Les résultats macroéconomiques sont particulièrement bons. Pourtant, sur le terrain, dans de nombreux secteurs, le climat reste morose. Explications.
La vieille chanson française Tout va très bien, madame la marquise, qui prétend rassurer une dame tout en faisant ironiquement la liste des catastrophes survenues dans ses propriétés, convient parfaitement au Mali. Si l’on en croit les statistiques et les grands équilibres macroéconomiques que mesurent celles-ci, le Mali se porte comme un charme. « La croissance du produit intérieur brut [PIB] réel devrait rester forte en 2016, à 5,3 % », confirme Lisandro Abrego, chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour le Mali.
« Elle sera principalement tirée par une augmentation continue de la production agricole, l’activité de la construction en hausse, une bonne performance dans le secteur des services, en particulier le transport, la communication et le commerce », précise l’économiste. Et 2016 devrait continuer sur cette lancée grâce à une hausse de 35 % des investissements publics et de 10 % des crédits bancaires.
Des données encourageantes
Le déficit du compte courant par rapport au PIB est en recul, de 5,7 % en 2014 à 3,6 % en 2015. Selon l’Institut national de la statistique du Mali, les prix ont baissé de 2,5 % entre avril 2015 et avril 2016. Les recettes fiscales ont augmenté, permettant une réduction du déficit public à 1,8 % du PIB. Le gouvernement malien a atteint tous les objectifs du programme sur lesquels il s’était engagé vis‑à-vis des bailleurs de fonds.
La reprise – sous haute surveillance de la Minusma – du chantier de la route Niono-Tombouctou représente un symbole fort de la volonté de tous les partenaires de développer enfin le Nord. Le chantier de l’amélioration de la fourniture en eau de la capitale vient de débuter et, dans trois ans, un million de Bamakois disposeront d’eau potable à volonté. L’énergie solaire commence à s’installer dans le paysage.
Pour amorcer la décentralisation, sans laquelle les populations du Nord demeureront sous-administrées, mais aussi pour donner satisfaction aux anciens rebelles, le gouvernement a créé les deux régions de Taoudéni et de Menaka. Les armes se sont tues grosso modo depuis la signature de l’accord d’Alger, le 20 juin 2015.
Une réalité beaucoup plus sombre
Une fois ces satisfecit formulés et sous le couvert de l’anonymat, les langues se délient et expriment une réalité beaucoup plus sombre, dont ne rendent pas compte des statistiques peu fiables car fondées sur des données collectées en majeure partie à Bamako.
Non, tout ne va pas très bien, tant s’en faut. « Le secteur bancaire est malade, car il porte les arriérés de paiement de l’État. Énergie du Mali [EDM] continue d’accumuler les déficits faute de réformes et fait subir des coupures de courant insupportables aux particuliers comme aux entreprises. C’est simple : il pleut et l’électricité s’arrête, ou il ne pleut pas et elle s’arrête aussi, tellement la gestion de l’entreprise a été défectueuse et tellement son réseau se trouve en piteux état », explique l’un.
« Rien ne bouge, se lamente un autre. L’économie demeure totalement dépendante de l’or et du coton ; elle est donc à la merci des hoquets de la conjoncture mondiale pour le premier et des achats chinois pour le second. La microfinance tarde à être assainie. On ne sait pas encore comment la décentralisation va s’articuler. Aucun projet d’échange n’existe entre les régions maliennes septentrionales et le Sud algérien, comme il était prévu dans l’accord d’Alger. »
L’insécurité au Nord du pays, un handicap
Les actions humanitaires et la reconstruction des zones dévastées par les terroristes n’avancent guère, car aucun civil étranger ne se risque au-delà de Ségou pour superviser ces opérations. Les donateurs sont obligés pour cela de passer par l’intermédiaire de Maliens, de rares personnes qui ont la compétence requise pour piloter les chantiers des marchés, des écoles ou des dispensaires à rebâtir.
« Malgré quelques progrès, on tourne en rond, confirme Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest à l’OCDE. L’insécurité est toujours là et fait des morts chaque semaine. Le gouvernement ne tient pas ses engagements vis‑à-vis des populations du Nord, où l’aide d’urgence est insuffisante. Le comité de suivi de l’accord se réunit certes, mais sans proposer d’avancée majeure. »
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Il ajoute que le ressentiment des populations du sud du pays à l’égard du Nord, considéré comme « un fardeau », est d’autant plus dangereux qu’il annihile les atouts de celui-ci. « Le phosphate qui se trouve à côté de Gao pourrait contribuer à fournir en engrais l’ensemble du pays. L’exploitation du gisement de calcaire du Gourma réduirait les 250 000 tonnes de chaux importées chaque année en Afrique de l’Ouest. Mais on n’en parle pas », regrette-t‑il.
Tout est réuni pour réussir la paix, mais il faut que les Maliens se mettent enfin en marche
Les militaires étrangers pensent, exactement comme les civils, que le pouvoir malien tarde à gouverner. « Il est nécessaire que les efforts militaires que nous déployons soient simultanément liés à un effort politique, a déclaré le chef d’état-major des armées français, le général Pierre de Villiers. Dans la perspective du règlement d’une crise, on ne peut envisager de paix durable sans un effort de développement qui doit contribuer à un effort déterminant, le basculement de la population en notre faveur. »
C’est ce que suggère de façon moins diplomatique un expert européen. « Les bailleurs de fonds ne peuvent servir tout le temps de locomotives au Mali, dit-il. Tout est réuni pour réussir la paix, mais il faut que les Maliens se mettent enfin en marche. »
Le sentiment national n’est déjà pas très vigoureux dans cet immense pays, et, faute de volontarisme politique, l’érosion palpable de la confiance dans l’accord d’Alger risque de déboucher sur une atomisation politique et économique du Mali qui stopperait net la croissance, dans le Nord comme dans le Sud.
Source: jeuneafrique