Cultiver à la fois la clarté et l’ambiguïté réclame de la souplesse rhétorique. C’est pourtant l’exercice auquel s’astreint l’administration Biden, face à la menace nucléaire russe. A l’approche d’une probable annonce d’annexion par Moscou des territoires ukrainiens de l’est du pays, alors même que les combats s’y poursuivent, les responsables américains prennent au sérieux, publiquement, l’usage éventuel d’une arme nucléaire tactique sur ordre du président russe, Vladimir Poutine. Mais ils refusent d’entrer dans les détails d’une réponse occidentale. Il s’agit de ne pas participer à une escalade verbale contre-productive, d’autant que, selon les autorités américaines, aucun changement opérationnel n’a été constaté à ce stade dans le déploiement des forces russes et leur niveau d’alerte. Le sang-froid s’impose.
Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a fait la pédagogie de la position américaine sur plusieurs plateaux de télévision, dimanche 25 septembre. « Nous avons communiqué aux Russes directement, de façon privée, à un très haut niveau, que les conséquences seront catastrophiques pour la Russie si elle utiliset des armes nucléaires en Ukraine, a expliqué M. Sullivan sur ABC News. Nous avons été clairs et catégoriques avec eux, les Etats-Unis répondront de façon décisive aux côtés de leurs alliés et partenaires. » Toutefois, le conseiller de Joe Biden s’est gardé de développer la nature de cette éventuelle réplique, ne voulant pas s’engager dans un « œil pour œil, dent pour dent rhétorique ». Subtilité d’une dissuasion à la fois ferme et consciente de ses limites.
« Depuis le début de la guerre, Joe Biden n’a pas voulu ajouter de l’huile sur le feu nucléaire, explique Jon Wolfsthal, ancien membre du Conseil de sécurité nationale sous Barack Obama et conseiller auprès de l’organisation Global Zero, qui plaide pour une dénucléarisation du monde. Poutine n’a pas besoin qu’on lui rappelle les capacités nucléaires américaines, ni l’effort de soutien à l’Ukraine. Mais on a commencé à entendre des inquiétudes, en Ukraine et chez des alliés, sur l’absence de réponse publique américaine à cette menace nucléaire russe. Les Européens craignent notamment qu’un éventuel conflit ne se déclenche que sur leur territoire, et qu’on assiste à une sorte de découplage américain. »
Question existentielle
Jusqu’à présent, la doctrine nucléaire russe prévoyait l’usage d’une telle arme uniquement en réponse à une menace existentielle pour la fédération. En 2018, Vladimir Poutine expliquait dans un film documentaire que la condition préalable serait la détection sur les radars russes du déclenchement d’une frappe nucléaire ennemie, en direction de son pays. Le président russe ajoutait alors qu’une telle escalade conduirait à « une catastrophe globale », tout en avertissant : « A quoi bon un tel monde, si la Russie n’en fait plus partie ? »
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