Le dimanche 22 mai 2016, le journal « La Dépêche » a fait le « buzz » en publiant sur facebook la Une de son édition de la semaine avec la photo de l’opposant politique Tiébilé Dramé et ses « factures d’eau et d’électricité impayées». Ce dernier est « accusé » par « La Dépêche » de ne pas s’appliquer des principes qu’il voudrait bien voir chez les gouvernants. La blogosphère s’emballe et chacun y va de son commentaire. Le journal Info-Matin reprend « l’information » en titrant : « Scandale de non paiement de factures d’eau et d’électricité: Tiébilé pris la main dans le sac ». Notre confrère placarde à sa UNE et à l’intérieur du journal des anciennes factures du président du Parena, plus précisément des factures de l’année 2015. Dans un entretien accordé à notre confrère de l’Indicateur du Renouveau, l’intéressé, Tiébilé Dramé, se défend et parle de dérives graves. “Au moment où j’ai vu la publication, ma famille n’avait reçu aucun avertissement de la part de l’EDM. C’est le 24 mai qu’un certain D. D. a déposé la facture. La preuve : la copie publiée n’a ni date ni signature… celle parvenue le 24 mai est payable avant le 10 juin 2016. A propos de la Somagep, le président du Parena confirme qu’à la date du 26 mai 2016 il n’avait pas reçu une facture. “Mais j’ai constaté cette facture dans la presse. Tout simplement mes données ne sont pas protégées. Des données personnelles se retrouvent sur la place publique. L’adversité politique peut nous conduire à des dérives graves. Cela veut dire que les données bancaires, le bilan de santé et de résultat ne sont pas aussi à l’abri”, a-t-il déclaré à l’indicateur du renouveau.
Au-delà du factuel qu’est ce qu’on peut retenir de cette rocambolesque histoire de « facturegate », selon la formule d’un internaute, en comparaison au scandale du Watergate, l’affaire d’espionnage politique qui aboutit, en 1974, à la démission de Richard Nixon, alors président des États-Unis
Primo, le cas qui est sans précédent au Mali, est une atteinte à la vie privée d’un citoyen. Pour la première fois, des données personnelles, privées et confidentielles d’un citoyen fusse –t-il une personnalité publique, sont étalées sur la place publique. C’est un précédent dangereux, car demain les relevés bancaires de tout individu peuvent se retrouver sur la place publique, les bulletins de santé de toute personnalité publique peuvent se retrouver sur la place publique, les résultats d’analyse médicale peuvent se retrouyver sur la place publique…Voilà pourquoi au Mali, une Haute Autorité a été créée par la loi n°2013-015 du 21 mai 2013, avec pour objectifs de protéger les données personnelles des usagers des technologies de l’information et de la communication (Tic), tout en prenant des dispositions pour mieux réglementer le secteur. Et pas besoin d’ouvrir les tables de nos lois, pour savoir que la défense de livrer à la publicité la vie privée des hommes est un de ces principes de morale qui dominent toutes les lois. La vie privée, selon la belle expression de Pierre Paul Royer-Collard, doit être murée. Nul n’a et ne peut avoir le droit d’y fouiller. On ne peut reprocher à aucune personne de ne pas aimer la liberté, et surtout la liberté de la presse en appliquant ce principe. La vie privée est sacrée, inviolable, la morale défend d’y toucher. La presse qui descendrait dans la vie privée n’aurait point de plus grand ennemi qu’elle même; elle manquerait à sa noble mission et deviendrait odieuse et n’inspirerait bientôt plus que mépris et dégoût.
Secundo, le timing de ses publications suscite beaucoup d’interrogations. Pourquoi publier des données confidentielles de Tiébilé Dramé, une journée après la marche à l’appel de l’opposition malienne pour dénoncer la mauvaise gouvernance et qui a drainé des milliers de personnes dans les rues de Bamako? Sans aucun doute, le plus grand animateur de l’opposition malienne dérange aujourd’hui. Alors quoi de mieux que de le livrer à la vindicte populaire en publiant ses documents privés? Tout cela dans le but évident de le nuire, de l’intimider et de le faire taire. Une atteinte à la liberté d’expression. L’histoire nous dira si le « petit monsieur » du président de la République IBK, après cette intrusion dans sa vie privée, mettra de l’eau dans son vin lors de ses sorties médiatiques.
Madiassa Kaba Diakité
Source : Le Républicain