« Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », propos attribués à Mahatma Gandhi et à Nelson Mandela.
Le G5 Sahel, créé en février 2014 par cinq pays (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), se déclarait avant tout comme l’expression d’une volonté partagée de mutualiser un certain nombre de ressources pour optimiser les politiques de développement et de sécurité de ces cinq Etats. Il s’agissait ainsi de faire face à des défis dont l’importance et la complexité dépassaient les capacités de ces pays pris individuellement. Le G5 Sahel devait donc mettre progressivement en place ses différents volets afin qu’à terme ces composantes permettent une véritable union cohérente et opérationnelle.
Ce processus commence à recueillir l’assentiment de la communauté internationale, notamment par un engagement de plus en plus affirmé à gérer la question de son financement. La sécurisation et la pérennisation du financement devraient donc concentrer le plus rapidement possible l’attention sur les questions de gouvernance et de l’efficacité des différents volets, notamment celle de la force conjointe, censée être le bras armé du dispositif global. L’accompagnement des partenaires internationaux se traduira-t-il rapidement et réellement par une attention plus attentive à la qualité des déclinaisons politiques au niveau de chaque pays membre du G5 Sahel ? Il faut le souhaiter ardemment. En effet, une approche pragmatique des questions de sécurité collective ne peut réussir que si elle s’appuie sur les populations locales afin que les rapports de ces dernières avec chacun des Etats gagnent à être bien plus apaisés et forcément plus constructifs, même à court terme. Ainsi, il est impératif que le respect des Droits de l’homme et la prise en compte des spécificités locales soient automatiquement intégrés à ce processus car ils sont de fait un préalable à l’instauration d’une confiance si nécessaire à l’efficacité des politiques publiques de sécurité et de développement.
Nous devons donc rappeler avec la plus grande énergie qu’il serait, en effet, illusoire de déclarer sérieusement l’intention de procéder à la stabilisation de ces régions si les différents acteurs nationaux et internationaux ignorent délibérément les aspirations des populations locales respectives. Populations très soucieuses les unes et les autres que s‘épanouissent enfin leurs droits légitimes et leurs intérêts propres. Rappelons également que les efforts des partenaires financiers et techniques pourraient souffrir à la longue d’une complète impuissance tant que les mécanismes de contrôle et de suivi ne seront pas en mesure de vérifier sérieusement leur réelle influence sur les conditions de vie des populations locales en question.
De manière générale, sous-estimer le poids de la mal-gouvernance et des approximations démocratiques vécues par ces populations depuis les indépendances révèle de plus en plus le spectre d’une impuissance collective à affronter ces problèmes sociaux ou d’une internationale indifférence devant la réalité de ces problèmes. Ces problèmes pourtant bien recensés, qui pourraient être plus aisément résolus si les populations locales étaient automatiquement placées dans une perspective positive. L’expérience de ces dernières années a montré à quel point certaines stratégies de sécurité ont été bridées par la méfiance qu’entretiennent des Etats à l’égard de leurs populations locales. Par exemple, la question du recrutement au sein des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), notamment dans les armées nationales, demeure un point de blocage que certains gouvernements se doivent de régler au plus vite pour impliquer davantage les populations locales. Un réarmement patriotique au niveau de chaque pays paraît plus que jamais nécessaire afin d’assurer une adhésion effective de l’ensemble des populations concernées.
Pour réussir à mobiliser ces populations, il conviendrait de s’appuyer bien davantage sur les élus et les autorités coutumières afin de mieux appréhender leurs attentes e
t d’organiser leur participation à cet effort de sécurisation des espaces sahélo-sahariens. D’une manière générale, le rôle des sociétés civiles locales et l’apport essentiel des diasporas issues de l’espace G5 Sahel devraient être encouragés et valorisés pour soutenir l’effort des décideurs et des acteurs internationaux engagés dans la lutte contre l’insécurité et pour un développement inclusif et intégré de ces espaces.
Les initiatives destinées à juguler les flux migratoires devraient tenir davantage compte des réalités socio-économiques locales et éviter de déstabiliser l’ordre politique et les espaces socio-culturels par des méthodes hasardeuses dans la gestion des urgences. Au Niger, les autorités locales d’Agadez, par exemple, se sont souvent plaintes de ne pas être suffisamment associées aux décisions qui ont pourtant un impact direct et immédiat sur les conditions de vie de leurs populations. Un dysfonctionnement extrêmement visible et très préjudiciable pour tous, que l’Etat et les partenaires financiers et techniques devraient prendre en considération afin d’éviter des complications inutiles.
La persistance des injustices et de l’impunité constitue un aspect que les acteurs internationaux ont du mal à intégrer à la fois dans leur discours et dans leurs préoccupations sécuritaires au Sahel. Pourtant, il s’agit là aussi d’un point incontournable pour instaurer la confiance. Une approche purement institutionnelle et étatique pourrait risquer de tomber dans les mêmes travers de gouvernance, qui ont déjà généré la déliquescence actuelle de certains Etats. La question des infrastructures et des besoins sociaux de base devrait être également regardée avec une approche rénovée, sans l’aide des schémas habituels reconnus pourtant comme largement dépassés et qui ont montré leurs limites en matière d’équité et de justice entre les régions.
La question du terrorisme, par son impact médiatique et spectaculaire, semble occulter totalement les problèmes de gouvernance spécifiques à chacun des pays concernés. En les ignorant volontairement pour ne pas charger la barque, les acteurs nationaux et internationaux ouvrent inévitablement la voie à la violence et au désordre. De surcroît, ce jeu trouble et extrêmement dangereux qui sert actuellement à instrumentaliser, voire à susciter des tensions intercommunautaires, risque de compliquer l’action de la force conjointe du G5 Sahel et des autres forces engagées sur le terrain. L’incapacité des FDS à protéger les populations civiles pourrait finir par amener ces dernières à s’armer afin de prendre en charge leur propre sécurité. De plus, il est à noter que les populations de certaines régions craignent beaucoup plus les FDS que les groupes jihadistes. Un comble !
La difficulté des Etats à assurer une gestion rationnelle de la diversité au sein de leurs peuples se traduit toujours par une mal-gouvernance, une mal-gouvernance caractérisée par l’absence d’équité et d’une vision inclusive de la chose publique. Cette fragilité constitue le terreau qui favorise l’arrivée et l’installation de groupes armés animés par d’autres intentions.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE)
aabdoulahi@hotmail.com
Lyon, le 22 décembre 2018
Source: Tamoudre