Rebondissement dans le dossier judiciaire concernant Bakary Togola. En effet, suite à son acquittement en même temps que quatre co-accusés par la Cour d’assises, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux, a saisi l’Inspecteur en chef des services judiciaires pour l’ouverture d’une enquête administrative. La saisine de l’Inspection par le Ministre pouvait, certes, être considérée comme un simple acte de routine, si la lettre y afférente ne contenait pas des allégations graves pouvant déjà semer le doute sur la crédibilité de ce procès et sur la moralité de membres de la Cour. En plus, si l’on sait que le ministre de la Justice est celui-là même qui avait procédé à la mise en accusation de Bakary Togola, en tant que Procureur du Pôle économique et financier en son temps, donc un fin connaisseur du contenu du dossier, cette saisine de l’Inspection des services judiciaires prend une tournure spéciale, disons a une autre connotation.
Voir le ministère public s’opposer à une décision rendue lors d’un jugement, cela rentre dans l’ordre normal du fonctionnement de la Justice et peut être considéré comme un fait banal, surtout si l’on sait que le Parquet nous a habitués à faire appel de décisions relatives à des dossiers qui ont fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers temps. Cela n’étonne donc personne d’apprendre que le Parquet en fait autant de la décision d’acquittement de Bakary Togola et quatre de ses co-accusés.
Cependant, le premier fait troublant concernant cette affaire, c’est la lettre par laquelle le ministre de la Justice saisit l’Inspecteur en chef des services judiciaires pour demander l’ouverture d’une enquête administrative sur le déroulement de ce procès et plus précisément “sur des dysfonctionnement graves mettant en cause le comportement de certains membres composant la Cour” dixit la correspondance du Ministre.
Malgré son caractère confidentiel, cette lettre a amplement circulé sur les réseaux sociaux, comme une vulgaire information destinée au grand public. De ceci, il y a donc lieu de se poser la question : qui a donc intérêt à rendre publique une lettre confidentielle avec une teneur aussi sensible, parce que d’une part elle jette le discrédit sur la justice avec l’évocation de faits y concourant et d’autre part informant publiquement d’un désaccord entre le ministre de la Justice avec des magistrats ? Il semble bien que le ver soit dans le fruit et voilà aussi qui nécessite l’ouverture d’une enquête, comme on aurait procédé pour d’autres publications sur les réseaux sociaux, d’autant que la fuite de cette lettre recèle bien un flagrant délit de violation de secret professionnel. Mais en filigrane, la saine de l’Inspecteur en chef des services judiciaires, en des termes aussi crus et accusateurs, ne peut laisser la presse sérieuse indifférente dans la mesure où, une fois mise à la disposition du public, la lettre du Ministre prend le peuple malien à témoin sur des disfonctionnements d’un procès très suivi, aussi bien au plan national que celui international.
Evidemment, à la lecture du contenu de cette lettre, la réflexion amène à rappeler que l’actuel ministre de la Justice, Mamadou Kassogué, est celui-là même qui avait mis en accusation Bakary Togola, avant de le placer sous mandat de dépôt. Il était chargé du dossier en tant que Procureur du Pôle économique et financier de Bamako. Pour rappeler que nul ne connaît mieux que lui le contenu de ce dossier afin d’apprécier si oui ou non des preuves existent quant aux faits incriminés. Et naturellement, le fait que Bakary Togola soit innocenté, faute de preuves dit la Cour d’assises, revient à faire penser que c’est donc à tort qu’il a été privé de sa liberté durant dix-neuf (19) mois de détention.
Kassogué aurait-il faut emprisonner Bakary Togola sans aucune preuve des accusations ?
Les esprits simplistes qui personnalisent le Parquet désignent donc du doigt l’actuel ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceau, Mamadou Kassogué, comme celui qui aurait donc fait emprisonner Bakary Togola pendant tout ce temps-là, sans aucune preuve de présomption de culpabilité. Non seulement cela marque les esprits parce que contraire à la notoriété de rigueur du magistrat Kassogué, mais cela va être gravé dans l’histoire pour porter un coup dur à l’honneur du magistrat émérite qu’il est. Il y a donc bien lieu de réagir.
C’est pourquoi, la saisine de l’Inspecteur en chef des services judiciaires pour une enquête administrative sur des faits relatifs à ce procès Bakary Togola et consorts a une autre connotation : sauver l’honneur du magistrat Mamadou Kassogué dont l’image d’icône de la lutte anti-corruption pourrait être écorchée par le verdict de ce procès. En effet, on ne peut s’empêcher de dire : “Alors, tout ce ramdam autour de ce dossier pour tout simplement cela ! “.
De cette enquête dépend une partie de l’avenir de la justice
Avec ce dossier, la justice est en mauvaise passe et joue sa crédibilité car au ton quasi inquisiteur de la lettre de saisine de l’Inspection des services judiciaires, les citoyens retiennent leur souffle et attendent la suite de l’enquête demandée. De cette enquête dépend en grande partie le futur de la Justice, en termes de crédibilité, voire de sincérité des décisions rendues. Surtout si l’on sait que, de la même manière que la lettre du Ministre a été fuitée (maladroitement ou à dessein) les faits troublants relatés y annexés, bien que mis pour le moment sous le sceau de la discrétion, pourraient un jour sortir et Dieu seul sait ce que cela pourrait engendrer comme conséquences, eu égard aux conclusions de l’enquête administrative.
Comme pour dire que le renouveau de la justice tant attendu doit passer par les conclusions de cette enquête qui fera date dans l’histoire de la Justice malienne, laquelle a aussi besoin de ce genre d’épreuves pour procéder à une sérieuse introspection.
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui-Mali