La flambée du prix des engrais porte un coup dur à la production agricole en Afrique. D’un pays africain à un autre, la situation est d’une gravité extrême avec une hausse des prix comprise entre 50% à 100%, l’engrais est devenu inaccessible.
En conséquence, certains producteurs ont réduit drastiquement leur surface cultivée, d’autres se sont livrés à une reconversion de cultures en choisissant beaucoup plus les cultures moins exigeantes en engrais.
Les prévisionnistes alertent sur une diminution de céréales surtout le maïs sur les différents marchés. Il urge la prise de mesures pour remédier à la situation.
Lors d’un webinaire international organisé par AGRIDIGITALE en collaboration avec le Réseau des Journaliste Agricole de la CEDEAO autour du thème : « Agriculture en Afrique et flambée du prix des engrais : Enjeux et perspectives », un état des lieux assorti de propositions pertinentes a été dressé.
Selon les analyses de marché du Centre international de développement des engrais (IFDC), il va sûrement manquer pour cette année entre 10 à 15 millions de tonnes de céréales, ce qui entraînera une importation massive du riz et tout ce qui est consommé de l’extérieur par les pays africains.
« En tant qu’analyste des marchés, on a alerté les Etats depuis 2020 sur l’évolution des prix des engrais. Ce qui a fait qu’en 2021, beaucoup de pays n’ont pas pu importer les quantités suffisantes parce que les prix étaient très élevés, mais là encore en cette année 2022, on a des problèmes de disponibilité parce que la crise en Ukraine est venue aggraver la situation », décrit Samuel Goulivas, analyste marché des engrais (IFDC).
Selon lui, la production agricole pour cette année est très fragilisée face à l’accès aux engrais très réduit et les cultures vivrières sont les premières cultures à être touchées.
L’analyste alerte que les prix des engrais jusqu’à la prochaine campagne agricole en 2023 seront soit maintenus au niveau actuel, soit, connaîtront encore une légère hausse l’année prochaine.
Synergie africaine
Pour Abdou Hadji Badji, Secrétaire général de la Fédération des organisations non gouvernementales (FONGS/action paysanne) du Sénégal, il faut une organisation forte des producteurs de l’Afrique, une meilleure gestion de la part des gouvernants et surtout repenser autrement à la recherche et l’appui conseil au niveau des différents pays.
« L’Afrique dispose des terres, des femmes et des jeunes dévoués à travailler et c’est inacceptable qu’on soit sous le choc de tout ce qui se passe », interpelle M. Badji.
« Il faut à partir de ce qui se passe, se préparer à plusieurs scénarios possibles. Personne ne peut prédire c’est quand la fin de cette guerre et quelle autre crise nous fera encore face après. Les perspectives de 2023 sont encore floues pour le monde agricole. Il faut faciliter l’intégration des résultats de recherche pour assurer les prochaines années », propose Béchir Ben Brika, grand acteur du monde agricole en Tunisie
Valoriser l’utilisation des engrais organiques
Selon certains panélistes, il faudrait redéfinir des stratégies pour la promotion de la transition agroécologique où les producteurs seront amenés à une gestion intégrée de la fertilité des sols.
« C’est très nécessaire pour qu’ils commencent par s’habituer peu à peu pour qu’au fil des années, on puisse produire les engrais organiques et remplacer progressivement l’utilisation abusive des engrais chimiques dont nous sommes aujourd’hui victimes », soulignent-ils.
« Il faut que l’agriculteur lui-même arrive à produire son propre engrais organique et nous devons leur donner cette connaissance pour que tant de fois qu’il a besoin de produire, il puisse lui-même maîtriser sa chaîne de valeur. Si on arrive nous même à produire nos engrais à partir de ce qu’on a, ça nous permettra d’éviter tant soit peu de subir tous ces coups extérieurs », préconise Pascaline Yao, agroécologiste et productrice d’engrais organique en Côte d’Ivoire.
Les panélistes notent qu’aujourd’hui quoi qu’on dise, la sécurité alimentaire en Afrique est menacée. Tous les pays africains ont presque le même tableau en termes de problèmes de production agricole fortement dépendant de l’extérieur. Qu’est-ce qu’il faut faire pour résoudre le problème ?
Pourquoi les pays africains ne peuvent pas saisir l’occasion pour réfléchir ensemble et conjuguer les efforts afin d’avoir des industries (deux ou trois) sur le continent qui fabriquent des engrais et le rendre disponible aux producteurs pour être moins dépendant de l’extérieur ?
« Nous avons un continent avec un sous-sol riche, nous avons les capacités de produire de l’engrais avec la matière première disponible. La question est pourquoi ne pas se mettre ensemble, voir les ressources que chaque pays a et voir ce que chaque pays peut produire pour pallier ce problème. Et comme ça si demain une situation se crée encore quelque part, que cela n’impacte plus nous les pays africains », lance Ayéfoumi Olou-Adara, président de la coordination Togolaise des organisations paysannes (CTOP).
Mais l’idéal pour lui, c’est de commencer dès maintenant par valoriser l’utilisation de l’engrais organique parce que c’est un idéal en termes d’agriculture durable. L’utilisation des intrants organiques favorise la préservation des sols et ça permet de gérer durablement le sol et sa fertilité.
Une vision sur le long terme
En conclusion, les panélistes recommandent aux différents pays africains de réfléchir sur des stratégies pour trouver des solutions structurelles plutôt que conjoncturelles à la situation de l’heure qui prévaut dans le secteur de l’engrais.
« Il faut trouver des solutions d’ensemble, répertorier des sources d’approvisionnement en engrais dans les différents pays pour voir comment produire dans le continent africain », pensent-ils.
Selon eux, l’Afrique doit dès à présent réfléchir pour avoir une solution régionale à cette crise car il est temps de sortir des discours pour aller à la mise en place des textes afin de trouver des solutions d’ensemble.
« Il faut encourager l’utilisation de la microdose. Nous suggérons l’association de l’engrais minéral à l’engrais organique dans la fertilisation des cultures. Nous pensons que ces deux engrais font une synergie pour améliorer nos rendements », insiste Samuel Goulivas, analyste marché des engrais à l’IFDC.
Source : Agridigitale.net