pu prendre tout son essor parce qu’il répond à un besoin bien identifié par les autorités locales. Ses résultats ont été obtenus en vertu d’une approche par le bas, extrêmement pragmatique, qui a pu bénéficier de l’ombre pour se développer sans pressions. Il est important, pour la suite, de préserver le caractère réaliste et pragmatique qui a fait le succès de la coopération militaire du G5 Sahel. Les projets du G5 Sahel doivent se fonder sur des besoins avérés, en deçà des agendas politiques, fussent-ils sahéliens. L’urgence et la gravité des défis sahéliens, ainsi que la bonne disposition de la communauté internationale à s’engager dans la région, ne doivent surtout pas aboutir à de vastes plans d’ensemble probablement déconnectés des réalités.

 

De même, le PMCT est fondé sur la confiance entre frères d’armes, sahéliens et français. Il est issu d’un dialogue entre pairs, mis sur un pied d’égalité. La France n’a pas modelé le G5 Sahel, et surtout pas son volet sécuritaire, pour la simple raison que tout projet imposé aux Sahéliens serait resté lettre morte. Il serait même fallacieux d’utiliser ici le terme en vogue d’« appropriation » puisqu’il sous-entendrait que les Africains se seraient « approprié » quelque chose – en l’occurrence une idée – proposé par un partenaire extérieur. Tout au contraire, ils ont imaginé, certes en présence de Français, une pratique et envisagé son développement ; c’est la communauté internationale qui se l’est « approprié » en décidant de les soutenir ! Par conséquent, il convient de garder à l’esprit que le bon développement à venir des projets du G5 Sahel, qu’ils soient sécuritaires ou économiques, restera conditionné par le maintien du libre-arbitre des Etats du Sahel. D’ailleurs, c’est sur la seule base de leurs expériences, leurs intérêts et leurs affinités réciproques que les cinq chefs d’Etat ont décidé de s’associer : nul n’est légitime à recommander un format différent pour leur association. En conclusion, il convient toujours de prendre garde aux effets pervers de l’aide internationale : les partenaires extérieurs ne sont que des soutiens, en aucun cas des prescripteurs, c’est la condition première du succès de leur engagement. Il serait par exemple dommage que la Force conjointe ne serve in fine qu’à labelliser les divers projets des bailleurs en matière de sécurité. Il convient ici de rappeler toute l’importance du secrétariat permanent, notamment du rôle de coordination pour lequel il a été institué.

 

Enfin, le G5 Sahel affirme depuis sa création vouloir mettre en œuvre une approche globale fondée autant sur la sécurité et la défense que sur le développement, la résilience et la gouvernance. Personne en son sein, ni en France – y compris dans les armées françaises –  ne soutient que la stabilité du Sahel résultera d’une approche uniquement sécuritaire. Pourtant, l’organisation reste largement considérée, et critiquée, comme une institution exclusivement sécuritaire. C’est là le résultat d’un effet d’optique, les succès du volet militaire occultant de réelles ambitions dans le domaine du développement, déséquilibrant ainsi l’organisation. L’indispensable rééquilibrage ne dépend pas ici de la volonté du G5 Sahel mais de celle des bailleurs internationaux, le premier ne cessant d’appeler les seconds à lui offrir dans le domaine du développement le même soutien qu’ils lui apportent déjà dans le domaine de la sécurité. Puissent-ils enfin l’entendre.

 

Source: La Dépêche

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