À moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle malienne, le bilan d’Ibrahim Boubacar Keïta est au centre de toutes les attentions. De l’aveu général, le président sortant serait loin d’avoir tenu ses promesses de réconciliation avec le nord du Mali et d’éradication de la corruption.
« Une fois élu, corruption : tolérance zéro. Nul ne sera au-dessus de la loi ». Prononcée lors de la dernière campagne présidentielle de 2013, cette déclaration d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) joue aujourd’hui en sa défaveur à l’approche du scrutin du 29 juillet 2018, qui devrait désigner les deux candidats restant en lice pour le palais de Koulouba. Car depuis son élection à la tête du Mali, IBK fait face à une pluie d’accusations de détournement de l’argent public, qui entachent aujourd’hui son bilan quinquennal. Lors d’une rencontre avec les membres de la Convention de la majorité présidentielle (CMP), des témoins auraient ainsi entendu le président sortant déclarer avoir « transformé le pays en bon plat dont chacun d’eux avait à manger ‘‘à satiété’’ sans penser à la vaisselle », comme le rapporte Seydou Konaté sur le site Maliactu.net. Et pour cause, en cinq ans de mandat, le chef de l’État malien a été mis en cause dans moultes affaires de sommes d’argent dilapidées ou disparues, de surfacturations de marchés publics et autres conflits d’intérêts.
Dès 2014, le Fonds monétaire international (FMI) a demandé des comptes à l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances, Bouaré Fily Sissoko, suite à l’achat d’un avion présidentiel à 30 millions d’euros et la signature d’un contrat d’équipements passé par le ministère de la Défense pour un montant de 105 millions d’euros. Ils n’avaient, en effet, pas fait l’objet d’appels d’offres. Soupçonnant un délit de surfacturation, l’institution internationale a suspendu le versement de l’aide financière au Mali pendant plusieurs mois. Parmi les autres scandales de dépense publique suspecte qui ont marqué le quinquennat d’IBK – tels que l’achat d’engrais frelatés, de tracteurs au prix exorbitant ou l’attribution de logements à des personnes non-éligibles –, plusieurs anciens et actuels membres du gouvernement – dont le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga – doivent encore répondre à la disparition de 153 milliards de FCFA (230 millions d’euros) du budget de l’État entre 2013 et 2014, ainsi qu’à la dilapidation de plus de 28 milliards de FCFA (40 millions d’euros) dans l’achat d’un aéronef et d’équipements militaires. Une plainte a été déposée ce 18 mai par le BIPREM (Bloc d’intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali).
Échec de la lutte anti-djihadiste malgré les milliards dépensés pour l’armée
« Le gouvernement [a été] obligé de se séparer de ses ministres, […] mais il n’y a pas eu de sanction puisque tous ceux-ci ont été rétablis dans leurs fonctions, déplore Soumaïla Cissé au micro de Radio France Internationale (RFI), président de l’URD (Union pour la république et la démocratie) et candidat désigné par la principale coalition d’opposition à l’élection présidentielle. Certains se sont retrouvés à des postes encore plus prestigieux, deux se sont retrouvés à l’international. En fin de compte, on les a fait sortir par une porte et ils sont rentrés par une autre porte. » Le finaliste malheureux des suffrages de 2002 et 2013, qui a réuni entre 80 000 et 100 000 personnes lors d’un récent meeting électoral le 12 mai, n’est pas le seul à dénoncer les largesses financières d’IBK au détriment de son peuple. Comme lui, l’autre opposant malien Tiébilé Dramé accuse le chef de l’État d’avoir dilapidé les ressources budgétaires publiques dans des achats de matériels pour l’armée, qui n’ont cependant pas permis de diminuer les violences djihadistes dans le nord du pays.
« D’importants moyens auraient été acquis pour mettre nos forces en état d’accomplir leur mission. […] Malheureusement pour les Maliens, plus le président et ses ministres parlent de nouvelles acquisitions de moyens de défense, plus l’insécurité augmente, souligne l’ancien ministre et actuel président de PARENA (Parti pour la renaissance nationale), qui fait état de plus de 700 victimes en 2017, dont 245 militaires maliens. [Les Maliens] ont le droit de s’interroger sur la vraie destination des centaines de milliards votés par l’Assemblée nationale pour mettre l’armée dans les conditions [de faire face à la menace djihadiste] », a-t-il ajouté, en référence aux 1 230 milliards de FCFA (1,875 milliard d’euros) alloués par la loi quinquennale de programmation militaire adoptée en 2015. Et Tiébilé Cissé de rappeler d’autres achats douteux de l’État malien : celui de six avions de combat à une entreprise brésilienne, qui n’en aurait livré que quatre ; et de deux hélicoptères, dont un payé en espèces… « [Le président] n’a pris aucune sanction administrative contre ceux qui se sont livrés à ces détournements. Il n’a ni publié lesdits rapports, ni saisi la justice », conclut-il, amer. Des accusations d’autant plus crédibles qu’IBK entretient depuis longtemps des liens très proches avec le troublant homme d’affaires français Michel Tomi, qualifié d’ « empereur de la Françafrique » par le journaliste d’Europe 1 Frédéric Ploquin. Celui que « les plus hautes autorités de l’État » appellent « patron », et qui fait l’objet de plusieurs enquêtes policières, aurait joué le rôle d’intermédiaire dans plusieurs contrats passés avec le Mali. Les rapports « fraternel » d’IBK avec Michel Tomi ajoutent encore davantage à l’opacité de l’action du président malien, alors que ses administrés continuent de craindre pour leur sécurité, faute d’avoir réussi à rétablir totalement le contrôle du territoire. Malgré l’intervention de la France en janvier 2013 et la signature d’un accord de paix en juin 2015, des zones entières sont encore sous le joug des terroristes dans le nord du pays.
Source: alwihdainfo