Tombée dans l’oubliette, la ville de Koulikoro essaie de rattraper son retard de développement. C’est du moins le rêve d’Eli Diarra, le maire de la ville qui compte des centaines de bâtiments anciens, héritage d’un âge d’or industriel où entrepôts et magasins fleurissaient grâce au chemin de fer Dakar-Niger. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Eli évoque son plan de récupération de ce patrimoine à la fois colonial et malien. Il travaille à faire de Koulikoro au moins une sorte de station balnéaire près de Bamako et que le train (à défaut d’un tramway) y siffle à nouveau. Un appel à l’Etat malien!
Le Républicain: L’on sait que Koulikoro est une ancienne ville industrielle. Quels sont ses atouts pour les investisseurs ?
Eli Diarra : Comme vous le savez, Koulikoro a été une ville pourvoyeuse d’emplois avant l’indépendance, depuis la période coloniale. Le train de la compagnie Dakar-Niger s’arrêtait à Koulikoro. Il y a eu ainsi la Société d’exploitation des produits oléagineux du Mali (SEPOM) qui est devenue HUICOMA, ensuite il y a eu la COMANAV(Compagnie malienne de navigation) ; il y avait une usine pour le riz à Tiénfala. La ville avait une position stratégique : les matières premières (surtout les arachides) y étaient amenées par train ; après leur transformation, les produits étaient acheminés par bateau au nord du pays et par route vers d’autres destinations. Nous comptons toujours sur ces atouts-là même s’il n’y a plus de train, surtout avec la rénovation de la route qui nous lie à Bamako et le pond de Kayo qui va nous rapprocher de Segou par voie terrestre. Koulikoro a toujours sa position stratégique et c’est pour cela que nous sommes en train d’aménager notre zone industrielle de 45 hectares. Cependant, nous comptons toujours sur le train qui peut surtout être utile pour le transport du sable fluvial utilisé pour la construction des maisons à Bamako. Ce transport du sable par train pourrait donner une longue vie à la route goudronnée. Sans train, il est difficile de développer un pays, le train doit revenir à Koulikoro. C’est d’ailleurs pourquoi au niveau de la commune urbaine de Koulikoro, nous n’avons pas touché à l’emprise des rails parce que nous espérons que ça va aller. On peut à défaut mettre une ligne de tramways entre Bamako et Koulikoro pour le transport des passagers. C’est pour cela que je lance un appel à l’Etat. Un Etat peut tout faire s’il y a la volonté.
Le Républicain : Quelles sont vos ambitions pour l’HUICOMA ?
Eli Diarra : C’est le redémarrage de l’HUICOMA! Les 80% de la population de Koulikoro sont venues à cause de l’HUICOMA ; il y avait plus de 1000 emplois directs et des milliers de personnes qui vivaient indirectement de cette usine. La vente de l’HUICOMA a été une erreur de l’Etat malien, il aurait dû penser à cette vocation de rassemblement de population plutôt qu’au rendement de l’usine. La vente amené le chômage, elle a joué sur l’économie locale et les recettes de la municipalité. Finalement la ville s’est dépeuplée. Il faut maintenant une volonté politique pour redémarrer l’HUICOMA : l’usine est là, les installations sont disponibles. Je demande particulièrement aux plus hautes autorités de redémarrer l’HUICOMA , c’est possible parce que les matières premières sont également là. Le Mali est premier producteur de coton en Afrique, mais ce n’est pas normal que nous ne puissions pas transformer une bonne partie de cette matière première chez nous. Nous ne devons pas nous contenter de la transformation artisanale des graines de coton par les petites unités familiales qui produisent de l’huile pour la consommation et des aliments pour le bétail. C’est possible de relancer l’usine et l’Etat doit prendre ses responsabilités.
Le Républicain : Quels sont les grands chantiers sur lesquels vous avez travaillé depuis votre arrivée à la tête de la mairie?
Eli Diarra: Il fallait d’abord mettre de l’ordre, mettre les travailleurs dans les conditions, réadapter notre PDSEC, donner confiance à la population en revenant aux premières missions de la municipalité : l’assainissement du cadre de vie. Nous avons associé la population à la gestion des affaires de la cité, nous avons construits de nouveaux bâtiments, nous avons mis en place la brigade d’hygiène pour le ramassage quotidien des ordures, nous avons aménagé un dépôt final , ensuite les dépôts de transit. Nous avons organisé les associations féminines pour nettoyer les goudrons. Nous avons construit un dispensaire à Kayo avec l’appui du président d l’Assemblée nationale Issaka Sidibé nos partenaires de l’ONG Alfarouk ; il y a eu des distributions d’appareils d’écographie ; la construction des salles de classes ; la rénovation d’un jardin d’enfant…Quand je venais à la mairie, il n’y avait dans d’eau dans la cour, l’électricité était coupée. Nous avons rétabli tout cela en plus d’autres travaux. Il faut surtout noter la ponctualité du personnel. Avant, à midi on ne trouvait personne dans la cour, maintenant il y a du monde à tout moment. Nous avons vendu l’ancien centre d’Etat civil et construit un nouveau sur fonds propres, nous avons aussi amélioré les recettes, etc.
Le Républicain : Quels sont vos projets ?
Eli Diarra : Nous sommes en train de mettre l’accent sur l’urbanisation, nous voulons que la ville soit lotie car il y a des quartiers qui ne le sont pas. Nous allons réviser notre schéma d’aménagement qui date de 2004. Il y a beaucoup d’espace. Koulikoro est une ancienne ville industrielle sur 14 km ; il y avait beaucoup d’étrangers : des Européens, des Libanais et des gens de plusieurs pays africains. A l’époque coloniale, toutes les sociétés qui étaient à Dakar avaient leurs entrepôts à Koulikoro, mais tous ces gens sont partis en laissant leurs bureaux derrière eux. Nous sommes en train de voir avec l’Etat comment la ville peut exploiter ce patrimoine. Notre souhait est que ces bâtiments puissent servir dans le cadre de l’hôtellerie et de la restauration. Les investisseurs pourraient être intéressés avec le rapprochement de la ville à Bamako à travers la route.
Le Républicain : Quelles sont vos difficultés ?
Eli Diarra: Les difficultés, c’est le paiement des taxes. Il faut que la population accepte de payer les taxes. Il faut que l’Etat aussi appuie les maires ; nous sommes les premiers à prendre la parole lors des cérémonies et nous nous déplaçons beaucoup, mais nous n’avons pas d’aide. Les gouverneurs et les préfets sont dotés d’engins roulants par l’Etat, par contre les maires qui sont les premiers responsables de leurs lieux n’en ont pas ; ils ne sont même pas payés, ils n’ont que des indemnités d’un peu plus de 40 000 FCFA. L’Etat doit donc nous aider, surtout les maires ruraux. En plus du transfert des ressources, il faut aussi transférer les compétences, les ressources humaines.
Propos recueillis par Soumaila T. Diarra
Source: Le Républicain