Un mélange de sentiments souffle le chaud et le froid sur les centaines de volontaires tchétchènes du bataillon Djokhar-Doudaïev qui combattent l’invasion russe au côté de l’armée ukrainienne. Cela s’est traduit par une victoire, si importante à leurs yeux, lorsque la Rada d’Ukraine (le Parlement) a reconnu, le 18 octobre, l’indépendance de la république tchétchène d’Itchkérie « temporairement occupée par la Russie ». L’Ukraine est le premier pays à faire cette démarche diplomatique en réponse à l’annexion illégale de plusieurs de ses propres régions par Moscou.
Tous, ici, sont des indépendantistes opposés à l’occupation russe et au dictateur tchétchène Ramzan Kadyrov, installé par Moscou en 2007 pour diriger cette république musulmane. Plusieurs unités tchétchènes – les « Kadyrovtsy », les loyalistes du régime de Ramzan Kadyrov – combattent en Ukraine sous les ordres de Moscou, au sein de la Garde russe. Les jours suivant la reconnaissance ukrainienne de l’Itchkérie – nom donné à la Tchétchénie indépendantiste entre 1991 et 2000 –, les combattants pro-Kiev ont été ramenés à la dure réalité de la guerre : leur bataillon, qui porte le nom du premier président indépendantiste, un ancien général soviétique tué par un missile russe en 1996, a été déployé, samedi 22 octobre, dans les environs de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, où se déroulent depuis le mois de juillet des combats de très forte intensité. L’ennemi, l’armée russe, y a déployé une large gamme de son arsenal (avions et hélicoptères de combat, artillerie, blindés et infanterie) dans le but de prendre la ville de 20 000 habitants qui bloque sa progression dans la région de Donetsk.
Peu de temps avant le déploiement du bataillon tchétchène, qui n’est plus autorisé à communiquer depuis, Le Monde a pu s’entretenir avec plusieurs de ses membres lors d’un entraînement tactique dans la région de Kiev.
« Nous sommes chargés des deux types d’opérations les plus risquées : la reconnaissance et l’assaut », explique Mago – nom de guerre de l’un des commandants du bataillon, une carrure imposante surmontée d’une large tête ronde à l’expression débonnaire. « Je préfère ne pas révéler mon vrai nom, car des membres de ma famille vivent toujours en Tchétchénie et Kadyrov n’hésitera pas à se venger sur eux. La mère de l’un de nos commandants a récemment été arrêtée après qu’il a dévoilé son identité », poursuit le combattant, en tenue de combat.
« La Russie est la prison des peuples »
Derrière lui, une quinzaine de véhicules, principalement des 4 × 4 repeints de couleur kaki, sont garés au fond d’un repli de terrain. Sous un beau ciel bleu, une cinquantaine d’hommes s’affaire à extraire des coffres leurs armes et munitions, à revêtir leur tenue de combat, à comparer leurs équipements. Entre eux, ils conversent en russe ou en nokhchi, la langue du peuple tchétchène.