Dans un contexte de vives tensions entre Paris et Bamako, les Maliens installés en France interrogés par France 24 se sentent dépassés par l’ampleur de la crise diplomatique. Une tension qui pèse au quotidien sur leurs échanges avec leur pays d’origine.
Conséquence de la crise diplomatique entre la France et le Mali, plus aucun vol direct ne relie Paris à Bamako depuis le 10 janvier, date à laquelle la compagnie Air France a décidé de suspendre ses liaisons aériennes en application de l’embargo décrété par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre le Mali. Résultat, “on met plus de dix heures pour rejoindre Bamako, en faisant le tour du monde”, ironise Demba Diabira, le président du Haut conseil des Maliens de France (HCMF). “On ne s’y attendait pas”, explique-t-il. De nombreux Maliens passent désormais par l’aéroport d’Istanbul, en Turquie, ou d’Addis Abeba, en Éthiopie, pour regagner leur pays. “C’est contraignant voire impossible pour des personnes âgées”, regrette Demba Diabira.
“Cette décision nous a pris de court”, abonde Salif Dembele, 28 ans, étudiant en sciences politiques à l’université Paris 8 depuis 2017 et membre de l’Association des étudiants maliens d’Île-de-France. Son grand oncle, de passage en France pour raisons médicales, est resté bloqué ici, après l’annulation de son vol pour Bamako. “L’agence de voyage dit que cela va prendre plusieurs semaines pour rembourser le billet. Il n’a pas les moyens de sortir 600 euros de sa poche du jour au lendemain, alors on s’est tous cotisés pour lui payer son trajet retour par l’Éthiopie. Mais ça nous a coûté cher.” À l’inverse, d’autres Maliens résidant en France sont bloqués au Mali et peinent à rentrer pour reprendre leur travail, relate Demba Diabira.
Impact sur les transferts de fonds
“Ça n’a l’air de rien mais ça pénalise des familles entières”, fait remarquer le représentant du HCMF, qui regroupe près de 800 associations maliennes de France. Moins de voyageurs vers le Mali, c’est aussi moins de fonds et de cadeaux acheminés par la diaspora pour les familles au pays. “Il y a des régions où nous n’avons pas d’autre choix que de passer par un voyageur de confiance pour envoyer de l’argent en zone rurale, dans des localités où il n’y a pas de bureau permettant de recevoir des transferts d’argent Western Union”, souligne-t-il. Au Mali, l’argent envoyé par la diaspora représente officiellement plus de 5 % du PIB, sans compter les transferts d’argent clandestins, notamment par l’intermédiaire de voyageurs.
Ibrahim*, patron d’un bureau de transfert à Montreuil en banlieue parisienne, a vu de plus en plus de Maliens franchir la porte de son agence pour envoyer des fonds par Western Union vers le Mali. “Se replier sur les transferts quand ça n’est pas dans les habitudes, ça demande toute une organisation, commente Demba Diabira. Car il faut encore trouver quelqu’un de confiance à Bamako qui puisse effectuer l’aller-retour vers le village.”
Des colis bloqués à Dakar
La crise diplomatique et les sanctions adoptées par la Cédéao ont aussi un impact sur l’entrée des marchandises dans le pays.
L’effet se fait sentir jusqu’à la petite boutique de Montreuil, où Ibrahim est désolé d’annoncer à des clients que leurs bidons sont coincés à Dakar. “Seuls les colis alimentaires et de médicaments passent, mais pour les autres affaires personnelles, pour le moment, c’est coincé. Nous attendons que la situation évolue mais si ça ne change pas, je vais devoir envisager de passer par la Guinée [seul pays de l’organisation sous-régionale à avoir laissé sa frontière ouverte, NDLR].”
“Ça va donner raison aux détracteurs de la France”
Français et Malien, Ibrahim espère un apaisement entre ses deux pays d’attache, tout en regrettant les propos des autorités françaises qu’il juge “hautains” envers le nouveau pouvoir malien. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ainsi fustigé le 27 janvier une junte malienne “illégitime” et prenant des “mesures irresponsables”, après que les autorités de Bamako ont poussé le Danemark à retirer son contingent de forces spéciales.
Désormais, la France ne relâche plus la pression sur la junte malienne. Ibrahim craint que cela n’alimente un peu plus le sentiment antifrançais qu’il ressent au sein de la population malienne.
“Que le Mali et la France puissent continuer à travailler ensemble, c’est un souhait”, estime de son côté Mamoudou Alpha Diallo, président de l’Association des étudiants maliens d’Île-de-France, “mais dans une logique d’égal à égal”, ajoute le jeune homme, qui invite à “ne pas nier l’assise populaire de la junte”.
Pour Demba Diabira, Paris est allé trop loin en annonçant que la compagnie Air France suspendait ses liaisons. “L’État français devrait gérer ça sans prendre les Maliens en otage, car ça va donner raison aux détracteurs de la France. Ce sont des mesures impopulaires. Les gens ne comprennent pas pourquoi ils sont ciblés.”
Et le représentant des associations de diaspora malienne de craindre une surenchère de diatribes politiques visant le Mali à quelques semaines de l’élection présidentielle française. “Les propos de certains candidats ont été inutiles et pas de nature à apaiser les tensions”, regrette-t-il. “Nous sommes des pays liés par l’Histoire et nous ne devons pas sacrifier ce lien-là à un gouvernement ou une élection. Les gouvernements passent mais les États et les peuples restent.”