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Faut-il brûler le franc CFA ?

Oui, ont répondu en chœur les « anti », qui ont réalisé une véritable démonstration de force le 7 janvier dernier, en mobilisant à travers l’Afrique et partout dans le monde pour demander la fin de cette monnaie.

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Pour eux, elle n’est qu’une « survivance » des colonies françaises d’Afrique et doit être éliminée si le continent veut prendre en main son économie et enfin se développer. Ce rejet, porté par de nombreuses personnalités, ne fait pourtant pas l’unanimité. Non pas pour sa pertinence, mais parce qu’il appelle à des conséquences économiques qui pourrait être désastreuses pour les pays concernés. Alors, faut-il s’accommoder de cette monnaie depuis décriée ? Quelles options pour en sortir ?

Le 11 aout 2015, le Tchad célèbre ses 55 ans d’indépendance et son président jette un pavé dans la mare. « Il y a aujourd’hui le franc CFA, qui est garanti par le Trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. […] Il faut maintenant que réellement, dans les faits, cette monnaie soit la nôtre. […] Une monnaie qui permette à tous ces pays qui utilisent encore le franc CFA de se développer », déclarait Idriss Deby Itno. Il relançait ainsi un débat vieux de plusieurs décennies déjà : celui de la survivance d’une monnaie née en 1945.

Héritage colonialiste Avant d’aller plus loin, petit rappel historique des conditions de sa création par le Professeur Abdoulaye Niang, économiste, ancien diplomate et grand pourfendeur de cette monnaie. « Le CFA est arrivé parce que le Franc français se dévaluait de manière régulière. En créant cette monnaie avec une parité fixe, la France a pu continuer à se ravitailler en ressources naturelles et produits premiers à partir de l’Afrique, sans subir la dévaluation. Quand il y a parité, vous n’avez plus besoin de devises, vous pouvez rapatrier vos bénéfices. C’est cette situation qui continue jusqu’après les indépendances et de nos jours, elle est la même », déplore-t-il. C’est là d’ailleurs le principal argument du front « anti-CFA » : cette monnaie sert avant tout les intérêts de l’ancien colon français, et surtout freine le développement du continent. De Bamako à Abidjan, en passant par Bruxelles ou Londres (même avant le « Brexit »), tous dénoncent le paradoxe qui dote des États parmi les plus pauvres au monde d’une monnaie aussi forte, puisqu’arrimée à l’euro. « L’argent est un produit qui joue sur le taux en fonction des besoins de l’économie, explique encore le Professeur Niang. À partir du moment où le pays n’a pas le droit de dévaluer par rapport à l’euro, mais que celui-ci peut être dévalué vis-à-vis du dollar, par exemple, on ne peut que subir la politique monétaire de l’Europe. Nous ne sommes donc pas indépendants ».

La question de l’indépendance est donc au cœur de ce débat. Indépendance politique, impliquant la fin du contrôle exercé par l’ex-colon sur les économies de la zone franc (créée en 1939, ndlr) et surtout de la domiciliation des réserves africaines au niveau du Trésor français. Indépendance économique, pour libérer les investissements sur le continent et doter les pays de la future « ex-zone CFA » d’économies fortes, basées sur leur propre capacité à se gérer, à déterminer leurs impôts, mieux contrôler leur balance commerciale, etc. Ce débat, et ce combat, ne sont pas nouveaux. Dans les années 70, alors que 100% des réserves des pays de la zone franc étaient hébergées au Trésor français, des chefs d’État avaient lancé des négociations qui ont abouti à la réduction à 75%, puis 50%. L’objectif est désormais de les amener à 0%, gageure pour certains, décision incontournable pour d’autres.

En dehors des politiques, et plus récemment des acteurs de la société civile qui mènent le combat, en particulier à travers les médias, les économistes se penchent sur la question. Longtemps resté silencieux, le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) donnait en novembre dernier à Jeune Afrique la position de son institution. Expliquant « les vertus » de la politique monétaire en vigueur dans la zone UEMOA, Tiémoko Meyliet Koné à la tête de la BCEAO depuis mai 2011, assure que ceux qui critiquent le CFA n’appréhendent pas correctement le rôle de la France et du Trésor français dans le système monétaire en vigueur. Selon lui, « le franc CFA est une monnaie africaine, gérée par des Africains. Il faut arrêter de voir les relations entre la France et les pays de l’UEMOA comme celles d’un colonisateur avec ses colonisés ». Les relations avec la France sont donc plutôt un partenariat entre l’espace communautaire et le Trésor français.

Africaniser la monnaie D’autres économistes ne l’entendent pas de la même oreille. Pour eux, il faut sortir de ce schéma et pour ce faire, ils proposent plusieurs scenarii. Le Dr Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais, grande voix de la fin du CFA, expliquait dans un entretien avec un journal français que l’objectif n’est pas tant la disparition du CFA que la quête de l’indépendance économique des États qui l’utilisent. « Rien n’empêche de conserver le franc CFA tout en rompant la fixité avec l’euro. Nous pourrions imaginer un tunnel monétaire dans lequel le franc CFA pourrait évoluer en fonction de sa propre conjoncture économique. Une fluctuation à la hausse, comme à la baisse, autour d’un cours pivot permettrait un assouplissement monétaire. Cela permettrait de donner plus de compétitivité à nos économies, qu’elles soient moins extraverties, de doper notre croissance, et surtout de créer des emplois… », assurait-t-il. Un avis partagé par l’économiste malien Dr Etienne Fakaba Sissoko. « Le défi est de faire en sorte que chaque pays s’engage sur un certain nombre de choses : d’abord le contrôle de nos budgets, car l’une des forces aujourd’hui du CFA est que la stabilité des prix et la convertibilité sont garantis. Il n’y a donc pas de hausses non contrôlées sur les marchés. Il s’agira donc d’arriver à contrôler ce niveau des prix et il faudrait que chaque pays s’engage à réduire ses déficits budgétaires, et donc à utiliser de façon efficace ses ressources. Le problème à ce niveau sera la question du leadership. Qui va dire à qui de ne pas faire de dépenses ? ». En effet, à l’inverse de l’Europe, où c’est la Commission de Bruxelles qui dicte les directives aux pays, dans la zone CFA, ce sont les conférences des chefs d’État (UEMOA et CEMAC) qui donnent des directives aux commissions. « Cela rend l’affaire plus compliquée », poursuit le Dr Sissoko. Mais pas impossible.

Les économies africaines ont les moyens de mettre ce schéma en place si l’on en croit le Pr Niang. « Nous avons des solutions pour avoir une monnaie forte, et le Mali peut en prendre l’initiative. Nos richesses peuvent nous permettre d’assurer la stabilité de notre monnaie, sans devoir les confier à autrui. La rectification de la structuration du capital d’investissement des mines d’or, d’Orange, par exemple, nous permettrait d’être riches de nos richesses. Si on ne le fait pas, un matin la France va tomber et le CFA tombera, alors que nous ne serons pas prêts », affirme celui qui avait dès 2008 tenté de sensibiliser, en vain, les décideurs africains à préparer la fin du CFA.

Créer une nouvelle monnaie, garantie par les richesses nationales et gérée par une instance supranationale de contrôle, telle est l’alternative au CFA. On ne peut pas avoir de schéma idéal, préviennent cependant les économistes. « […] Il y a des facteurs bloquants, si vous prenez la zone euro, où les pays ne sont pas au même niveau de développement, c’est pareil. Prenez le cas de la Grèce et de l’Allemagne, il n’y a pas photo au même titre que l’Espagne et la France. Pour vous dire que si la volonté politique est là, nous pouvons franchir les obstacles », assure Demba Moussa Dembélé, économiste et président de l’Africaine de recherche et de coopération pour le développement endogène (Arcade), co-auteur de « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ? ». Au finish, c’est donc aux politiques de décider s’ils veulent brûler le CFA, ou pas.

Source: journaldumali

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