L’attaque de Charlie Hebdo a ravivé en Colombie un débat ancien mais toujours explosif sur les relations entre Al-Qaïda et la guérilla des Farc, en plein processus de paix avec les autorités de Bogota.
Issues du principal pays producteur de cocaïne au monde, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), héritières d’une insurrection paysanne il y a un demi-siècle, sont accusées depuis plusieurs années d’utiliser le réseau islamiste pour acheminer de la drogue en Europe et se fournir en armes.
L’assaut meurtrier contre l’hebdomadaire français, revendiqué par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), a ainsi relancé l’opposition aux négociations avec les Farc, ouvertes il y a plus de deux ans par le président Juan Manuel Santos.
“Quelle différence y a-t-il entre les Farc et Al-Qaïda?”, lance régulièrement son prédécesseur Alvaro Uribe. Farouche détracteur des pourparlers de paix, il affirme désormais, sans citer ses sources, que la rébellion aurait obtenu du groupe islamiste “50 missiles sol-air après avoir négocié de la cocaïne”.
Un autre ancien chef de l’Etat, Andres Pastrana, pourtant plus modéré, a aussi appelé M. Santos à “réclamer aux Farc une clarification sur ses partenaires d’Al-Qaïda”, dans un message sur Twitter où nombre d’internautes colombiens utilisent l’expression française #JeSuisColombie à côté de #JeSuisCharlie.
“C’est de l’opportunisme politique. Il n’y a jamais eu de preuves d’une complicité durable entre les deux groupes”, explique à l’AFP Cesar Paez, professeur en relations internationales à l’Université Externado de Bogota.
“Il y a pu avoir entre eux un échange commercial et ponctuel, mais pas plus”, poursuit cet expert des questions de narcotrafic.
-‘Pas d’alliance idéologique’-
La position des Farc en faveur de la cause palestinienne, dans la lignée de la gauche latino-américaine, n’a jamais abouti à une “alliance idéologique” avec Al-Qaïda, souligne-t-il encore, notant l’opposition entre l'”athéisme marxiste-léniniste” de la guérilla colombienne et le “fondamentalisme religieux” du groupe islamiste.
La polémique autour d’une supposée collusion remonte à 2013, après l’interpellation de deux Colombiens et trois militants salafistes présumés de Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en Algérie.
Un rapport policier, dévoilé à l’époque par le journal marocain Al Massae, alerte de “l’intention des Farc de transformer le désert saharien” en “plaque tournante du trafic de drogue dure vers l’Europe”.
A la suite de cette affaire, plusieurs médias, à l’instar de la radio espagnole Cadena Ser, ont relayé l’information selon laquelle la rébellion colombienne achetait des armes puisées dans l’arsenal laissé après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye.
Les Farc, qui démentent officiellement toute implication dans le narcotrafic, disposeraient pour se fournir en armes d’une manne importante, selon une étude publiée en novembre dernier par l’édition israélienne de Forbes, qui les classe comme la “troisième organisation terroriste la plus riche au monde” avec des revenus annuels de 600 millions de dollars, après l’Etat islamique (EI) et le Hamas.
Chercheur au centre d’études colombien Nuevo Arco Iris, Ariel Avila explique que le trafic de drogue contre des armes a connu un premier essor dans les années 90 via la côte Pacifique et les gangs latino-américains, puis via le Venezuela, où nombre de rebelles sont implantés près de la frontière avec la Colombie.
Ce spécialiste de la guérilla n’exclut pas la possibilité d’une filière au Maghreb, mais souligne que les Farc n’ont pas de “liens directs avec Al-Qaïda”.
Les Colombiens interpellés en Algérie sont, selon lui, “des intermédiaires entre organisations de trafic d’armes et les Farc”. “Evidemment ils connaissent les Farc, évidemment ils ont travaillé pour les Farc, mais ils n’appartiennent pas aux Farc”, insiste-t-il.
Le fait que des combattants des Farc se soient rendus dans des camps d’entraînement en Libye dans les années 1980, à l’époque de la “révolution verte mais laïque” de Khadafi, a peut-être contribué à “alimenter le mythe” d’un lien entre la guérilla et cette région, ajoute M. Avila.