Patron de l’équipe de France avant-guerre, Alexandre Villaplane s’est enrôlé par la suite dans la Gestapo puis la SS. Deux livres racontent ce sinistre parcours.
C’est un nom que la Fédération française de football aimerait bien faire oublier. Mais comment ? Alexandre Villaplane, né le 24 décembre 1904 en Algérie (alors française) et mort le 27 décembre 1944 à Montrouge, fut une immense star du ballon rond dans l’Hexagone, entre les deux guerres. Ce milieu de terrain passé par les clubs de Sète, Nîmes, Antibes, Nice et Bordeaux a porté le maillot bleu à 25 reprises. Il a même été le capitaine de l’équipe de France de 1926 à 1930. C’est à ce titre que la FFF lui consacre une fiche sur son site Internet.
Le Racing Club l’avait recruté en 1929, espérant que ce champion porterait haut les couleurs ciel et blanc de l’équipe parisienne. Ce joueur était indéniablement doué. Malgré sa petite taille (1,66 m et non 1,75 m comme précisé sur le site de la fédération), son calme et son sens de l’observation lui permettaient un placement sûr, anticipant les mouvements de l’équipe adverse. Aussi à l’aise en défense qu’en attaque, il n’avait pas son pareil pour intercepter le ballon et le redistribuer avec intelligence à ses coéquipiers.
Technicien inventif (on lui attribue la paternité de la tête plongeante), doté d’une énergie peu commune qui lui permettait d’arpenter infatigablement la pelouse, ce n’est pourtant pas pour ses qualités sportives qu’il a marqué la postérité. Si l’on se souvient aujourd’hui de lui, c’est surtout parce qu’il fut un collaborateur de la pire espèce. Engagé volontaire dans la Gestapo puis la SS, ses exactions lui ont valu d’être condamné à mort à la Libération.
Un parcours sidérant
Comment passe-t-on ainsi du statut de patron des Bleus au rang d’officier nazi ? Deux livres tentent de répondre à cette question. Le premier*, écrit par Frédéric Massot, prend la forme d’un roman « vrai » s’attachant à la description psychologique du salaud que fut Villaplane. Le second**, signé par le magistrat Luc Briand, plonge dans les archives judiciaires de ses nombreux procès, pour raconter l’itinéraire d’un homme sans scrupule. Car le parcours de Villaplane est semé de rendez-vous au tribunal.
Avant même d’emmener l’équipe de France en Uruguay, où fut organisée la première Coupe du monde de l’histoire en 1930, il eut plusieurs fois maille à partir avec la justice. Ce furent d’abord de petites magouilles et de menues violences avant que son casier judiciaire ne s’alourdisse à son retour d’Amérique du Sud, où l’équipe de France avait été éliminée dès le premier tour. Des pages sportives, son nom passa alors aux rubriques des faits divers.
En 1937, on reproche au joueur d’avoir volé le billet gagnant à la loterie espagnole ; il est ensuite mis en cause dans des affaires de courses hippiques, mais aussi de matchs de foot truqués. Mais le plus grave est encore à venir…
Si leurs livres ont des styles très différents, Frédéric Massot et Luc Briand s’accordent sur un point. Alexandre Villaplane a descendu une à une les marches de l’infamie, pour une unique raison : l’appât du gain. C’est le goût de l’argent facile qui l’a poussé à s’acoquiner avec plusieurs figures du grand banditisme de l’époque. D’abord à Pigalle, dont il fréquentait les bars, puis en prison. C’est derrière les barreaux qu’il sympathise, en 1938, avec Henri Chamberlin, dit Lafont, un truand analphabète qui lui présente son associé, Pierre Bonny.
Le duo signera sa perte. En évitant à Villaplane de retourner en prison, en 1940, pour avoir tenté de fourguer aux Allemands de faux lingots d’or, les deux hommes le conduiront à se mettre au service de l’occupant nazi. Ce n’est pas tant par idéologie, montrent Frédéric Massot et Luc Briand, que par passion du lucre que le footballeur endosse alors l’uniforme noir de la Gestapo. « Sa psychologie est tout à fait différente de celle des autres membres de son groupe », dira le procureur dans le réquisitoire qu’il prononcera lors de son procès, à la Libération.
Villaplane se dépeint lui-même comme un « combinard », un profiteur de guerre. Lorsqu’il intègre « la Carlingue » comme est surnommé le service d’auxiliaires français de la Gestapo, installé au 93, rue Lauriston, à Paris, c’est dans l’espoir trivial de s’enrichir rapidement. S’il traque les juifs, les torture et les livre ensuite à la mort, c’est tout simplement pour leur voler leurs biens. Peu importe que les butins, extorqués à ces familles, la plupart du temps désargentées, soient souvent maigres. Il sait qu’en alternant violence et chantage à l’espérance, comprenez en leur promettant faussement la vie sauve, il pourra soutirer à ses proies le peu de richesses qui leur reste.
Villaplane se montre pareillement zélé et redoutablement efficace dans la traque aux résistants (il participera notamment à l’arrestation de Geneviève de Gaulle, la nièce du Général). Mais là encore, dit-il, c’est uniquement dans le but de se faire récompenser. Financièrement. En 1943, il finira néanmoins par demander à être naturalisé allemand et prêtera serment à Hitler avant d’intégrer les troupes de la Schutzstaffel, au rang de sous-lieutenant (SS-Untersturmführer). C’est dans les rangs de la SS qu’il fera exécuter à Brantôme (Dordogne) 25 otages français en représailles d’un acte de résistance contre deux officiers allemands. Parmi les victimes de ce massacre, un certain Georges Dumas, le père du futur ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand.
L’anti-Camus
Né dans une famille désargentée d’origine espagnole, Alexandre Villaplana, de son vrai nom, aurait-il pu connaître un autre destin ? La question affleure à la lecture de ces deux ouvrages. L’idée selon laquelle un déterminisme sociologique l’aurait fatalement conduit à ce destin criminel ne résiste cependant pas à l’examen d’autres parcours. Dans le quartier populaire de Belcourt où Villaplane grandit, à Alger, vit ainsi un jeune homme au profil similaire au sien (il est lui aussi d’extraction modeste et grand amateur de football). Il se nomme Albert Camus et cet écrivain ne versera pas du même côté. Bien au contraire !
Alors ? À son installation en métropole en 1921, près de Sète (qu’on orthographie alors Cette), Villaplane envisage le ballon rond comme le seul moyen de sortir de sa condition. Ce sport n’offre pourtant, à l’époque, aucune perspective professionnelle. Pour constituer leurs équipes, les dirigeants de clubs ont mis en place un système dit de « l’amateurisme marron », ou du « shamateurism » comme l’appellent nos voisins Anglais. Les sportifs (officiellement « amateurs » donc) doivent accepter un emploi fictif, payé en argent liquide, pour pouvoir se consacrer pleinement au football. Le championnat de France n’existe pas encore. Il ne verra le jour qu’en 1932. Mais les paris sportifs vont déjà bon train et diverses combines vérolent nombre de compétitions.
Si une morale semble à tirer des deux biographies de Villaplane, c’est que la longue descente aux enfers de ce joueur de football s’inscrit comme la suite logique d’une accumulation de petits renoncements à l’éthique. Une issue qui, sous la plume de Luc Briand, semble annoncée dans un épisode apparemment anodin de la vie du footballeur. Un match France-Autriche qui se tint le 30 mai 1926 au stade de Colombes. Ce jour-là, un coup de tête maladroit de Villaplane l’avait conduit à marquer un but contre son propre camp à la 42e minute. Mortifié par ce geste, le joueur s’était alors caché dans les vestiaires, pendant tout le reste de la partie. Les patriotes de pacotille finissent toujours, un jour ou l’autre, par tomber le masque.
*Jouer, trahir, crever, de Frédéric Massot, Éditions du Rocher, 248 pages, 19 €.