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Face aux policiers, Nicolas Sarkozy a souvent plaidé l’ignorance

Le site Mediapart a publié, vendredi, des éléments issus de la garde à vue de l’ancien président de la République, à l’issue de laquelle il a été mis en examen.

Deux jours après la garde à vue de Nicolas Sarkozy dans l’affaire du possible financement libyen de sa campagne de 2007, le site Mediapart, qui avait révélé l’affaire en 2012, a publié , vendredi 23 mars, des éléments issus des auditions de l’ancien chef de l’Etat devant les enquêteurs de l’Office anticorruption (OCLCIFF).

Finalement mis en examen pour « corruption passive », « financement illicite de campagne électorale » et « recel de détournements de fonds publics libyens », Nicolas Sarkozy a réfuté, devant les enquêteurs, toutes les accusations, ou a systématiquement avancé ne pas avoir connaissance des faits évoqués. Quitte à rejeter la faute sur deux de ses collaborateurs les plus proches, Brice Hortefeux, son ancien ministre de l’intérieur (2009-2011), et Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy puis ministre de l’intérieur (2011-2012).

Lire aussi :   Comprendre l’affaire de Sarkozy et la Libye en 2007

  • Sur Ziad Takieddine, intermédiaire et témoin clé de l’affaire

Comme il l’a souvent déclaré publiquement, Nicolas Sarkozy a qualifié M. Takieddine de « menteur doublé d’un fou » devant les enquêteurs. Les juges ont pourtant avancé l’existence de documents tendant « à montrer que celui-ci a joué un rôle dans les négociations entre la France et la Libye dans le cadre de vos visites en Libye comme ministre de l’intérieur, puis président de la République ». Ils ont également évoqué, selon Mediapart, plusieurs éléments matériels prouvant l’intervention de Ziad Takieddine au profit de Claude Guéant dans le dossier libyen.

« Que Brice Hortefeux à titre personnel ait pu le fréquenter, c’est sa décision », a-t-il lancé, avant de certifier qu’il ne savait pas « quand, et combien de fois, [Ziad Takieddine] a vu M. Guéant, il s’en expliquera ».

« Et si jamais Brice Hortefeux ou Claude Guéant disait “c’est Nicolas Sarkozy qui nous l’a demandé”, vous pourriez considérer que cela relève de ma responsabilité, mais ce n’est pas vrai, ils ne l’ont jamais dit », a avancé Nicolas Sarkozy, tandis que les enquêteurs lui rétorquaient que Claude Guéant et Brice Hortefeux avaient agi « dans le cadre de leurs fonctions et alors qu’ils étaient sous [son] autorité hiérarchique. »

  • Sur Abdallah Senoussi, ancien chef des services de renseignement militaire

Abdallah Senoussi avait déclaré en 2012 devant le procureur général du Conseil national de transition libyen avoir envoyé cinq millions d’euros en liquide pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 ; propos plus tard confirmé par Ziad Takieddine. Il est aussi visé par un mandat d’arrêt international pour ne pas s’être présenté devant la justice française malgré sa condamnation dans l’affaire de l’attentat contre l’avion de ligne DC-10 d’UTA.

Devant les juges, l’ancien chef de l’Etat a reconnu que la situation judiciaire de M. Senoussi avait été abordée avec Mouammar Kadhafi lors de leur rencontre en 2006. Il a également reconnu que le militaire libyen avait « tenté de bénéficier des compétences de Thierry Herzog », avocat personnel de Nicolas Sarkozy, pour tenter de rendre inopérant le mandat d’arrêt international, mais a nié toute intervention en ce sens.

Or, les enquêteurs disposent de plusieurs éléments le contredisant, notamment un document issu des archives de Ziad Takieddine mentionnant une réunion sur la question à l’Elysée en mai 2009. « Vous me l’apprenez », a assuré M. Sarkozy, niant toute implication.

Par ailleurs, si Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il n’avait jamais rencontré M. Senoussi, Brice Hortefeux a, lui, reconnu dans son audition, avoir rencontré le militaire libyen, et en présence de Ziad Takieddine. « Vous me l’apprenez. Moi, je ne savais pas », a, là encore, répondu l’ancien chef de l’Etat aux enquêteurs.

  • Sur les virements d’argents évoqués par MM. Senoussi et Takieddine

Le premier a assuré que Mouammar Kadhafi avait accepté de financer la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur de 7 millions d’euros, et le second a affirmé avoir déposé cinq millions d’euros en espèces au ministère de l’intérieur, à l’époque occupé par Nicolas Sarkozy.

Au-delà de ces déclarations, les enquêteurs, cités par Mediapart, ont souligné devant M. Sarkozy l’existence d’un « virement de 2 millions d’euros […] adressé le 21 novembre 2006 depuis un compte de la Libyan Foreign bank. Il s’agit de la banque citée par M. Senoussi. Ce virement a été crédité sur le compte d’une société offshore, la société Rossfield Trading Limited dont le bénéficiaire économique était Ziad Takieddine », précisant que « les déclarations de M. Senoussi semblent confirmer les éléments matériels recueillis et sans qu’il n’ait pu en avoir connaissance, étant détenu depuis plusieurs années ».

Là encore, Nicolas Sarkozy a déclaré n’avoir « aucun commentaire à faire. C’est une association de voyous et de malfaiteurs. »

Interrogé sur la location, par Claude Guéant, d’une chambre forte à la banque BNP Paribas durant la campagne présidentielle de 2007, dans laquelle celui-ci s’est rendu « à sept reprises entre mars et juillet 2007 », Nicolas Sarkozy a répondu : « Je n’en ai aucune idée. Il ne m’en informait pas. »

Quant aux questions sur les sommes en liquide qui avaient circulé durant sa campagne, confirmées par Eric Woerth, M. Sarkozy a répondu : « Je n’ai aucun élément à vous fournir sur le sujet […]. M. Woerth a toute ma confiance. Je suis sûr que tout cela est conforme aux règles et tant que l’on ne me démontre pas le contraire, je lui conserve ma confiance ».

  • Sur Bechir Saleh, ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi

Les enquêteurs ont questionné Nicolas Sarkozy sur les conditions dans lesquelles Bechir Saleh avait été exfiltré de la Libye en guerre en 2011. L’ancien président de la République assure, là encore, ne « rien savoir ». Les enquêteurs évoquent notamment des notes déclassifiées de la DGSE dans lesquelles Bechir Saleh remercie Nicolas Sarkozy pour tout ce qu’il a fait pour lui, l’ancien chef de l’Etat assure qu’il ne « s’en souvient plus ».

« Il semble difficilement concevable que le ministre de l’intérieur [Claude Guéant] et le directeur du renseignement [Bernard Squarcini, chef des services impliqués dans l’exfiltration de Bechir Saleh] aient pu organiser entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012 l’exfiltration du territoire français de Bechir Saleh, ancien directeur de cabinet de Kadhafi, sans que vous l’ayez su, au moment même où vous proclamiez dans les médias qu’il serait arrêté s’il était découvert en France ? […] Nous vous rappelons qu’il serait parti avec l’aide des autorités alors que vous étiez chef de l’État. »

La réponse de Nicolas Sarkozy est à nouveau inflexible : « Quelles autorités ? Pas la mienne. […] Et quelqu’un a-t-il dit que j’avais demandé ou autorisé cette exfiltration. Bien sûr que non ! » Il fait également valoir que « à la minute où [Claude Guéant] est nommé ministre de l’intérieur, il n’est plus mon collaborateur […]. Il avait dès lors sa propre existence politique, sa propre marge de manœuvre opérationnelle comme ministre. »

  • Sur Choukri Ghanem, ancien ministre du pétrole libyen

Mort dans des circonstances troubles en 2012, il a consigné dans des carnets de 2007 des versements d’argent à destination de M. Sarkozy. Or, une partie de la défense de ce dernier repose sur l’idée d’un complot ourdi par les dignitaires du régime Kadhafi après la guerre de 2011.

Les policiers ont toutefois souligné durant l’audition que le carnet ne leur avait pas été remis spontanément. « Il a été saisi par les autorités autrichiennes qui l’ont évoqué auprès des Norvégiens et il nous a été transmis par les Hollandais. Donc vraisemblablement, ces affirmations sont faites avant le déclenchement de la guerre en 2011 par un individu qui, à ce moment-là, ne vous en voulait pas. »

L’ancien chef de l’Etat a malgré tout contesté « l’idée selon laquelle ce carnet aurait été rédigé avant le déclenchement des hostilités. Rien ne permet de l’affirmer ».

LE MONDE

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