Avec la fin annoncée de la guerre en Syrie et en Irak contre l’Etat islamique, la ministre des Armées, Florence Parly, prévoit une réduction de l’implication de la France dans la région. Et confirme la volonté du gouvernement de laisser les autorités locales juger les ressortissants français arrêtés sur place.
Dans quel état avez-vous trouvé les armées, à votre arrivée il y a sept mois ?
Ce ministère a subi une double contrainte au cours des années récentes. D’abord, les engagements croissants sur des théâtres d’opération, comme le Sahel et le Levant, mais aussi en France, avec l’opération «Sentinelle». L’autre mouvement, enclenché depuis plus longtemps, c’est la transformation du ministère avec la fin de la conscription et la contrainte budgétaire, qui a conduit à la suppression de 60 000 postes entre 2008 et 2016. Cet effet ciseaux a des conséquences très fortes : un besoin de régénération des équipements, mais aussi des personnels. Régénération et modernisation seront par conséquent deux enjeux majeurs de la prochaine loi de programmation militaire sur laquelle nous travaillons. Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est la force de l’engagement des militaires. Il existe deux catégories de personnes dans le monde : celles qui sont prêtes à donner leur vie pour défendre leur pays et les autres. Cet engagement volontaire et raisonné nous oblige.
L’armée est-elle en burn-out ?
Aucun élément ne me permet de penser que le ministère connaît une telle crise. En revanche, le déclenchement de Sentinelle en 2015 a créé une pression supplémentaire qui a nécessité une réorganisation profonde de l’enchaînement des missions. Aujourd’hui, elle est planifiée au même titre que les autres. Les militaires ne chôment pas, mais les périodes d’entraînement, de repos, d’opérations extérieures et en France s’enchaînent normalement.
Le Président a dit que la guerre contre Daech en Syrie serait gagnée d’ici fin février. Qu’est-ce qui signera cette victoire ?
Après des années de combats, ce sera une étape. Elle ne signifie pas que Daech aura disparu. Le pseudo-califat n’a plus d’emprise territoriale, mais ce mouvement terroriste va certainement poursuivre son action de manière clandestine. Le ministère des Armées va donc faire évoluer son dispositif. En Syrie et au Levant, la France intervient dans le cadre d’une coalition, qui elle-même évoluera. Fin 2017, nous avons rapatrié deux Rafale de notre base en Jordanie. Il reste quatre avions, complétés par ceux stationnés aux Emirats arabes unis. D’autres ajustements interviendront en 2018, l’objectif étant de revoir à la baisse notre dispositif, qui mobilise 1 200 hommes et femmes dans le cadre de l’opération «Chammal». Nous sommes à la disposition des autorités irakiennes pour poursuivre, voire amplifier, la formation que nous leur accordons. Nous souhaitons basculer d’une logique d’intervention militaire à un objectif de stabilisation politique.
Qu’est-ce qui permettra de dire que cette guerre est terminée ?
Ce qui est important, d’abord pour les dirigeants irakiens, c’est que les victoires militaires ouvrent la voie à une phase de stabilisation politique, avec comme étape importante les élections législatives en mai. Il ne s’agit pas uniquement de terminer les combats, il faut gagner la paix.
Des Français figurent parmi les ennemis de la France. Estimez-vous, comme l’a dit le porte-parole du gouvernement, que les institutions judiciaires kurdes syriennes «sont en capacité d’assurer un procès équitable» ?
On nous a accusés de mener des actions particulières contre les jihadistes de nationalité française. Je m’inscris en faux. La victoire de Raqqa avait une valeur symbolique parce que les commanditaires des attentats de Paris et Saint-Denis s’y trouvaient, mais leur nationalité importe peu. Pour les Français détenus au Levant, je rappelle que ces personnes sont parties de leur propre initiative rejoindre une organisation terroriste qui mène des combats dans cette zone et qui a commis et cherche encore à commettre des attentats en France. La question du rapatriement de ces personnes qui, après avoir rejoint Daech, sont aujourd’hui détenues par les autorités et forces militaires qui ont libéré les territoires où elles évoluaient, ne saurait faire abstraction du contexte de guerre dans la région. Pour la Syrie, la situation est complexe car nous n’avons pas de relations diplomatiques avec ce pays, qui par ailleurs ne contrôle pas le territoire où les jihadistes sont capturés. Dans la partie tenue par les Kurdes, les autorités locales se prononceront sur la responsabilité éventuelle des ressortissants français concernant les crimes ou délits commis sur ce territoire, du fait de leur appartenance à une organisation terroriste. En Irak, la situation est plus simple : c’est un Etat qui dispose d’institutions et avec lequel nous avons d’étroites relations.
Les jihadistes qui tombent entre les mains des forces irakiennes risquent la peine de mort…
La France est par principe opposée à la peine de mort. Dans le monde entier, des ressortissants français, qui ne sont pas des terroristes, risquent la peine capitale s’ils commettent des crimes dans les pays où ils se trouvent et qui l’appliquent. Le réseau diplomatique leur porte l’assistance due à tout citoyen français, mais chaque pays a des règles.
Vous ne demanderez pas l’extradition des jihadistes poursuivis par la justice en France ?
Nous verrons. Combien sont-ils ? Au Levant, de 500 à 600 personnes sont présentes, 300 environ seraient décédées. Ceux qui restent sont des combattants décidés à se battre jusqu’au bout, ce qui explique les faibles retours en France : moins de 20 en 2017. Les retours ont surtout eu lieu en 2014 et 2015. Pour les enfants, certaines femmes arrêtées ont demandé qu’ils soient rapatriés en France. Une cinquantaine d’enfants sont déjà rentrés, dont la moitié ont moins de 5 ans. Tous sont pris en charge par la justice et placés dans des familles d’accueil ou chez des proches.
N’y aurait-il pas une vertu démocratique à juger ces jihadistes en France, pour connaître leurs motivations et itinéraires ?
Dans l’examen des situations, l’intérêt de l’autorité judiciaire française est pris en compte. Mais beaucoup de ces personnes détenues sur ces théâtres continuent d’affirmer leur volonté de rentrer pour poursuivre le combat en France. Aussi, le souhait légitime des autorités locales de juger les crimes commis sur leur territoire ne saurait être négligé.
Des jihadistes français présents en Syrie et en Irak ont-ils basculé vers d’autres pays, notamment l’Afghanistan ?
Nous n’observons pas de basculement massif vers d’autres pays. Mais il ne faut pas exclure des fuites individuelles.
L’EI a revendiqué plusieurs attentats à Kaboul ces derniers mois. Craignez-vous que l’Afghanistan redevienne le sanctuaire pré-2001 ?
A la demande des Etats-Unis, l’Otan s’engage à renforcer son dispositif en Afghanistan de 3 000 hommes. La France, qui s’est retirée en 2012, ne participe pas à cet engagement au-delà de notre contribution financière annuelle à l’Otan, tout en soutenant bilatéralement l’Afghanistan, dans le cadre du traité bilatéral de coopération avec ce pays.
Au Mali, où intervient la France depuis 2013, la situation se dégrade. Comment répondre à l’accroissement de la violence malgré les 4 000 hommes de l’opération «Barkhane» ?
Ces 4 000 hommes sont en réalité répartis sur l’ensemble de la zone sahélienne, un territoire aussi vaste que l’Europe, et pas seulement au Mali. Et la réponse n’est pas que française. Avec d’autres nations, la France soutient la force conjointe du G5 Sahel. Il y a aussi la Minusma de l’ONU, et la mission de formation de l’UE. La combinaison de ces leviers est une réponse à la situation, en particulier au Mali. Elle ne doit pas être que militaire, et doit s’accompagner d’une augmentation de la présence de l’Etat malien et d’une aide au développement de notre part.
Les élections sont prévues en avril et juillet, ce qui suppose de pouvoir rétablir la présence étatique sur l’ensemble du Mali. Est-ce que Barkhane n’est pas de plus en plus vue comme une force d’occupation ?
Non ! Mais une fois encore, la solution réside dans le G5 Sahel, qui doit monter en puissance. L’objectif de Barkhane est de trouver des relais. Les Africains le disent eux-mêmes : ce problème de sécurité est d’abord le leur. Barkhane peut appuyer et former la force conjointe, ce qu’elle fait et continuera de faire. Celle-ci doit être opérationnelle en 2018.
Donc la France se désengage ?
La priorité, c’est la force conjointe et les résultats qu’elle pourra obtenir. Nous faisons beaucoup, avec d’autres pays et l’UE, pour trouver des financements et doter la force en équipements. La zone est grande, les pays concernés sont pauvres, leurs armées restreintes en termes d’effectifs. Les dons atteignent aujourd’hui 250 millions d’euros. Nous voulons aussi finaliser une feuille de route opérationnelle, ce que je vais faire cette semaine avec les ministres de la Défense des pays du G5.
La France a-t-elle demandé au Royaume-Uni de s’engager militairement au Sahel ?
Le Royaume-Uni est l’un des principaux partenaires militaires de la France. J’accompagnerai jeudi le président de la République à Sandhurst pour le sommet franco-britannique, c’est certainement un sujet que nous aborderons.
Avez-vous confirmation que le chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar a bien été tué dans un raid de la France en Libye fin 2016 ?
Je n’ai pas de commentaires à faire sur ce sujet.
L’Egypte a-t-elle vocation à devenir un grand acheteur d’armes françaises, alors qu’il s’agit d’une dictature ?
L’Egypte, comme la France, a été sévèrement touchée par le terrorisme ces dernières années. Mais cet engagement contre le terrorisme ne doit pas se contenter d’être uniquement militaire. Il doit être mené dans le respect de l’Etat de droit, et le président de la République en a parlé au président Al-Sissi. Par ailleurs, la France exporte des armes en suivant des procédures rigoureuses, quels que soient les pays.
La France est aussi un fournisseur d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Emirats qui bombardent au Yémen. Un conflit qui a fait 10 000 morts civils…
Je vous renvoie à ma réponse précédente. Par ailleurs, la France se mobilise pour tenter d’obtenir une solution à ce conflit, aujourd’hui dans l’impasse, qui se traduit par une situation humanitaire inacceptable. Nous plaidons auprès des Emirats et de l’Arabie Saoudite pour ouvrir un accès aux humanitaires.