Aujourd’hui à Bamako, les acteurs de la grande famille de l’assainissement sont devenus des ennemis jurés. Il s’agit de la société Ozone Mali et les Groupements d’Intérêt économique (GIE) qui, au lieu de conjuguer les efforts pour relever le défi de l’assainissement de la ville, se regardent comme chien et chat. A l’origine de cette crise de confiance entre les deux acteurs clés dans le domaine de l’assainissement dans la ville de Bamako, la mairie centrale et le Gouvernorat du District de Bamako sont mis sur le banc des accusés.
Selon les responsables des GIE maliens, la présence d’Ozone Mali n’est pas synonyme de l’échec de ces derniers dans l’assainissement de la ville de Bamako. Mais, à les en croire, il s’agit, simplement, d’un coup monté de toutes pièces par les autorités maliennes pour faire disparaitre les GIE.
Bamako, ville sale !
Selon le président du Collectif des Groupements intervenant dans l’Assainissement au Mali (COGIAM), Bamadou Sidibé, l’arrivée d’Ozone Mali faisait partie de ce plan des autorités maliennes qui a lamentablement échoué. A l’en croire, pour faire venir Ozone Mali, la Mairie du District a trompé les populations de Bamako en faisant passer les GIE comme seuls responsables de l’insalubrité de la ville. « Tous les acquis des GIE ont été cachés aux populations. Ce sont nos faiblesses qui ont été montré au grand public », regrette Bamadou Sidibé.
Selon lui, tout comme les GIE, la société Ozone est, aujourd’hui, confrontée aux mêmes problèmes que traînent les GIE depuis 1996. « Je ne peux pas comprendre que de l’indépendance à nos jours, Bamako ne dispose toujours pas de décharge finale opérationnelle. Même le site de Noumoubougou (commune rurale de Tienfala), sur lequel nos autorités se vantent aujourd’hui, n’est pas encore opérationnel», dénonce Bamadou Sidibé.
A l’en croire, l’absence de décharge finale a été un grand handicap à l’assainissement de la ville de Bamako. « Le manque de décharge finale n’a pas encouragé les mairies à l’installation des dépôts de transit au niveau des quartiers. Ces dépôts de transit, qui permettaient à nos agents de pré-collecte d’assurer au moins trois passages devant chaque concession dans la semaine, ont disparu, faute de points de décharge finale. Les populations des quartiers se sont très souvent rebellées contre ces dépôts de transit pour non respect de l’Etat du délai de 72 heures requis pour faire évacuer les ordures. Du coup, au lieu de faire quelques centaines de mètres pour atteindre les dépôts de transit, les GIE ont été contraints à parcourir des kilomètres pour décharger les ordures dans les champs lointains de la ville de Bamako. Ce qui a rendu difficile le maintien des trois passages des agents de pré-collecte déployés par les GIE. L’absence des dépôts de transit dans les quartiers a joué, négativement, sur le travail des GIE en détruisant les bonnes relations qui existaient entre les GIE et la population. A cause de l’absence de ces dépôts de transit, l’Etat malien a poussé les GIE à quitter leur mission de pré-collecteurs pour devenir des collecteurs dont les frais ne sont payés ni par la population, ni par les autorités communales», dénonce le président du COGIAM qui regrette le fait que toute la vérité ne soit pas dite à Ozone Mali sur les maux de l’assainissement de la ville de Bamako.
Au niveau de la Mairie du District de Bamako, les autorités sont aussi conscientes de l’urgence de l’installation des sites de décharge finale.
Selon le Directeur national de la Cellule technique d’Appui aux communes, Moussa Bocoum, la Mairie du District de Bamako a cherché en vain dans les communes voisines de la ville de Bamako des espaces pour réaliser des sites de décharge finale des ordures. « Et jusqu’ici, elle continue à chercher. Des dispositions sont en train d’être prises au niveau du ministère en charge de l’Assainissement pour trouver des sites de décharge qui seront construits par le département et mis à la disposition des mairies », rassure le Directeur national de la Cellule technique d’Appui aux communes.
Les raisons du divorce entre Ozone et les GIE
Dans sa tête, le président du COGIAM s’interroge jusqu’à ce jour sur le résultat de la présence d’Ozone Mali dans l’assainissement de la ville de Bamako. La preuve, selon lui, Bamako reste, toujours, sale malgré la présence de la société. « Ozone est le résultat d’une mauvaise lecture de la situation de l’assainissement de Bamako de la part des autorités maliennes. L’erreur des autorités maliennes a été de confier l’ensemble du processus d’assainissement de la ville de Bamako à Ozone à qui elles ont fait croire que toutes les conditions étaient réunies pour accomplir ses prestations. Mais, c’était faux. Dans les conditions actuelles, aucune entreprise même dite marocaine ne peut à elle seule assainir la ville de Bamako. Il faut, nécessairement, une synergie d’efforts entre les différents acteurs. Et l’erreur d’Ozone Mali a été de faire le jeu de l’Etat malien en engageant la guerre contre les GIE », explique Bamadou Sidibé.
Selon lui, l’échec d’Ozone Mali a été signé le jour où les autorités maliennes ont réussi à la mettre dos à dos avec les GIE maliens. « Elles ont mis Ozone et les patrons des GIE dos à dos en voulant faire disparaitre les GIE qui ont des années d’expériences sur le terrain à travers la pré-collecte des ordures. Leur plan était de faire disparaître les GIE et la société Ozone les a suivies aveuglement. Car, il nous a été soumis pour signature un contrat qui stipulait qu’Ozone allait recruter nos agents sans tenir en compte l’avis de nos entreprises. Dès lors, les GIE étaient appelés à disparaître. C’est ce que nous avons refusé. Mieux que ça, à l’époque, le Gouvernorat du District de Bamako avait adressé une lettre aux maires des six communes en leur demandant de résilier leurs contrats avec les GIE. Une lettre qui n’a pas reçu de suite favorable auprès des maires », se souvient Bamadou Sidibé.
Face à cette accusation, le Directeur de Cabinet du Gouvernorat du District, Abdrahamane Tangara nie en bloc l’existence de cette lettre. « Si cette lettre a existé, c’est peut être avant que je ne sois au Gouvernorat du District. Je ne l’ai jamais vue. Et je suis là depuis 2016. A ma connaissance, le Gouvernorat du District de Bamako n’a aucun rapport avec les GIE », se défend le Directeur de Cabinet du Gouvernorat du District.
Après la guerre, la paix ?
A en croire le président du COGIAM, d’autres tentatives de nuisance à l’encontre des GIE se sont, ensuite, enchainées après celles du Gouvernorat du District de Bamako. « Après le Gouverneur de Bamako, c’était le tour de la Mairie du District de Bamako de créer en son sein un service chargé de venir collecter l’argent des GIE à leurs places. Et une partie de cet argent devait servir à payer Ozone Mali. Et il était soutenu par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation de l’époque, Alassane Ag Mohamed Moussa, qui nous a même interpellés sur le sujet. C’est dire aussi que nos autorités ont fait venir la société Ozone Mali sans savoir comment elles vont la payer », regrette le président du collectif.
Toutefois, le collectif n’exclut pas une collaboration avec Ozone dans l’avenir mais à condition que la société accepte de passer par les maires des communes avec lesquels les GIE travaillent actuellement. « La société Ozone et les autorités maliennes ont déjà menacé de faire disparaître les GIE en détruisant la confiance entre elles et les promoteurs des GIE. Si nous continuons à exister à ce jour, c’est grâce aux maires des six communes de Bamako. Et nous n’allons pas les sauter pour aller signer un contrat avec qui que ce soit », Bamadou Sidibé.
Selon le Directeur national de la Cellule technique d’Appui aux communes, un projet de relecture de la convention entre Ozone et les GIE est en cours pour désamorcer le climat de méfiance qui s’est installé entre les acteurs depuis l’arrivée d’Ozone Mali. A l’en croire, cette relecture de la convention facilitera la collaboration entre les deux acteurs « ennemis » pour une meilleure gestion des ordures ménagères dans le District de Bamako.
Pour rendre à Bamako sa propreté, le président du COGIAM propose la mise en place des stratégies capables de faire des déchets des sources de revenus. « Il faut valoriser les déchets et sortir du vieux système consistant à financer l’assainissement par des projets et des programmes. Parce que les projets et les programmes ont un début et une fin. Il faut que le secteur de l’assainissement arrive à s’autofinancer. Cela est possible avec une bonne politique de recyclage. Il est temps de sortir de l’assainissement événementiel », propose Bamadou Sidibé.
Youssouf Z KEITA
INFO SOIR