Les différents acteurs de la télévision payante en Afrique subsaharienne francophone se partagent plusieurs millions d’abonnés. Qui sont-ils ? Quel est leur parcours ? Retour sur l’histoire controversée de l’industrie de la Pay-TV dans cette partie du monde. Début des années 1990. Le ciel d’Afrique subsaharienne francophone est presque vide. En tout cas, vide de chaînes de télévision, de radios, de satellites. Au sol, quelques rares chaînes nationales vivotent huit heures par jour, mais presque aucune ne couvre l’entièreté des territoires des États.
Début des années 1990. Le ciel d’Afrique subsaharienne francophone est presque vide. En tout cas, vide de chaînes de télévision, de radios, de satellites. Au sol, quelques rares chaînes nationales vivotent huit heures par jour, mais presque aucune ne couvre l’entièreté des territoires des États.
Plus loin, beaucoup plus loin, dans un bureau parisien, une poignée d’hommes importants se réunissent un soir d’hiver et décident de participer à la création d’une chaîne de télévision en Afrique. C’est dans ce contexte que quelques mois plus tard, en 1991 à Paris, l’État et le groupe Canal+ inaugurent ensemble la première chaîne de télévision payante pour l’Afrique subsaharienne francophone, Canal+ Horizons.
La période cool (1990-2000)
Avec un abonnement annuel probablement le plus cher du monde, Canal+ Horizons se montrait peu souple à l’endroit de ses abonnés Dirigée par Serge Adda sous la Présidence de Catherine Tasca,Canal+ Horizons était détenue à 80 % par le Groupe Canal+,le solde étant partagé entre la structure d’État SOFIRAD et autres associés financiers minoritaires. En sus de la diffusion satellitaire, la chaîne démarra des diffusions terrestres, au Sénégal en 1991, puis en Côte d’Ivoire en 1994. Pâle copie de sa grande sœur française, la chaîne rencontra un succès mitigé en Afrique subsaharienne francophone les premières années de son lancement.
Elle stagna longtemps à moins de dix mille abonnés sur l’ensemble de la zone couverte. Commercialisée à un prix très élevé, elle n’était accessible qu’aux seules élites africaines et autres expatriés fortunés. Pour la capter en Bande C, il fallait s’équiper d’un décodeur analogique et d’une antenne de 3,70 mètres. L’importation de ces équipements en Afrique revenait à plus de dix millions de francs CFA, juste après la dévaluation de la monnaie (1994). Avec un abonnement annuel probablement le plus cher du monde, Canal+ Horizons se montrait peu souple à l’endroit de ses abonnés d’Afrique subsaharienne. Il fallait d’abord payer au moins six mois d’abonnement en avance. Ensuite, sur le formulaire d’abonnement, le téléspectateur devait inscrire son statut mais aussi les contacts de son employeur, l’adresse de sa résidence secondaire, le numéro de son passeport…
À partir de 1997, les choses changent. L’arrivée, sur les satellites, de TV5 Afrique et d’autres chaînes gratuites a bouleversé encore un peu plus le ciel d’Afrique. Dans le cadre d’un programme de coopération multilatérale avec le Canada et la France, et sous la bannière de la francophonie, on propose aux États africains de désigner un ou plusieurs opérateurs économiques locaux, de préférence installateurs d’antennes paraboliques. C’est ainsi que, dès 1998, on installe, un peu partout dans les grandes agglomérations d’Afrique subsaharienne francophone, des émetteurs de télévision analogiques en bande MMDS (2.5-3.7 GhZ). Une bande de fréquence controversée, puisqu’elle présente de très nombreux inconvénients en termes de résistance à la pluie et aux obstacles. On chuchote dans les couloirs qu’il s’agit là d’émetteurs initialement destinés à des bases vie de l’armée canadienne. Malencontreusement mal réglés en usine, il fallut bien leur trouver une utilité.
C’est dans ce contexte d’opportunités que sont nés la plupart des télédiffuseurs africains, qui continuent d’exister aujourd’hui. Excaf au Sénégal, Multicanal ou Malivision au Mali, Neerwaya au Burkina Faso ou encore Media+ au Togo restent, jusqu’à ce jour, des acteurs prospères de la télévision payante. En contrepartie du don des émetteurs (et, par ricochet, des fréquences accordées par l’État), les opérateurs devaient diffuser TV5 Afrique et la chaîne nationale de leur territoire en accès libre et gratuit. Une aubaine pour la francophonie. Et aussi pour l’Afrique, qui sauta ainsi de nombreuses étapes administratives dans le développement de son paysage audiovisuel.
Cependant, ce bond se révéla un peu prématuré. D’abord, il existait peu d’organes de régulation de la télévision dans cette région d’Afrique. Ensuite, à part la chaîne nationale, TV5 ou Canal+ Horizons, il existait peu de contenus. Pas de chaînes de télé à diffuser, ou si peu. C’est dans ce contexte que la SOFIRAD, la société publique chargée de l’audiovisuel extérieur de la France, mit rapidement sur pieds un bouquet de chaînes de télévision françaises. Baptisée Bouquet Portinvest ou Le Sat, l’offre fut immédiatement proposée aux télédiffuseurs, et son succès africain fut immédiat. Partout dans les villes, on vit fleurir de nombreuses antennes MMDS communément nommées « tire-bouchons » ou « antennes TV5 ». Parmi les chaînes à péage sélectionnées par la SOFIRAD, on comptait France 2, mais aussi quelques chaînes du groupe ABSAT telles que RTL9, Mangas ou feu la chaîne musicale MCM Africa alors dirigée par François Thiellet. MCM Africa et la SOFIRAD partagèrent quelques temps les mêmes bureaux dans le seizième arrondissement de Paris.
L’arrivée de toutes ces chaînes bouleversa les villes africaines. En région urbaine, il était désormais possible de s’équiper légalement pour moins de 80 000 francs CFA. Petit à petit, la télévision française devint accessible à la classe moyenne africaine. Grâce au câble, on pouvait même en faire profiter ses voisins. À partir de 1998, la télévision française a commencé à s’installer dans les loisirs et habitudes des populations.
Dans le même temps, Canal+ Horizons obtint le droit de commercialiser les chaînes du bouquet Le Sat auprès de sa clientèle d’abonnés en réception directe par satellite. Cette nouvelle donne positionnait Canal+ Horizons dans un double rôle vis-à-vis des opérateurs africains : d’abord fournisseur de contenu, elle devenait également leur concurrente vis-à-vis des abonnés particuliers.
Afin de faire face à cette situation, les télédiffuseurs africains ayant bénéficié du programme de coopération France-Canada se regroupèrent en association, l’OPTA (Association des Opérateurs Privés de Télévision d’Afrique). Inaugurée à Dakar en présence de la plupart des opérateurs de cette nouvelle industrie en 1998, l’OPTA fut impulsée par trois grands ténors de la télédiffusion en Afrique : Richard Aquereburu (Togo), Ismaïla Sidibé (Mali) et feu Ibrahima Diagne dit Ben Basse (Sénégal). Durant ces mêmes années, il est également intéressant de se rappeler de l’anglophone DSTV/Multichoice. Aujourd’hui presque totalement absent du marché francophone, l’opérateur d’Afrique du Sud a pourtant commencé à s’y implanter dès 1997, en s’appuyant sur le travail de distributeurs agréés. Dans plusieurs pays, DSTV/Multichoice agréa des distributeurs officiels de Canal+Horizons, dont certains opérateurs MMDS. Puis, petit à petit, réduisit le nombre de distributeurs comme peau de chagrin.
Séverine LAURENT
Source: Afrikakom