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État stratège: Apprenons à voir loin pour mieux nous prémunir ! (Moussa Mara)

Moussa Mara ancien premier ministre pm

Voir loin ou essayer de voir loin aide à anticiper, à se préparer et à ne pas se laisser surprendre ! Apprécier ce qui se passe dans son environnement, évaluer les dynamiques internes, régionales voir internationales aident à mieux se parer contre les menaces qui y proviennent et leurs évolutions tout en permettant de mieux profiter des opportunités qu’elles présentent ! Le stratège essaie de voir loin tout en suivant ce qui se passe à ses côtés et dans son temps. Il essaie de lier le présent et le futur en n’oubliant pas le passé, pour mettre en œuvre des initiatives qui l’amèneront à tirer son épingle du jeu. De nombreux pays en Afrique ont déserté la pensée stratégique, les analyses prospectives voire même la planification. Certains n’en ont presque jamais eu ni la volonté ni les outils. Le quotidien et le passé récent constituent souvent la matière de base des politiques publiques, quelques fois similaires à celles des voisins sous l’impulsion d’acteurs ou d’organisations extérieurs. Pourtant, le contexte international mouvant, incertain et évolutif rend plus que jamais indispensable que nos États se dotent de capacités de réflexions stratégiques. Les menaces immédiates et leur complexité, les tensions multidimensionnelles internes et quasi permanentes imposent de remettre l’observation régulière, les analyses fines, le travail prospectif au cœur des actions étatiques.

Dans ce contexte, nous sommes obligés d’analyser et d’anticiper si nous voulons exister. Chaque pays doit intégrer la pensée stratégique au cœur de son dispositif étatique. Il est enfin indispensable de nous orienter vers la mise en place d’une pensée stratégique régionale ou africaine

Nous sommes obligés d’anticiper si nous voulons nous muer de sujet à acteur ! Par le passé, la myopie a couté cher à l’Afrique. On pourrait citer par exemple l’installation de groupuscules terroristes au Mali dès à la fin des années 90 jusqu’à la déflagration de 2012, la question de la drogue et de l’absence de réaction de l’État à la dimension de la menace, les enjeux démographiques et leurs incidences multi dimensionnelles sur la santé, l’éducation, …ou encore tous les défis posés par la jeunesse des populations africaines. Nous sommes condamnés à intégrer les facteurs géostratégiques dans la conception de nos politiques car le contexte international l’exige. Pointent à l’horizon des menaces sérieuses contre le multilatéralisme, des Institutions internationales qui peinent face aux problèmes de la planète. Il faut noter la tendance actuelle des grandes puissances à se concentrer sur leurs espaces régionales et à privilégier des discussions « be to be » pour concocter des « deals » entre pays influents. Le repli des pays riches sur leurs urgences internes (sécurité, chômage, immigration…) aura ainsi des impacts sur la solidarité internationale, dans un contexte où l’intégration africaine est en panne. Les questions de sécurité évoluent dangereusement. On parlera de guerres asymétriques avec la multiplication de tous types d’armes utilisés, rendant plus aléatoires les modes de ripostes classiques. Les terroristes et groupes violents disposent de capacités de destructions massives, de moyens technologiques et biotechnologiques accrus. L’évolution des technologies présentera des risques multiples (physique, financiers, économiques, culturels voir éthiques). Le tandem démographie – urbanisation-conscientisation accrue des masses pèseront sur la démocratie et sa perception par les citoyens. Les questions climatiques, la raréfaction des ressources naturelles, des terres arables et de l’eau gêneront des conflits et des tensions. Le facteur religieux continuera d’alimenter des confrontations. L’industrialisation et l’essor des services auront un impact sur les matières premières et sur les pays qui en sont dépendants. Dans un cadre global ou les États paraitront faibles avec un leadership contesté, une société civile exigeante, une gouvernance publique moyenne, une corruption endémique en certains endroits et des injustices belligènes.

Ce tableau inquiétant est celui du monde futur et, en certains endroits, de la réalité vécue. Nous devons composer avec ces bouleversements et les anticiper en analysant les déterminants, donnera plus de chances à ceux qui feront ces efforts. L’Etat stratège est celui qui suivra ces questions de manière constante, s’organisera pour ce faire et mobilisera toutes les ressources disponibles dans cette optique.

Le leadership, comme partout, sera déterminant. Les questions stratégiques impliquent fortement les plus hautes autorités d’un pays qui doivent être convaincues de leur pertinence et impulser le mouvement pour les situer au cœur de l’action étatique. Le pays doit ainsi disposer d’une vision en matière de réflexion, d’analyse, de pensées sur les questions stratégiques ainsi que les inter relations entre leurs résultats et les politiques publiques mais également l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. Les questions stratégiques doivent être traitées avec la plus grande attention par les premiers responsables. Cette attention doit être régulière et permanente et dépasser les clivages partisans tout en survivant aux alternances.

La prégnance de la question stratégique doit s’illustrer également dans l’organisation et le fonctionnement des services publics avec une administration en charge de ces questions, située de manière transversale, auprès des plus hautes autorités, ayant l’autorité et les moyens nécessaires pour conduire des initiatives concrètes et porteuses dans le domaine visé. Cette administration doit disposer de ressources humaines de qualité et de relations avec les décideurs suffisamment claires et balisées pour que les produits de la réflexion puissent irriguer l’organisation et le fonctionnement étatique.

Les questions stratégiques ne doivent pas être l’apanage de la seule administration publique. Elles doivent mobiliser le secteur privé par la mise en place d’un véritable partenariat public – privé en matière de réflexions stratégiques. Il convient de multiplier et soutenir les structures de production intellectuelle : universités, structures de recherches, services de renseignement, structures de défenses, services diplomatiques. Dans le secteur privé, un exercice de constitution d’un écosystème de la réflexion et d’analyse des questions stratégiques doit être conduit à travers la fonctionnalisation de « think –  tank », cercles et clubs de réflexion, organisations socio professionnelles. Les grandes entreprises intéressées par les questions géostratégiques doivent être mises à contribution dans cette perspective. Il faut enfin penser une collaboration intelligente entre le public et le privé, avec la forte implication du service public commis pour ce faire.

A l’échelle régionale, voire africaine, il est urgent de travailler à développer une pensée stratégique commune. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’union fait la force. Les pays individuellement ne disposent pas forcement des ressources humaines, financières et organisationnelles suffisantes pour être efficaces dans ce domaine. Les réalités sont souvent similaires, les menaces également, ce qui laisserait supposer que les opportunités et les perspectives seront partagées. La pensée stratégique collective ouvre la voie à une vision commune de l’avenir et donc à une réponse coordonnée, faute d’être commune. Nous devons donc apprendre à collaborer et à surmonter les obstacles qui se présenteront face à ce chantier (concurrence voire adversité entre les pays, antagonismes potentiels entre certains intérêts nationaux et régionaux, querelles de leadership, etc).

La construction d’une pensée stratégique continentale devrait se baser sur la mise en place de capacités stratégiques régionales, suivant en cela les orientations de l’Union Africaine. En Afrique de l’Ouest, on pourrait développer une pensée régionale ou sous régionale (pays du Sahel, Côtiers…) en fonction des menaces et risques. Dans chaque zone, suivant le modèle présenté pour les pays, il faudra développer des écosystèmes nationaux comme embryon de dispositif régional ou continental.

La question géostratégique doit faire l’objet d’une prise de conscience par les Institutions régionales et continentale sur l’importance de cette fonction afin d’accompagner au mieux les dispositifs à mettre en place. En attendant cela, le secteur privé, les institutions universitaires et de recherche peuvent porter des initiatives et développer des axes de coopération, mettre en place des réseaux de «Think – tank» ou de structures publiques  du secteur, organiser des colloques et rencontres qui baliseront progressivement le chemin.

 

 

Moussa MARA

moussamara@moussamara.com

www.moussamara.com

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